Verena Tönjes et Daria Tudor, « Songs of the clown » (Solo musica) – 3
De l’intrigant, du mystérieux, de l’amusant, soit ; en revanche, rien de difficile à raconter
- le plaisir,
- la surprise ou
- le saisissement
que l’on éprouve à écouter telle œuvre ou tel interprète. Toutefois, il peut y avoir quelque chose de frustrant à devoir se contenter d’un survol faute de disposer d’éléments indispensables pour savourer pleinement la musique. En l’espèce, goûter la mise en mélodie des poèmes d’Ursel Renate Hirt par Eduard Künneke aurait assurément eu plus de sens si nous avions eu accès aux textes avec leur traduction. Hélas, Solo musica nous prive de ce plaisir, et une rapide séance de seurfe – le projet est glamour, mais Dieu que le mot est vilain – sur Internet ne nous a pas permis d’assouvir notre curiosité. Nous rendrons donc compte de cette découverte à l’aveugle mais pas à la sourde.
Les Pierrot-Lieder s’ouvrent par « Pierrots Brief ». Sur un joli balancement du piano, la voix de Venera Tönjes trouve une expressivité qui fait son miel d’une écriture attentive aux variations
- de registre,
- d’intensité et
- de degrés de tension.
La science
- de la mélodie,
- de l’harmonisation et
- de l’écriture vocale (le compositeur a notamment signé moult opéras, opérettes et singspiele)
que possède Eduard Künneke achève de séduire dès le premier numéro. « Pierrot denkt nach » semble suspendre le récit sur un ton mélancolique.
- Mélismes,
- simplicité apparente de l’accompagnement et
- droiture du souffle
caractérisent la première partie, mais le compositeur ne se prive pas de secouer cette torpeur délicieuse avec subtilité.
- Modulations,
- contrechant cyclique,
- large spectre de nuances :
tout séduit. « Pierrots Liebesschmerzen » est le plus long des cinq lieder semble narrer l’insaisissabilité de l’amour, bonheur profond parfois et, parfois itou, douleur structurelle. L’oscillation entre les deux pôles est superbement rendue par
- la précision,
- la diversité et
- l’assurance
des touchers de Daria Tudor. La cantatrice ne s’en laisse pas remonter. On se laisse volontiers envoûté par sa voix
- colorée,
- polymorphe et
- riche dans l’ensemble des registres sollicités.
L’écriture éblouit. Sous la plume d’Eduard Künneke, le piano sait être
- soutien utile,
- acteur des mutations et
- amplificateur d’émotions.
La voix
- se déploie ici,
- se fragmente çà et
- se pose là.
Brillant. Pour « messieurs et mesdames » (en français dans le texte…), « Pierrots Spiel » semble revendiquer le jeu du titre comme source
- de bondissements,
- de rythmicité et
- d’inattendu.
Avec une acuité dont témoignent
- les passages synchrones parfaitement exécutés,
- les breaks brusques ou progressifs, et
- l’impression permanente qu’il n’y a ici nulle virtuosité, juste de l’évidence,
les interprètes parviennent à y instiller
- du swing,
- du groove et
- un mélange de dynamisme et de narrativité.
« Pierrot Schläft » conclut le cycle sur le sommeil du personnage principal. La pulsation posée du piano trouve un écho dans la voix faussement voilée de Verena Tönjes. Le mélange
- d’arabesques,
- de notes répétées et
- d’inflexions tonales
entretient le plaisir éprouvé jusqu’à présent. La sapidité
- de l’écriture,
- de l’interprétation, et
- de la musicalité qui sourd tant de la partition que de l’attention avec laquelle celle-ci est incarnée
nous fait presque oublier la frustration de ne comprendre goutte aux textes. D’autant que, pour un mélomane inculte comme votre serviteur, découvrir, après Max Kowalski et Margaret Ruthven Lang (que nous retrouverons bientôt), un compositeur de cette trempe est une grande joie qui augure du meilleur pour la suite du voyage clownesque… à partager dans une prochaine notule.