Vaincre ou mourir – Après
Nous voici sur le seuil de l’objet maudit, ainsi que le microcosme culturel hexagonal aime à s’en fabriquer. Il y avait tantôt des bandes dessinées de Bastien Vivès, nouveau pestiféré depuis que l’a frappé la fatwa de la Protection Des Enfants, pudibonde à retardement et stupide comme un sourire de François Hollande. Désormais, Vaincre ou mourir a rejoint la liste de ces produits culturels à propos desquels il est de bon ton d’informer les réseaux sociaux en répétant : « Pas en mon nom, je ne sais pas ce que c’est, j’en ai jamais entendu parler, la Bête Immonde n’est pas loin » et autres billevesées daubées de l’entre-fesses. En miroir, la réaction inverse est attendue si l’on est un brave petit royaliste quêtant la cooptation revigorante de ses coreligionnaires.
- La communauté plutôt que l’individualité,
- l’effet de groupe plutôt que la réflexion, et, partout,
- la fierté d’un moutonnisme binaire (« t’es avec nous ou t’es contre nous et ce que nous représentons ») que hérisse la nuance.
Au reste, la comparaison avec Bastien Vivès n’est pas si absurde : la désormais ex-vedette a raconté quelques fantasmes en bande dessinée ; Vaincre ou mourir raconte un fantasme mi-politique, mi-racial d’une royauté impérissable régnant sur une France disparue pour le plus grand désespoir, pustule plus que postule-t-on, des merdeux, vivant dans la crasse parce que pas le choix, et des nobles, vivant et se gobergeant dans les châteaux par un sens admirable du devoir. Certes, la portée des rêves ne semble pas la même mais, artistiquement, ça se défie puisque ça irrite pour partie les mêmes imbéciles. Et, en effet, moins clivant qu’indiciel, moins source de schismes qu’accélérateur ou raviveur de fusions, le film souligne l’abrutissement des soi-disants intellectuels, pétris de rage à l’idée que d’autres idées que la pravda macroniste puissent fédérer des dizaines de milliers de clients – nous en avons abordé quelques aspects dans la précritique publiée ici.
Souvent meilleures ou plus captivantes que les bobines qui leur succèdent, les publicités d’avant-séance sont, ce soir-là, un écrin parfait pour sertir ce qui suivra – bijou précieux ou gemme de pacotille. Elles trahissent le principal intérêt de Vaincre ou mourir, notamment aux yeux d’une pièce rapportée n’étant a priori pas très, très intéressé par ce qui va suivre. Ce principal intérêt, c’est la dissonance. Risquons une métaphore : en soi, le si est une note aussi banale que les autres, mais collez-la à un do ou à un la# et, là, vous tenez
- une histoire en germe,
- une tension qui palpite,
- la préfiguration d’un appétissant quelque chose.
L’exploitant a choisi de faire frotter le si du film au la dièse prononcé de l’air ambiant. En effet, Vaincre ou mourir est un film royaliste qui chante
- la France blanche d’antan,
- la soumission à l’autorité nobiliaire et
- la méchanceté, l’ignominie, la vomissure qu’est, structurellement, la République donc ses représentants (sauf, à la rigueur, les généraux, une dictature militaire pouvant se substituer par défaut à une omnipotence monarchiste).
Avaler ça tel quel donc en bloc exige une certaine gourmandise, mais pourquoi pas ? Or, quatre trailers vantant et vendant les productions par ailleurs à l’affiche dans le cinéma sis sur les Champs-Élysées sont proposés en amont ; tous déclinent, à l’inverse, la vulgate consensuelle contre laquelle tonnent les supporters des productions villiéristes… ainsi que les quelques intellectuels ayant gardé assez de libre arbitre et d’honnêteté, tant la vie culturelle occidentale paraît souvent s’abîmer dans le ressassement d’un credo qu’il serait fasciste, raciste et homophobe de ne pas considérer comme une Vérité Révélée et Obligatoire.
Poussant plus loin le bouchon que Tomboy, L’Immensità milite pour les jeunes transgenres, narrant la liberté grisante d’Adriana, gamine de douze ans, s’assumant Andrea, garçon. Les trois bandes-annonces suivantes militent, elles, pour une société multiculturelle, où les Blancs ont forcément, à quelques rares exceptions près, le mauvais rôle. Synthétisons les leçons à retenir de ces propositions.
- Les Tirailleurs chante la société multi-ethnique – le tant vénéré soldat inconnu, socle mythique de la nation militariste, étant en réalité non pas un Blancoss mais le sauveur de la France : un Sénégalais.
- Les Survivants incite, comme Vaincre ou mourir, à mépriser les lois de la République mais, cette fois, afin de faciliter l’immigration des Afghans.
- Interdit aux Italiens et aux chiens poursuit la même thématique, en montrant le mythique franchissement des Alpes par un valeureux immigré italien qui n’est pas bien accueilli par les Hexagonaux (alors qu’il est super).
Pour conclure ce voyage dans la nouvelle pravda française, il ne faut pas manquer la publicité suivante : elle nous apprend que le drugstore Publicis et un luxury convenience store, ce qui est juste vachement plus clear, I mean. Dans un monde où toute identité – de genre ou de nation – doit être brouillée, la langue elle-même doit absolument se mondialiser.
