Yvon Bourrel, « In memoriam » (forgotten records) – 2/4
Forme importante de la musique de chambre, la sonate pour violoncelle n’a pas échappé à l’intérêt d’Yvon Bourrel pour les standards clairement identifiés de la musique classique quoique récente. L’opus 44, composé en 1976 pour le fils du compositeur, était, le 27 mars 2023, confié à
- Johann Causse aux quatre cordes,
- Catherine Chaufard aux petits marteaux et
- Philippe André aux micros.
Le premier des quatre mouvements est un allegro qui s’engage en effet avec une intensité roborative où
- le motorisme pianistique,
- l’engagement de l’archet et
- la communauté de respiration des instrumentistes
introduisent de suite l’auditeur dans un bouillonnement joyeux et prompt à la foucade. En cours de route, le compositeur change pourtant son fusil pacifique d’épaule avec habileté. L’apaisement qu’il ménage alors permet aux musiciens d’entamer un véritable dialogue qui ne tarde pas à se réénergiser puis à se rétracter à nouveau dans une suspension happant l’attention que le mystère des unissons pianistiques rend vibrante. Au développement linéaire, Yvon Bourrel préfère
- la mutation atmosphérique,
- l’interaction fructueuse et
- le tuilage soyeux entre divers chapitres narratifs.
Ainsi, il donne à ce premier mouvement une pulsion et une pulsation quasi rhapsodique que gratine un art du fondu-enchaîné et de la construction pour le moins sémillant. Les doubles cordes du violoncelle enrichissent la réexposition du premier motif fricotant avec la danse villageoise avant que l’énergie liminaire ne réapparaisse pour boucler l’allegro.
Suit un bref vivo, que lance le violoncelle. Le piano lui fait écho. Les deux acolytes versent dans une danse en état de légère ébriété. Johann Causse persiste à vouloir relancer sa petite affaire, faussement inconscient du trope bourrélique qui conduit le compositeur à transmuter non point l’or en plomb mais les segments pétillants en espaces lyriques.
- Unissons signature,
- synchronisations soignées
- (notes,
- intensité,
- agogique),
- suspensions et
- dénouement quasi dukassien (on entend presque le basson de l’apprenti sorcier lancer la cavalcade…) pour renouer avec la farandole liminaire
soutiennent l’attention de l’auditeur jusqu’au long pizzicato final, oxymoron très bourrellien.
Le lento se pare d’une gravité qui se traduit notamment dans
- la cyclicité de l’accompagnement de Catherine Chaufard,
- la solennité du violoncelle de Johann Causse, et
- l’emphase de la transition vers la seconde partie, marquée par les unissons chers au compositeur.
La rigueur de la mesure et du tempo contraste avec
- la souplesse du geste,
- le plaisir de la modulation,
- l’ampleur des nuances et
- la largeur du vibrato du violoncelle.
La fin en fade-out prépare l’allegro molto enchaîné attaca subito seguente.
- L’énergie légère du ternaire et du toucher multiple qui anime le piano,
- le contraste d’un accompagnement entre traits liquides et solidité des unissons avec accents, ainsi que
- la versatilité des couleurs et des registres du violoncelle
proposent une lecture dynamique et musicale de la partition, loin d’une exécution sage et prudente. Au contraire, les interprètes prennent les risques de fausses notes ou de justesse çà et là un peu, précisément, pas tout à fait juste. Cela déchaussera peut-être le dentier des amatrices de perfection botoxée et ennuyeuse abonnées au Figaro, tout en frisottant leur effarante permanente violette, mais c’est évidemment la seule manière
- digne,
- intrigante et
- appétissante
de faire de la musique avec cœur… et donc, a posteriori, de donner envie à l’auditeur de découvrir la sonate pour flûte et piano en Fa que nous raconterons dans une prochaine notule !
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