Hans Zimmer, Zénith de Rouen (Grand Quevilly), 1er juin 2016
C’était un beau moment voire une belle histoire, et pourtant, je n’allais pas « dans » le Midi (le Midi). Le réalisateur Guillaume Vatan (il affirme être désormais ingénieur-réalisateur, ou l’inverse, c’est classe dans les deux sens – il en manque plus que trois ou quatre) m’a invité à Rouen pour applaudir Hans Zimmer, compositeur de musique de blockbusters hollywoodiens, en pleine tournée des Zénith français. On n’était pas quatre sur la banquette arrière, alléluia, mais les trajets voituristiques entre gens de bonne compagnie, c’est souvent sympa, surtout pour un Parisien d’adoption donc encroûté dans son petit Transilien métroïstique. Sans compter qu’un concert exceptionnel (place entre ca. 75 et 150 €, tudieu !) restait à venir…
Le concert : Hans Zimmer structure sa prestation en deux parties. Soi-disant pour que l’on puisse aller se saouler, alors qu’impossible d’accéder à la buvette à la mi-temps, trop peu de personnel derrière le comptoir (a-t-on jamais vu plus benêt ?). Sans doute pour que les gogos puissent profiter de son merchandising, feat. un T-shirt à 30 €, quand même.
La première partie s’articule autour de tubes plutôt brefs, variés, allant de la musique d’ambiance à la comédie musicale en passant par la chanson africanisante – intervient « la vraie voix » du Roi Lion, qui ne nous semble pas toujours chanter très juste, en dépit de sa réelle présence scénique. La diversité des ambiances fait souvent oublier la lourdeur des interludes parlés, trop longs et trop sirupeux pour nous séduire (et c’est un mec qui aime bien parler entre ses chansons qui le dit). On s’étonne de l’absence de vidéos pour habiller le concert, articulé entre cinq sphères : Hans Zimmer, GO, claviériste et guitariste ; solistes « pour une chanson » ; musiciens solistes ; musiciens d’orchestre (peu audibles) ; choristes (encore moins audibles). On se dit aussi : dommage qu’une version réduite n’ait pas été prévue pour des salles de concert type Philharmonie – même si les harmonies sont simples, on en aurait mieux profité.
Comme souvent, on a tort sur notre étonnement : la seconde partie va nous faire regretter notre souhait de vidéos. Sans atteindre le ridicule du dernier concert parisien de notre pourtant tant aimée Diane Dufresne, l’essentiel des vidéos dont la seconde partie nous fait don est surtout constituée de fractales (chuis pas sûr du terme, mais je tente) dont la médiocrité, la banalité, la nullité, la vulgarité, impactent la réception des musiques autant que la création de piètres lumières, réagissant aux sons mais séduisant peu, qui moins est quand elles se font la joie d’éblouir le public avant le rappel, pratique quand même complètement conne, faut bien le dire. Pourtant, cette heure et demie de concert a de quoi séduire. D’abord, elle est exigeante par sa répétitivité et ses introductions entre 3′ et plus de 5’ ; ensuite, elle propose une musique certes itérative, mais qui signe ici la marque Hans Zimmer comme si, nous suggère Guillaume Vatan, le compositeur avait mis « ce qui fait zizir » au début et ce qui lui fait zizir pour boucler ; enfin, elle montre les talents peut-être pas épatants mais patents du zozo : une évidente assurance (platitude d’intros étirées sur de longues minutes), une science certaine du crescendo (même s’il admet avec honnêteté ne pas être l’auteur de tous les arrangements), une envie de mêler orchestre classique et sons rock (guitare électrique, superbe basse saturée) voire électro, et une bonne connaissance de quelques astuces façon minimalistes américains (à l’évidence, Hans a plus qu’écouté Philip Glass).
En somme, malgré la générosité du cadeau qui nous est fait d’assister à ce show, on a du mal à se laisser totalement séduire pour, en gros, trois raisons. D’abord cet ex-Allemand naturalisé états-unien abuse de codes hollywoodiens : humour de connivence façon entertainer, parfois séduisant (« j’ai ajouté ce morceau dans la set-list uniquement pour jouer des big drums : c’est vrai, qui ne rêverait d’en jouer ? »), souvent niveau kermesse de chef lieu de canton (« je pense que le public était meilleur à Genève, vous êtes sûrs que vous ne pouvez pas crier plus fort ? ») ; hommage sirupeux et détestable car rentabilisant aux victimes des attentats d’Aurora (et de Paris, et de Bruxelles, tournée oblige) ; storytelling pas toujours convaincant (guitariste marié avec la jolie violoniste pour introduire un truc vaguement country ; pesante présentation des œuvres avec des anecdotes souvent pendouillantes – peut-être par sincérité, peut-être par maladresse ou manque d’exigence) ; récurrence lassante de « tous les musiciens sur scène ce soir sont mes meilleurs amis de toute la vie pour toujours » ; souci louable mais lourdaud pour le spectateur de mettre trop de solistes en valeur, etc. Ensuite, parce que la répétition des mêmes structures en seconde partie (début soft, éventuellement break, tutti, entrée de la guitare électrique et de la basse sur fond de percus qui s’excitent) peut lasser les moins fans des spectateurs. Enfin, parce que, bien que l’on ne puisse être accusé de militer pour cette connerie de mixité érigée en sommet du consensus socialo-merdique, l’on n’est pas convaincu qu’une construction moins ségrégationniste (les morceaux d’un quart d’heure à la fin, les morceaux plus courts au début) n’aurait pas mieux convenu. Malgré l’audace de finir sur un dernier morceau plutôt en decrescendo, le concert peine assurément à emporter l’enthousiasme absolu des curieux : l’hémorragie de spectateurs en seconde partie pourrait, entre autres, en témoigner.
En conclusion, trois choses frappent, aïe : un, c’est chouette d’avoir des amis qui vous propulsent dans des invitations inattendues et saugrenues en compagnie de relations tout aussi saugrenues et inattendues ; deux, Hans Zimmer a, faut quand même pas déconner, un sacré putain de métier ; trois, même avec un instrumentarium superlatif, c’est difficile de produire une musique exceptionnelle quand votre métier, précisément, vous impose une logique restrictive dont, même quand vous venez exploiter les admirateurs européens, vous ne souhaitez pas ou vous ne savez pas vous défaire. Bref, une soirée intéressante, originale, mais qui ne persuade pas tout à fait que la réputation de Hans Zimmer n’est pas un chouïa surfaite.