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Michelle De Young, Case Scaglione et Simon O’Neill sous le regard et la coiffure explosive d’Ann-Estelle Médouze, violon supersoliste. Photo : Josée Novicz (soit, je m’étais trompé d’objectif dans le matériel fourni, c’est fâcheux mais ça arrive…).

L’un des compositeurs les plus bankable de la planète classique, Richard Wagner, a inspiré un drôle de programme à Case Scaglione, nouveau patron de l’Orchestre national d’Île-de-France – un programme qui ne manque pas de souffle, puisqu’il réunit trois miettes du gâteau wagnérien : unu bout de Parsifal, un bout de Tristan et un bout de la Walkyrie, excusez du peu. Comme l’affaire se déroulait avec la complicité de Michelle DeYoung et Simon O’Neill, et qu’elle bénéficiait des tarifs très accessibles pratiqués par cette formation, nous y avons précipité nos esgourdes avec gourmandise.
Le premier acte de l’aventure est constitué par une grosse portion de l’acte II de Parsifal – le moment où, après avoir été éjecté de Montsalvat, où est conservé le saint Graal, Parsifal est soumis aux tentations du sexe par Kundry et ses semblables. A priori, difficile d’entrer in medias res, et pourtant ni l’orchestre, ni Simon O’Neill ne semblent éprouver la moindre difficulté. Michelle De Young prend plus posément son temps pour installer sa voix, sous un vibrato momentanément généreux. Elle est une Kundry d’autant plus perverse que tout, en elle, respire la gentillesse et l’honnêteté… alors que son personnage cherche juste à baiser avec le héros pour le souiller et le rendre, paradoxalement, impuissant. Le corps participe aux inflexions de la voix, ce qui est cohérent avec le rôle interprété ; et les graves sont magnifiques (impressionnant « fern ist meine Heimat » soit « loin est mon pays » ou, pour Google, « la télé est ma maison », ce qui remotive notre connaissance de Wagner).


Le ténor s’investit aussi dans la minimise en espace en se tournant vers sa partenaire ou en se détournant d’elle. Une rémige de plus sur l’aile de son investissement, qui lui permet de rendre vocalement les deux aspects de son personnage  : le héros qui stand his ground against sex, et le fiston tout triste de n’avoir point été là quand mourut sa mère. L’orchestre, en tension, sait être précis (les clarinettes en tête) quand il convient de ne se point trop louper, et ne manque pas de tonicité quand il faut envoyer la salsa (« Amfortas! »). Il accompagne avec la souplesse requise la verve de Parsifal et le fiel de Michelle De Young. Les deux artistes profitent de la brièveté relative de leur apparition – par rapport aux rôles entiers – pour envoyer du pâté : c’est puissant, c’est musical, c’est incarné.
Tout juste regrette-t-on que les chanteurs s’autorisent à boire dès qu’ils ont fini un bout de leur réplique : on comprend qu’il fait chaud sous les projos, mais ça fracasse un brin l’illusion scénique – même si cela permet au ténor de gérer correctement sa toux avant de repousser sa tentatrice. Celle-ci réussit ses figures telluriques comme ce grand écart entre aigus et graves (le célèbre : « 
Ich sah Ihn – Ihn – und … lachte! », autrement dit : « Je L’ai vu, et j’ai ri ») ; et l’on sent combien Case Scaglione doit être un excellent chef d’opéra, sachant accompagner, tenir sa phalange, la pousser, donner les départs au ténor hésitant, souligner les contrastes et mener son monde dans la houle wagnérienne sans s’effondrer sur les récifs de synchronisations perfectibles ou de couacs propres à une exécution en direct !
Le second acte du concert s’ouvre sur le prélude et la mort d’Isolde ; et là, soudain, c’est le drame. Pas tant musicalement : le chef s’enivre de la musique, prend son temps pour mieux contraster quitte à laisser les bois nuancer d’une façon qui semble un peu appuyée (disons-le : certaines tenues frisent parfois l’effet dégueulando) ; toutes les synchronisations ne sont pas parfaites ; la conception acoustique de la salle révèle une nouvelle faiblesse – quand on est au milieu de l’orchestre, il arrive que l’on surentende la harpe comme si elle était diffusée par un haut-parleur derrière nous… Qu’importe, l’esprit y est. Manque juste Isolde. Et cela, ç’aurait mérité un p’tit mot d’explication dans le livret. Quand on a Michelle DeYoung sous la pattounette et que l’on annonce la mort d’Isolde, pourquoi passer à côté ? Et si, supputons, cela eût exigé un supplément inaccessible à la production, pourquoi, dès lors, ne pas proposer un autre extrait wagnérien où l’attente des spectateurs ne serait pas autant déçue ? Même le livret vante « les dernières notes de l’opéra : un chant legato tout en longues phrases » alors que, allô, de chant, point. Aussi bizarre qu’étrange.

Michelle DeYoung, Case Scaglione et Simon O’Neill. Photo : Josée Novicz malgré mon manque d’à-propos zoomistique.

Reste le dernier gros morceau de la soirée : la troisième scène de l’acte I de La Walkyrie. Encore une histoire de désir, puisque Siegmund récupère à la fois son nom, une épée symbolique du phallus que lui légua son Wotan de père, la nana de son hôte et sa sœur – ça va incestuer sec, que voulez-vous ? Le parallèle avec Parsifal qui récupère son nom, une lance mais vainc son désir, est convaincant. La tonicité de Simon O’Neill aussi : l’homme ne manque ni de puissance, ni de tenue (« Wälse! »), ni de graves quand il évoque, « seule, au fond de son âme, comme une lueur obscure ». Michelle DeYoung devient Sieglinde. Mieux, elle est Sieglinde. Elle rend à merveille, de tout son corps, les différentes émotions de la narratrice entre celle qui n’a pas pu être sauvée par Wotan et celle qui reprend espoir. Les chanteurs risquent des jeux de scène pour fêter l’arrivée du printemps à coups de timbale. Le texte est certes d’une ineptie notoire, mais Michelle DeYoung ne manque jamais de conviction au moment de claquer des phrases du style : « Comme les veines de ton front s’entrelacent à tes tempes ! » pour signifier la beauté, ou « Tu as conquis en même temps le glaive et la sœur » pour, bah, on a compris. Si l’on excepte quelques scories cuivrées, l’orchestre accompagne avec talent ce moment de chant, d’émotion et de force musicale par-delà la stupidité un brin dégueulasse du propos mytho plus que logique.
En conclusion, une soirée réussie. On regrette juste que les vedettes, accaparées par le pot de fin de tournée, ne viennent pas saluer les fans qui les attendent à la sortie. Heureusement, c’est leur droit et cela n’enlève rien à la performance chaleureuse qu’ils ont propulsée, enveloppés par un orchestre à leur service et par un chef que l’on jurerait plus attiré par l’opéra que par la part symphonique qui l’attend – on s’est fendu, çà et là, de pires vitupérations.