Urs Joseph Flury, Concerti, VDE-Gallo (1/2 : le concerto pour violon)

admin

 

Quelle joie d’avoir de nouveau des nouvelles, hé-hé, d’Urs Joseph Flury, dont nous avions applaudi jadis la passionnante Passion ! Certes, on sent dans le livret (disponible en français, un luxe en dépit de maladresses de traduction…) une gêne qu’il faut mentionner tout de go : la musique d’UJF est tonale. À en croire la présentation, manière d’opprobre semble nimber le travail de l’artiste, également ex-violoniste virtuose et chef d’orchestre – c’est lui qui est à la baguette pour ce disque. Or, la vérité est que ses œuvres ne sont pas seulement tonales ; elles sont aussi formellement très classiques,

  • en apparence (le titre des deux concerti proposés sur ce disque ne se paye aucune fioriture onirique ou ésotérique) et
  • en contenu (chaque concerto est articulé en trois mouvements de type vif-lent-vif, le premier incluant un prélude).

Pour un compositeur, écrire de la musique consonante, sera-ce honteux, quand on n’est pas Guillaume Connesson – le seul à peu près habilité à frayer avec une manière modale qu’il n’hésite pas à pimper habilement de quelques audaces ? Et, pour l’auditeur, est-on encore en droit de kiffer des compositions qui ne sauraient être indiquées en première intention pour l’Ensemble InterContemporain ?

 

 

Première partie de réponse avec le concerto pour violon et orchestre en Ré (28’), composé en 1972 et enregistré lors d’un concert, en août 2001, avec Alexandre Dubach à l’archet – connu depuis 2015 comme le Pierre Richard de sa profession, puisqu’il a oublié son Stradivarius dans un train. Le présent disque s’ouvre sur un nouvel enregistrement de l’œuvre, un précédent – avec le compositeur à l’archet – avait été réalisé en 1973 et publié en 1994.
L’introduction se déploie dans les graves solennels où le basson rejoint contrebasses et violoncelles quand le soliste, semblant chercher sa voie, se faufile au milieu de l’obscurité. L’allegro le voit plus entreprenant. Il répète le motif, le galvanise de pizzicati toniques, le confronte à l’orchestre, entre dialogue et marche quasi funèbre. L’unité du mouvement se fonde sur le ruissellement du motif et sa déclinaison entre doubles cordes, pizz et mutation de l’orchestre,

  • accompagnant,
  • titillant ou
  • suivant la vedette dans des unissons.

Le ressassement ne se prive pas d’accents dignes de Chostakovitch (5’55 !), préférant le temps long et l’itération au déploiement varié d’une mélodie. La cadence, exécutée avec virtuosité, sensibilité et variation d’atmosphères, associe, dans l’écriture comme dans l’interprétation,

  • explosivité,
  • suspension et
  • jeux de silence.

Une fin à la fois fougueuse et teintée de mélancolie enflamme la partition sans lésiner sur les trilles ; et le montage fait le choix de conclure le mouvement par un silence « vivant », avec bruits d’orchestre et de public non dissimulés dans un fade-out artificiel – écho de cette quête de vitalité que nourrit, sans doute l’urgence de l’enregistrement live.

 

 

La pastorale est lancée par le swing du violon qui dialogue avec cors, timbales et tapis soyeux où bois et cordes déploient une riche harmonie. Clarinette et hautbois au premier chef reprennent le balancement perpétuel du violoniste, que le compositeur enveloppe d’un accompagnement à géométrie variable. À cette première partie de 3’ succède un passage interrogatif (4’) où, derrière le ressac du motif matriciel,

  • unissons,
  • doubles cordes et
  • bariolages ondulatoires de l’orchestre

étoffent le propos sur des couleurs cette fois davantage debussystes par séquences.

 

 

Le rondo démarre sur les chapeaux de roue. Le violoniste ne sait plus où donner de l’archet.

  • Embardées,
  • sauts de registre,
  • sautillements puis
  • zébrures en doubles cordes

croustillent sur le dos d’un orchestre humble mais prêt à rugir avec ou contre l’hurluberlu en folie pendant 2’. Bassons et cordes graves semblent alors esquisser un boléro claudiquant dont les grincements parfois tsiganes (2’40) rappellent que tonalité n’est pas médiocrité harmonique.
Çà, une clarinette gémit ; là, des flûtes surplombent le lamento du soliste, à découvert pour sa brève seconde cadence (4’50), où la musicalité d’Alexandre Dubach frappe de nouveau par sa capacité à caractériser chaque minerai que broie avec art la meule de son instrument. Le thème liminaire revient, façon refrain propulsé par une fougue qui ne renonce pas aux breaks, la tension montant autant grâce à l’énergie des passages enflammés que par le biais des accalmies toujours habilement instables. Ainsi miroitent l’orchestre et les liens qu’ils tâchent de nouer puis dénouer avec le soliste.
Le savoir-faire orchestral et la connaissance intime des arcanes du violon nourrissent la fantaisie bien – mais pas trop – tempérée du compositeur. En résulte un concerto qui ne confond point classicisme virtuose et mièvrerie compassée. Et le concerto romantique pour piano proposé dans le même disque ? Rendez-vous dans la prochaine notule !


Pour acheter le disque c’est, par exemple, sur le site de l’éditeur.
À suivre !