Verena Tönjes et Daria Tudor, « Songs of the clown » (Solo musica) – 5/6

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Première du disque

 

Après des Pierrot et des personnages bizarres, voici vraiment venu le temps des chansons de clown promis par le titre du disque, à commencer par « The clown », extrait de trois mélodies d’Ethel Smyth. Le poème de Maurice Baring, légèrement retouché par la compositrice, raconte l’histoire d’un clown blanc, enchaîné à perpétuité dans un donjon mais dansant sans cesse au rythme de la musique des étoiles qu’il perçoit. En 6/8 et mi mineur, la mélodie s’appuie sur

  • un piano tour à tour swingant et claudiquant,
  • une mélodie plane puis expressive,
  • un style contenu puis populaire.

Supérieurement rendus par des interprètes à leur affaire,

  • modulations,
  • frictions,
  • changements de registre et
  • mutations de caractère

captent l’attention au long des quatre minutes de musique, coda mystérieuse incluse. Les dix minutes du 5 songs of the clown, l’opus 29 d’Erich Wolfgang Korngold semblent être le sommet du programme et s’appuient sur des tirades de William Shakespeare. Plutôt à deux temps et en Mi, « Come away, death » paraît narrer un chagrin d’amour où le suppliant implore la mort de le coucher là où nul ne trouvera sa tombe, y compris son amour.

  • L’oscillation modale perpétrée grâce à la tentation du mineur et à la vigilance du majeur,
  • les unissons entre piano et voix,
  • les cahots harmoniques ainsi que
  • la souplesse des nuances

sont savoureusement donc tristement rendues. « O mistress mine » est une autre supplique, cette fois destinée à l’amante pour qu’elle radine aussi sec : l’amour et la jeunesse ne durent qu’un instant, profitons-en maintenant avant qu’ils ne se défilent ! C’est en Sol et sous la forme d’un « allegretto amabile con slancio » qu’Erich Wolfgang Korngold choisit de traduire cet appel au carpe diem.

  • La simplicité du balancement,
  • l’accessibilité entêtante de la répétition liminaire et
  • l’efficacité des contrastes entre registres médium et aigu

ravissent. « Adieu, good man Devil » est un texte peu intelligible hors contexte, qui promet à un interlocuteur de partir et revenir « like a mad lad ». On devrait donc y retrouver les insaisissabilités thymique et logique du fou, traduite dans un « allegro molto vivace » à trois temps et en La.

  • La tonicité de la pianiste,
  • la personnalité de la mezzo, capable de changer de couleur de voix en un instant, et
  • la précision de leur duo

apportent au disque la loufoquerie incarnée qui s’impose. « Hey, Robin! » est un « allegretto comodo » en Sol qui n’est ni plus ni moins qu’un décryptage de situation envoyé en plein dans la face de Robin : si sa nana lui est indifférente, c’est qu’elle en aime un autre, et toc ! La partition fait alterner

  • gaieté moqueuse et tristesse,
  • pétillement et alanguissement,
  • joie du majeur / binaire et mélancolie du ternaire / chromatisant.

Les interprètes font leur miel de cette dichotomie gourmande, et hop. « For the rain, it raineth every day » conclut le cycle en résumant une vie où aux enfantillages succèdent

  • méfiance,
  • mariage,
  • beuverie et
  • fin de bal pour les comédiens.

L’allegro « non troppo ma energico » en La bémol et 6/8 (notamment) s’amuse à frotter

  • ternaire contre binaire,
  • majeur et mineur,
  • unissons et harmonisation audacieuse.

Verena Tönjes et Daria Tudor rayonnent avec

  • constance,
  • inventivité et
  • précision.

Ça n’a pas l’air facile d’être un clown, mais, à ce niveau, l’effet est garanti !


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