Yury Revich, « Beyond the Seasons », Salle Cortot, 10 janvier 2025 – 1/2
Neuf mois après son dernier triomphe parisien, le violoniste Yuri Revich revient à Cortot pour un concert de saisons. Garni de fans mais sans doute aussi blindé d’invités, le show se permet de commencer avec plus de demi-heure de retard, et de s’ouvrir par un laïus de Baptiste Capitanio, jeune producteur exécutif qui se révèle, dans l’exercice, à la fois maladroit (ainsi de cet hommage à Alfred Cortot aussitôt rétracté) et naïvement infatué (moi je parle français alors que Yuri non hahaha, moi d’habitude je suis chef d’orchestre mais aujourd’hui je ne vous tournerai pas le dos, moi je connais des gens dans la salle, moi j’ai l’extrême humilité d’apporter un pupitre et de tourner les pages de Tristan Pfaff – sans déconner, arrête de te faire plèze et mousser, let’s turn to the music!), bref, un balabala inutile… et oublieux de la piètre sonorisation qui s’adresse exclusivement au public de la corbeille. Au balcon, on n’entend à peu près que les mouches qui pètent, ce qui vaut au collaborateur habituel du violoniste une remontrance grotesque voire désespérée d’une spectatrice ne lui cédant en rien en prétention.
Au programme de ce Beyond the Seasons, deux parties, même si le récital réserve plusieurs surprises. La première surprise est l’absence d’Aurèle Marthan, attendu au piano mais blessé à la main quelques jours plus tôt. La deuxième surprise est la tenue du récital, vue la difficulté de l’accompagnement requis pour le programme – sans s’en tenir au contre-point rigoureux ou fleuri, on ne parle pas de jouer « J’ai du bon tabac » à la flûte à bec, vous l’aurez compris. Les autres surprises viendront plus tard, au mitan du spectacle. Même en divisant la tâche par deux, il faut des musiciens foufous pour oser monter en quelques heures un tel paquet de pages rares et bien noircies. C’est Tristan Pfaff qui a accepté de prendre en charge au pied mais surtout aux mains levés les deux premières pièces. Pour ce passionné de sports de combat, incollable ou presque sur le MMA version UFC et PFL, on imagine que, derrière le stress, devait planer le plaisir d’être, lui aussi, comme tant de combattants, un short notice ! Ajoutons que, pour l’anecdote, on apprendra backstage que le foufou a failli lui aussi déclarer forfait après s’être blessé au majeur en baissant son siège. Mystères de la malédiction…
L’ouverture de trois quarts d’heure est constituée par la version des Quatre saisons d’Antonio Vivaldi par Max Richter, compositeur vedette de musique de films. Elle s’intègre évidemment au thème du récital, lui-même inspiré par le disque des Huit saisons, publié une décennie plus tôt par Yuri Revich, croisement visagal de Gautier Capuçon et Nicolas Horvath. Pour ne pas faciliter la tâche du remplaçant, il semble d’emblée que la partition d’orchestre originelle ait été concaténée sur deux portées plutôt qu’arranger dignement pour un pianiste, bien que Baptiste Capitanio, l’auteur de la transcription, ait lui aussi étudié l’instrument. Reste la musique de Max Richter, réputée planante – concentrée en duo, on s’apercevra qu’elle l’est souvent beaucoup moins, et c’est heureux. Le prélude au printemps swingue
- entre violon et piano-orchestre,
- atmosphère et mélodie,
- traces sciemment reconnaissables de Vivaldi et réinvestissement.
Dès le deuxième des treize mouvements, Max Richter revendique un minimalisme personnel, fondant son écriture sur l’itération dont témoigne le bariolage du piano. La profonde connaissance de l’œuvre par Yuri Revich et la science musicale de Tristan Pfaff, pianiste à la technique superlative et à la capacité peu commune de transformer en musique l’esbrouffe pyrotechnique consubstantielle au piano de concert (il s’agit toujours de rassurer l’amateur autoconvaincu d’être éclairé : nan, ça va, si c’est pas toi qui es sur scène, c’est que tu n’évolues pas dans la même caté que l’acrobate devant toi), permettent à l’auditeur de jouir des breaks alternant des sautillements et des passages plus lyriques portés par des valeurs longues que le compositeur n’hésite pas à laisser en suspens. Çà, l’on apprécie sa capacité à explorer lenteur et silences. Là, l’on goûte le contraste suscité avec la vivacité du violon sertie dans un accompagnement très simple, avant que les rôles ne s’inversent.
