Verena Tönjes et Daria Tudor, « Songs of the clown » (Solo musica) – 4
Un récital fomenté autour de compositeurs peu connus n’est pas tenu pour autant d’exclure les stars de sa discipline ! Verena Tönjes et Daria Tudor l’assument en glissant le « Klops-Lied » (« chanson des boulettes de viande ») de Kurt Weill dans sa set-list. Originellement écrite vers 1927 pour voix, deux piccolos et basson, autour d’un texte « traditionnel berlinois » dont le sens est réservé aux germanophones, la pièce assume pleinement son ADN canaille et cabaret.
- L’arrangement valorise la fringante tonicité du piano,
- la voix reporte son expressivité dans
- le détrempage,
- les inflexions,
- la gestion du son et
- l’étalonnage des intensités, tandis que
- les breaks animent sans relâche la miniature jusqu’à l’ultime suspension.
S’ensuit « Ich bin so unmusukalisch », un air dont le texte (incompréhensible pour nous, donc) a été coécrit avec Erich Meder par le compositeur Alexander Steinbrecher. Grâce à un contraste saisissant, l’œuvre introduit un peu d’comédie musicale jazzy dans le tour de chant. Le jeu sur
- la justesse,
- le swing et
- les couleurs de la voix
est merveilleusement servi par
- l’écriture parfaite d’efficacité,
- la souplesse de l’incarnation dont témoigne Verena Tönjes, et
- l’excellence tant technique que musicale de Daria Tudor.
On retrouve alors deux Nonsense Rhymes and Pictures op. 42 de Margaret Ruthven Lang. Après « The young lady of Lucca », « The lady of Riga », connu pour avoir été recueilli par William S. Baring-Gould, raconte l’histoire de cette nénette de Riga qui, tout sourire, chevauchait un tigre ; quand ils reviennent de balade, la nana est à l’intérieur, et c’est le tigre qui sourit. L’introduction pianistique dure la moitié de la miniature, préfigurant les deux mi-temps du récit. Margaret Ruthven Lang n’hésite pas à renforcer la dimension drolatiquement dramatique en envoyant Verena Tönjes plonger dans les tréfonds de son mezzo (« with the lady insiiiiiiiide ») jusqu’aux éclats de son soprano (« on the face of the tigeeeeeeeer »).
Si cette juste vengeance de la faune sauvage n’a pas fait sourire l’auditeur, il y a peu de chance que l’histoire du vieil homme du cap Horn (le limerick suivant, signé Edward Lear)
- ne déride son visage,
- n’active ses zygomatiques, voire
- ne le pousse à pouffer, et non l’inverse.
Le thrill est simple : le vieux aurait aimé ne pas être né. Donc il s’asseoit et finit par mourir de désespoir.
- Musique funèbre,
- ton déclamatoire,
- accompagnement sobre,
- miniature resserrée :
tout se passe comme si, loin de se gausser du personnage, la compositrice nous incitait à y reconnaître ou une part de nous-même, ou une image de la sagesse. C’est alors que les musiciennes nous invitent à basculer du côté officiel de la clownerie avec une chanson d’Ethel Smyth, désormais plus célèbre pour avoir été une suffragette enragée que pour avoir être la première compositrice à voir l’un de ses opéras joué au Met. Nous basculerons avec elle dans la dimension clownesque de ce monde à l’occasion de la prochaine notule sur ce disque, nous réjouissant à l’avance de poursuivre l’exploration d’un répertoire chamarré et palpitant tant par la qualité de son contenu que par l’agencement des découvertes qu’il nous propose.