C’est dire si dissone le projet, plus idéologique qu’artistique, de Vaincre ou mourir. Le film, produit dérivé du Puy du Fou, dresse l’hagiographie de François Athanase Charette de la Contrie, le fameux « monsieur d’Charette » qui, d’après Paul Féval, parle à « ceux d’Anc’nis » et incite Grégoire à prendre son fusil. Selon la version Puy du Fou, Charette, officier de marine, ne voulait pas se mêler de la colère du peuple face à la conscription républicaine. Cependant, devant l’insistance des gueux, il cède et accepte d’emmener les gars munis de fourches affronter les méchants Républicains qui ne tirent pas leur poudre aux moineaux. Malgré le courage, la disproportion de forces fait des ravages. Dès lors, Charette opte plutôt pour la guérilla, multipliant les embuscades meurtrières et profitables. La République déploie les grands moyens. Brûle, viole et tue. Ça ne suffit pas. Une paix ultra avantageuse pour la Vendée est négociée. Charette fait la moue, mais la survie de Louis XVII est en jeu. Il cède. Puis il apprend que son idole est morte. La guerre reprend. Cette fois, faute de renforts, la victoire devient vraiment inaccessible. Les rangs se clairsèment, les hécatombes s’enchaînent, et Charette finit par se retrouver coincé dans un p’tit bois où il est cueilli malgré le dévouement de son dernier acolyte pour retarder l’échéance. Condamné à être fusillé, il exige et obtient de commander le feu. Il meurt en héros loser, tandis que sa voix conclut l’affaire, maigre triomphe, en promettant que le combat ne fait que commencer.
Celui qui était venu, babines pourléchées, en espérant se laisser scandaliser par ce film ne peut que tomber des nues. Comment justifier l’effroi du microcosme médiatico-culturel ? Sera-ce à cause d’une supposée réécriture de l’Histoire ? En effet, le film s’ouvre sur une brève séquence semblant revendiquer une certaine objectivité historique. Dans une ambiance sombre qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère de Hold-up, quelques historiens, dont l’un est très contesté par ses pairs, introduisent rapidement le contexte. Rien de rédhibitoire. La suite est une fiction inspirée de faits réels et se plaisant à sur-héroïser son chaste héros.
- Que les sachants s’offusquent de libertés prises avec certains faits ;
- que les experts ricanent en opposant des moments moins purs et moins glorieux à cette sanctification du marin ;
- que les spécialistes s’étonnent du focus mis exclusivement sur Charette, alors qu’il était loin d’être le seul meneur d’hommes à la boucherie dans cette révolte,
eh bien, pourquoi pas ! Pour le spectateur pas royaliste et pas spécialiste de l’Histoire, ces arguties paraissent un brin spécieuses, dans la mesure où le récit que l’on déroule devant lui ressemble moins à une thèse d’Histoire qu’à un mix’n’match
- de Fanfan la tulipe,
- des aventures de d’Artagnan et
- de Cyrano de Bergerac, la poésie en moins.
Ce film est évidemment un outil de propagande. Il le revendique, et la centaine de spectateurs présents ce soir-là ne manque pas d’applaudir le générique. L’idée est que la monarchie et les nobles, c’est tip top ; la République, c’est caca – voilà pour l’essentiel du propos subversif. Et alors ? En quoi est-ce plus choquant que les films souhaitant « faire bouger les lignes », « inciter à changer de logiciel » ou « exprimer un message riche des valeurs » macronistes et néolibérales ? Même si les royalistes ne seront pas d’accord avec ce qui suit (ce dont je me tampiponne avec allégresse, évidemment), c’est quand même pas mal que tout le monde ne vibre pas aux mêmes fréquences. Le chant grégorien, pourquoi pas, mais la polyphonie, mazette, ça, c’est du cossu ! Sans doute faut-il avoir le sens de la polémique facile ou le désir vulgaire de hurler avec les chihuahuas pour voir dans Vaincre ou mourir le scandale révisionniste et nazi au fumet alléchant qui nous a été vendu.
Pour autant, comment considérer cet objet culturel ? Peut-être tel un téléfilm de cape et d’épée qui se termine plutôt mal. Les réalisateurs se débrouillent comme ils peuvent pour pallier un budget jugé insuffisant. Les amateurs de gros fights en resteront évidemment au troisième épisode du Seigneur des anneaux jacksonniens, en dépit de la cucuterie consubstantielle, hélas, de ce genre brillant.
Pour le reste, sur grand écran et, à titre d’exemple,
- les trop récurrents gros plans pratiques,
- les amusants floutages en mouvement,
- les bruitages compensatoires,
- les duos en intérieur étirés,
- les scènes de foule presque aussi crédibles que celles de Kaamelott,
- les cadrages pudiques montrant plutôt les yeux révulsés du mourant que l’éviscération permise par la baïonnette,
- les plans de coupe grotesques rentabilisant les drones en filant vers le soleil couchant,
- les scènes pseudo oniriques annonçant la tragédie ou faisant se frôler Louis XVII et Charette,
oui, tout cela peut faire sourire, ce qui n’est pas le projet des producteurs, on l’aura compris. De plus,
- la musique grotesque à force d’être littérale et amphigourique,
- les dialogues souvent patauds hésitant entre un langage à l’ancienne et une modernisation saugrenue,
- les personnages secondaires réduits à des archétypes prévisibles donc, à la longue, ennuyeux, et
- le principe même de l’hagiographie, ennemi viscéral du scénario qui tient en haleine,
bien sûr, nous empêchent de prétendre être pris par l’émotion, l’étonnement et l’admiration ou, à défaut, d’avoir été déçu en bien. Toutefois, l’association entre
- le ramdam autour d’un objet culturel anodin cherchant, au nom d’idéaux rémunérateurs, à péter plus haut que son cul – ce qui n’est pas toujours un défaut, rappellerait Alexandre Astier – et
- le concert de miaulements espantés qu’il a déclenché
restera, à l’évidence, la confirmation que quelque chose ne tourne pas rond dans le petit cercle médiatico-culturel français. Guère une surprise ; à peine un petit nuage de tristesse amusée sur un océan de consternation.