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Erminie Blondel et Tristan Pfaff à la salle Gaveau (Paris 8), le 7 février 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Pour remettre le public du choc de « La fontaine d’Aréthuse » de Karol Szymanowski, évoqué ici, il était pertinent de proposer l’une des Sept chansons grises composées par Reynaldo Hahn sur des poèmes de Paul Verlaine. Marie Gautrot s’empare de « L’heure exquise », un tube « infiniment doux et calme » qui se balance dans un ternaire confortable. La mezzo soigne la profondeur des graves, très présents, qui semblent colorer les quelques aigus exécutés avec une retenue sur mesure pour cette mélodie.
Le programme étant finement agencé, c’est en Si (majeur et de temps en temps mineur aussi) et en ternaire que se prolonge la doublette Reynaldo Hahn : Erminie Blondel est de la Revue, une opérette de Reynaldo Hahn où a été choisie « La dernière valse ». La tristesse de la nature « révèle à ma raison que l’amour est une aventure qui dure une saison », posent les paroles de Maurice Donnay et Henri Duvernois. Grâce aux interprètes, l’on s’y régale de la mélodie légère (même si ça raconte quand même une histoire super triste) alla francese, avec

  • conduite de la voix,
  • simplicité subtile de l’accompagnement,
  • art du contraste des densités sonores, et
  • stimulante proximité
    • de la musique populaire (valse),
    • de la chanson et
    • du lied.

Les artistes se réjouissent visiblement de faire plaisir au public avec de la belle musique populaire – ou qui devrait l’être davantage. Néanmoins, c’est curieusement au violon d’Alexis Cárdenas qu’est confiée la première des Deux chansons mexicaines de Manuel María Ponce – sans doute pour équilibrer les passages des uns et des autres. Après une chanson grise et une chanson d’automne, on reste dans le bad mood avec cette incantation à la petite étoile perdue dans un ciel lointain qui sait combien je galère et souffre depuis que j’ai été largué. De cette rareté, les partenaires fusionnels offrent une lecture moins empreinte de pathos que pétrie d’émotions contradictoires

  • (le désarroi de la fin d’un amour,
  • l’espoir qui reste contre tout espoir puisque l’on s’adresse à une étoile, et
  • le désarroi de la fin d’un amour qui l’emporte quand même, faut être un peu logique).

Leur dialogue est nourri

  • de respirations communes,
  • d’intentions partagées et
  • de libertés travaillées qui investissent cet espace spécifique de la chanson populaire revue mais pas corrigée par la musique savante.

Ne mentons pas, ne jouons pas non plus (ça, c’est pour les physiologues humoristes qui connaissent les spécifications de la partie visagale humaine, incluant le menton et les joues, eh oui), le baryton Laurent Arcaro qui surgit à son rythme pour exécuter la « Danse macabre » de Camille Saint-Saëns nous séduit moins. En cause ? Une tension entre son louable désir d’incarner le texte révolutionnaire d’Henri Cazalis – originellement intitulé « Égalité-Fraternité », en ces temps macronistes c’est pas rien de rappeler une perspective dissonante, bon sang – et sa nécessaire connexion à la partition. La fragmentation du propos, entre

  • mini passages que tu as retenus après les avoir lus donc que tu joues et
  • moments où le passage retenu est épuisé donc tu dois revenir à la partition parce que tu sais pas ce que tu dois dire après,

est terriblement contreproductif. Il fait sonner faux ce qui, techniquement, sonne juste et désamorce toute dramaturgie textuelle comme musicale en dépit de la tranquillité parfaite de l’accompagnement.
Après cette fausse note, Tristan Pfaff offre un cadeau magnifique à Marie Gautrot, invitée à chanter « Mon cœur s’ouvre à ta voix », tube de l’opéra Samson & Dalila dudit Camille Saint-Saëns, suivant la déclaration de love de Samson mais avec quand même (si, avec son quand même, bref). En Ré bémol, l’affaire persiste en ternaire et s’augmente d’un violoncelle.

  • La chanteuse vibre aux baisers de l’aurore,
  • le piano déploie une finesse peu crédible d’accompagnement à la fois
    • orchestral,
    • libre et
    • perlé, et
  • le violoncelle, pas forcément nécessaire, oscille pourtant entre
    • profondeur de l’amour,
    • richesse sonore de l’émotion jaillissante et
    • recherche de musicalité expressive.

Le dernier acte de la première partie rejoint le troisième acte des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach pour trois chanteurs et un piano-orchestre. Pas le moment le plus fun, mais quelle intensité ! La voix de la mère interpelle la fille qui se débat déjà avec Miracle-le-démon. L’effort de mise en espace pour profiter de la profondeur de la scène bute sur des chanteurs collés à leur partition, fors Erminie Blondel. Encore une fois, la tension la plus forte se cristallise autour du baryton tentant d’incarner avec intensité mais se devant rabattre trrrès régulièrement sur sa partoche, d’où des ruptures d’intention qui ruinent à la fois ses efforts et ceux des collègues plus sobres ou plus libres. L’on se rattache néanmoins à l’idée que c’est malin de finir avec un max de zozos avant la pause, et l’on profite d’un piano kaléidoscopique qui

  • donne l’harmonie,
  • double pour renforcer la dramaturgie,
  • impulse et suit selon l’énergie des vocalistes,
  • orchestre et ose des silences redoutables.

Rien de plus logique. C’est la fête de Tristan Pfaff et de ses amis musiciens mais, bien que le zozo ne croie point malin de se mettre en avant après s’être mis en retrait, la fête part bien du talent incroyable de Tristan Pfaff lui-même. Triple succès

  • de modestie,
  • de partage et
  • de brio multifacettes

pour cette première partie !

 

À suivre…