Trio Vitruvi, Salle Cortot, 24 mars 2016
12 €. C’est la somme qu’il faut débourser en théorie pour profiter du trio Vitruvi, en « rédisence » (un p’tit effort sur la relecture du maigre gropramme ne ferait point de lam) à la salle Cortot. En réalité, on peut profiter de toute la saison pour 100 €, ou de 5 places pour 35 €… à rapporter aux 38 € (ben voyons) demandés par Philippe Maillard pour le concert unique, ta mère, de la star du clavecin français, Jean Rondeau, qui se produit quelques jours plus tard.
Le concept est parfaitement adapté à Paris. Il est excitant, accessible, appétissant à souhait et habillé d’un zeste d’humour : c’est dire si, sur le fond et la forme, on se réjouit de l’investissement de cet espace par la bande à Jérôme Pernoo, alias le Centre de musique de chambre. Dans un arrondissement déserté par les concerts classiques depuis le massacre de la salle Pleyel par les connards de la bande à cette ordure de Manuel Valls, proposer à l’École Nationale de Musique des concerts d’environ une heure, dans un espace ravissant, est un doigt d’honneur fort délectable tendu bien haut devant la médiocrité ambiante que les zélotes des élites imaginent séduire les fools.
Parfois, pourtant, la mise en musique de ce principe gourmand pêche un brin. Ce soir-là, accompagné d’un programme papier inepte mais d’une cordiale présentation orale, bilingue franco-britannique, le concert s’ouvre sur le nocturne D897 de Schubert (10’). À la réalisation, Niklas Walentin (violon), croisement facial entre François Trinh-Duc et la coiffure de Gautier Capuçon, Jacob la Cour (violoncelle) et Alexander McKenzie (piano), qui forment le trio Vitruvi, importé du Danemark. On apprécie alors leur souci de faire circuler le regard et la respiration, mais la nervosité d’Alexander (premier concert parisien pour le trio) lui joue des tours quand le solo de sa main gauche devient trop exigeant – la pédale de sustain ne peut tout gommer.
S’ensuit le Kromorsso de la soirée, id est le deuxième trio de Dmitri Chostakovitch (30’), qui s’ouvre sur un redoutable solo de violoncelle. Côté public, on regrette les abus d’esprit bon-enfant : applaudir entre les morceaux d’une composition appuyée sur des contrastes, c’est mignon mais c’est con car, dès lors, de contraste, plus. Enfin, moins. J’me comprends. Pour le reste, le travail des apprentis virtuoses est patent : contrastes et accents sont appliqués à bon escient ; souffle et variété animent sans trop faiblir la demi-heure de musique ; la recherche du souffle commun est à la fois audible et visible. Certes, autant que nous en pouvons juger, la justesse des cordistes laisse parfois dubitatif ; n’en reste pas moins que la jeunesse et l’énergie des interprètes rendent justice à l’inventivité de la pièce, laquelle s’amuse, tout en exigeant beaucoup des musiciens, de l’alternance d’atmosphères, de pulsations, de dynamiques, de constructions. Pas sûr que le bis, une pitite chanson danoise, placée après un tel mastodonte, rende vraiment justice au potentiel de ces jeunes gens, mais le côté « sympa » en sort, ainsi, indubitablement souligné.
La fin, admettons-le en dépit du projet pétillant qui la sous-tend, convainc moins. Sur le principe du « bœuf de chambre », elle propose à des musiciens extérieurs qui ont préparé une pièce de rejoindre, sans préparation préalable, les musiciens déjà sur scène. Ce soir, sous la houlette d’un cordiste copain de Jérôme Pernoo, assez connu pour ne pas se présenter (du coup, je le connais pas), le quatuor Ardeo, habitué du lieu, vient interpréter le deuxième Sextuor de Brahms (45’), Jacob la Cour jouant les seconds violoncelles. Donc, d’un, les deux tiers des musiciens ont pu répéter ensemble avant, contrairement au concept (« on découvre nos partenaires ») ; de deux, les deux tiers des musiciens précédents sont exclus. Partant, cela sonne faux, autant à l’esprit qu’à l’oreille. Le projet est absurde : une seconde partie plus longue que la première, à quoi bon ? Une œuvre aussi ambitieuse sans préparation collégiale, quel projet ? Le manque de synchronisation, moins dans les notes que dans l’esprit, entraîne des longueurs, des langueurs et des à-coups de nuance ou de tempi caricaturaux. Ajoutez à cela l’insupportable Mi-Sa Yang, qui croit malin de jouer du flamenco sur la scène en claquant des talons à chaque fois qu’elle s’emballe et place un sforzando (souvent, donc), vous comprendrez que trois quarts d’heure, parfois, en dépit de la performance consistant à jouer à six, sans répétition (mais avec reprise) ni gros accident, une musique souvent complexe à interpréter, c’est inutilement long, et cela peut vous gâcher le plaisir causé par une première partie digne et un projet roboratif.
Pour une première expérience, avis mitigé. À dé-mitiger, sans doute. Et pourquoi pas ?