Florian Krumpöck joue Liszt et Chopin, salle Cortot, 24 mai 2024 – 2/3
Après Liszt, voici Chopin et sa deuxième sonate en si bémol mineur opus 35, un mastodonte que Florian Krumpöck vient de graver. On connaît l’histoire :
- en 1839, composer une sonate pour piano, c’était plutôt ringard ; mais
- un éditeur avait publié la première sonate de Frédéric sans l’autorisation de Chopin ; donc
- le compositeur a décidé d’écrire une sonate dont il soit davantage fiérot en entortillant trois mouvements autour d’une marche funèbre qu’il avait en stock.
Quatre mouvements au programme, à commencer par un « Grave – Doppio movimento » tendu. L’interprète en propose une version équilibrée.
- Il organise la fougue sans guinder l’agitation,
- il assouplit sporadiquement le tempo sans dissoudre l’énergie rythmique dans un sentimentalisme hors de propos,
- il refuse les surenchères d’intensité (peu de pianissimi sous ses doigts) pour concentrer le propos dans un spectre de nuances cohérent et resserré plutôt que chatoyant, et
- il assemble habilement les différents segments composant ce premier acte sans briser la force de la houle qui se forme puis éclate puis s’apaise puis s’anime à nouveau.
Le scherzo en mi bémol mineur, une tonalité privilégiant les touches noires aux touches blanches, tranche avec cette première saynète. Florian Krumpöck y associe
- tonicité des accords,
- efficacité des breaks,
- sapidité des contrastes et
- profondeur de la pédalisation.
Il est alors temps pour lui d’habiter la solennité de la marche funèbre. Moins dramatique qu’explorateur, il ouvre un large champ de
- touchers,
- contrastes et
- nuances
qui habillent de musique la cyclicité macabre du propos (id est le fait que le rythme de la marche funèbre revient encore et encore). Loin de Florian Krumpöck l’idée d’apaiser le tourment qui irrigue cet hommage putatif. Il offre aux auditeurs médusés
- la déflagration des sforzendi,
- le tremblement têtu des trilles,
- le charme tranquille de la partie centrale, et
- le plaisir trouble du retour d’un premier motif toujours aussi oxymorique (à la fois posé et traversé par une obscurité intraitable).
Le « finale presto » associe très grande concision et déferlement de notes. Le pianiste en profite pour saisir les spectateurs avec une maestria qui est encore plus maîtrisée que brillante.
- Doigts déliés,
- pédale précise quoique, parfois, un rien généreuse à notre goût vue la densité de notes à décrypter, et
- immutabilité du tempo
embellissent cette conclusion qui serait incongrue si elle ne s’apparentait à une urgence de vivre provoquée par le lent et lourd lamento qui la précède. Sous les doigts du musicien,
- célérité,
- brièveté et
- musicalité
se mêlent en une cavalcade qui ressortit à la fois
- de la fuite devant la mort,
- de la libération du macabre et
- de la jubilation du vivant qui se sent vivant.
De la sorte, à travers Frédéric Chopin, Florian Krumpöck semble nous inciter à vivre pleinement avant qu’il ne soit trop tard – donc maintenant, puisque nous ne savons ni le jour, ni l’heure. Faire vibrer un sentiment d’urgence dans une salle Cortot où la température est désormais bien trop élevée pour être agréable, voici un bel et bon défi relevé avec talent par l’interprète !
À suivre…