Max Richter semble aimer travailler la particularité des registres, avec une inclination particulière pour l’accompagnement lent dans le suraigu, et l’entrelacement des forces en présence, le soliste échangeant régulièrement son rôle de vedette avec son orchestre à ivoire. Tristan Pfaff caractérise admirablement les trois rôles qui lui sont dévolus :
- rythmique,
- réponse et
- contrechant.
Astucieux, Yuri Revich tâche de sublimer la virtuosité des passages brillants, exigeant à la fois
- de la technique,
- du show-off et
- de la vitalité,
en y ajoutant une musicalité indubitable qui s’exprime par
- la nuance,
- le phrasé et, plus largement,
- l’articulation.
Avec deux musiciens très sûrs, malgré un partenariat impromptu dont le caractère tout récent est indétectable pour le spectateur lambda que nous sommes, la partition peut déployer une astuce minimaliste toujours très efficace, outre la répétition : l’utilisation d’un motif et sa déformation. Max Richter ne s’en prive pas dans le premier mouvement de l’automne. Il y brise la mesure du golden hit de la musique d’attente et, l’occasion faisant le larron sinon le luron, paraît inciter les deux comparses à jouer – c’est plus facile à deux qu’entre un soliste et un orchestre – sur la liberté
- des échanges,
- de l’agogique et
- de la suspension.
Soudain clavecin, le piano lance une série d’arpèges en mineur qui se transforment l’instant d’après en pulsation rythmique. Un temps concentré sur des harmoniques tremblées et des glissendi, voilà le violon
- claquant ses traits,
- frappant son battuto et
- semblant rebondir sur le toucher léger mais sûr du piano.
Parfois, l’évocation d’un tube hivernal remixé suscite des applauses, un peu comme un intertexte musical dans une impro de jazz quand les auditeurs souhaitent montrer qu’ils ont reconnu l’allusion. Parfois, l’énoncé d’un tube glaçant s’harmonise sur un accompagnement étique concentré dans le suraigu. Mais, pour le finale, Yuri Revich ne rechigne pas à laisser crépiter
- l’énergie,
- la vigueur et
- la fougue
attendues. Max Richter alterne pour lui trois postures, celles
- du solo à découvert,
- de la vedette avec accompagnement, et
- du compagnonnage en dialogue synchrone.
Après le violon, le piano délivre aussi ses kyrielles de notes jusqu’au crescendo suscitant les hourrah attendus et partiellement anticipés. Le second morceau est un hommage à la « réserve de biosphère de Schorfheide-Chorin ». Si. Reconnaissons que, comme beaucoup de ses pairs, le jargon écolo en deviendrait presque aussi rigolo que le marketing en général. En effet, le cyberprospectus publicitaire de la forêt loue sa superficie, « équivalente à 90 000 terrains de football ». Nous avons calculé : il y aurait là de quoi satisfaire 90 000 X 35 (2X17 avec les 6 remplaçants + 1 arbitre par rencontre), soit 3 150 000 fouteux. Seule condition pour ce faire : il faudrait raser la forêt et coller les terrains les uns aux autres, donc installer de solides grillages et oublier les spectateurs.
Loin de notre méditation, la partition pour soliste et orchestre de Choriner Wald de Yuri Revich est ici réduite pour violon, violoncelle et piano. Par conséquent, Krzysztof Michalski rejoint le duo pour l’occasion. On nous promet (ha, ce besoin de parler…) une forêt qui
- frémit,
- craque et
- se secoue.
La musique, agréablement conventionnelle, se laisse écouter avec plaisir.
- Des vagues tonales se succèdent ;
- des rythmes s’interpolent, de la habanera à la contemplation
- hypnotique,
- liquide et
- tremblante.
- Des échos vivaldiques résonnent encore.
Autant que la polymorphie sonore du violoniste, séduit la relation qui se noue entre les partenaires, audiblement attentifs les uns aux autres.
- Échos,
- imitations,
- débats mettant en avant le soliste-compositeur rarement porté sur le repos
accompagnent
- quelques trouvailles modulantes,
- de belles successions d’atmosphère et
- une joyeuse volonté de jouer ensemble avec subtilité.
Une première partie intéressante et techniquement de la meilleure eau, qui met en appétit pour la seconde mi-temps, laquelle sera recensée dans une prochaine chronique !
Plus de recensions sur Tristan Pfaff ?
Son concert Chopin 2023 en solo à France-Amériques, c’est ici, çà et là.
Son concert 2024 avec partenaires à Gaveau, c’est ici, çà, là et re-là.
Son concert 2024 en duo au showroom Kawai, c’est ici et là.
Et l’intégrale de notre grand entretien, c’est là.