Un voyage extraterrestre : (re)découvrir Jann Halexander – 1/4
Personnage récurrent de ce cybercalepin, Jann Halexander vient de publier un clip actualisant, prolongeant et explicitant l’une des chansons qu’il n’a quasi pas le droit de ne pas entonner lors de ses concerts de peur d’être taillé en pièces à l’issue de sa prestation. C’est l’occasion de faire une revue en 4X3 des principales vidéos qui ont jalonné les vingt ans de fredonneries affichés au compteur de l’abducté le plus célèbre de la chanson française actuelle.
Le programme
1. Les tubes de l’extraterrestre
2. Les territoires de l’extraterrestre
3. La galaxie de l’extraterrestre
4. Les extras de l’extraterrestre
Premier épisode
Les tubes de l’extraterrestre
Jann Halexander est à la fois très facile et très difficile à caractériser. Facile car aisément repérable :
- il interroge ses racines gabonaises ;
- il se revendique bisexuel ;
- il assume son inclination pour les ovnis, affirmant lui-même avoir été en contact avec des extraterrestres.
La facilité devient complexité puisque ces trois pistes de compréhension de son travail – parmi d’autres – peuvent paraître déconnectées. Ce qui les relie, c’est précisément la spécificité du zozo et sa créativité. En d’autres termes, ses chansons ne creusent pas une veine exclusive mais fouillent la mine qu’est sa personnalité à travers divers puits. Loin d’être une source de narcissisme stérile, l’exploration égotique devient féconde à la fois pour l’artiste et pour ses clients.
La variété de son public témoigne de la variété de son inspiration. Plus fort encore, elle fédère. Aux concerts halexandériques (la prochaine grand-messe est prévu à la mi-mars 2024), se côtoient, se retrouvent, s’enjaillent notamment des Gabonais, des fanatiques voire des extrémistes de la chanson française, des yuppies avec des lunettes nouères, des trans, des hurluberlus (je ne parle pas que de moi), des bourgeois bon pied bon chic bon œil bon genre (non plus), tous rassemblés par la curiosité que nourrit le travail protéiforme de Jann Halexander. Ce qui les donc nous anime n’est certes pas limité à la curiosité.
Au fil des concerts, s’ajoute le plaisir faussement coupable de retrouver ses earworms souvent réarrangés en fonction de la scène et des musiciens qui l’accompagnent. On les glisse dans les esgourdes comme on s’installe dans un bon fauteuil Chesterfield patiné pour siroter un whiskey pas piqueté des hannetons. Cerise griotte sur le gâteau léger, le réservoir de « chansons que les gens connaissent » est vaste. Nous en avons choisi trois pour ce florilège, à commencer par « C’était à Port-Gentil », feat. Tita Nzebi…
On n’exagèrera pas en affirmant que tout Jann Halexander est dans cette chanson oxymorique, à la fois éloge de l’enracinement et exutoire du déracinement. Nulle contradiction, chez le chanteur, à, simultanément,
- être et avoir été,
- habiter un espace et y être étranger,
- partir et rester.
Se mêlent
- reconstruction d’une identité et sentiment d’une altérité inaliénable,
- ivresse de l’éphémère souvent associé à l’obligation de jouissance et invention voire découverte d’une pérennité sciemment illusoire,
- refus de la nostalgie et idéalisation poétique de sensations passées voire trépassées.
En somme,
- le passé est une narration,
- le futur une imagination, mais
- le présent n’est qu’une habituation plus ou moins aboutie.
Cette indéfinissabilité structurelle du présent, entendu comme ce qui advient indépendamment de nous, participe du désenchantement consubstantiel au chanteur. Sur scène,
- les explosions de joie,
- les contrastes thymiques et
- les excès démonstratifs
ne sont pas la tasse de vodka de l’artiste. Se protège-t-il du peu de prise que nous avons sur les événements ? Se préserve-t-il d’un engagement entier dont il soupçonne qu’il serait forcément décevant in fine – trahison, maladie, délitement, mort nous guettant sans cesse ? S’obstine-t-il à construire un espace entre le monde et lui pour faire, de cette prise de distance, un poste d’observation inspirant ?
Les trois hypothèses sont sans doute pour partie fondées. Malgré les apparences, il y a une forme de dandysme halexanderien, un dandysme intériorisé, qui se méfierait de l’arrogance mais aspirerait à une certaine rupture avec le monde et les mortels de cette planète. Ce peut être à la fois
- une définition personnalisée de l’art,
- une manière de vivre un peu comme ces extraterrestres qui nous visiteraient et
- une aspiration baudelairienne à être autant ici, dans l’espace, qu’anywhere out of the world.
Pour Jann Halexander, ce genre de tension sinon de contradiction nous permet parfois d’avoir conscience que tout ça, ce que nous vivons, combattons et souffrons n’a, au fond, aucune importance. La chanson, minuscule objet artistique s’il en est, n’a-t-elle pas pour vocation de nous le rappeler, fût-ce malgré nous ?
À suivre !