Three Billboards outside Ebbing, Pathé Wepler, 17 janvier 2018
Grand film sur la disparition d’un enfant, façon Faute d’amour, ou mélodrame sirupeux sur un deuil impossible – l’héroïne ne travaille pas pour rien dans une boutique de souvenirs ? Les avis tranchés s’opposent pour évaluer ce film que les producteurs présentent comme l’un des favoris des Golden Globes – argument marketing fragile si l’on n’est pas de ceux pour qui un prix, virtuel ou non, donne du prix. Voici donc ce que nous inspira Three Billboards outside Ebbing, Missouri réalisé par Martin McDonagh.
L’histoire
Mildred Hayes (Frances McDormand) enrage car le viol et l’assassinat de sa fille restent impunis. Elle décide de profiter de trois panneaux publicitaires, à l’entrée de la ville, pour interpeler le chef des flics, Bill Willoughby (Woody Harrelson). Les pressions s’accumulent contre cette initiative, d’autant que le policier numéro un se meurt d’un cancer. Inflexible mais blessée par les brimades de l’adjoint au chef, Jason Dixon, joué par Sam Rockwell, et par son ex-mari interprété par John Hawkes, Mildred file un mauvais coton, jusqu’à mettre le feu au poste de police… et partir se venger d’un innocent avec Jason, qui a lui-même mal agi avant de se repentir. Iront-ils jusqu’au bout de leur projet, et sinon quoi ?
Le film
Le projet joue sur les contrastes. Entre de grands paysages et la petitesse d’une ville étouffante. Entre une affaire sordide et des velléités de pastilles drôlichonnes, qu’incarne le personnage pathétique de la mère du flic violent. Entre la volonté d’une héroïne et la vanité de son espérance. Entre la simplicité du déroulement et les dissonances entraînées par des ellipses temporelles (prolepse et analepse). Entre les personnages stéréotypés (la bonne mère têtue, le méchant ex, le good cop vs le bad cop, la nouvelle nana écervelée, etc.) et… et rien, tant Martin McDonagh tient à ce que les acteurs jouent des monolithes, non des êtres de chair évolutifs ou fluents. La caméra oscille donc entre champ-contrechamp banal, plans larges rendant hommage au décor naturel et plans serrés pour mimer la pression qui se resserre sur le personnage et le fait, parfois, exploser.
Le scénario, sérieux et sans fantaisie, exploite posément les ingrédients liminaires (le scandale dans une petite ville), montrant comment nous nous construisons autour d’éléments qui nous cristallisent, nous sédimentent et nous contraignent à jouer le personnage que nous nous sommes inventés. L’exception constituée par le flic violent transformé par la lettre posthume de son ancien patron et par sa semi-crémation, est plus liée à l’envie d’ouvrir une fin ouverte et positive qu’à une originalité dans un océan de platitudes plus souvent sucrées que corrosives – ah ! le pauvre Red Welby (Caleb Landry Jones) se retrouvant par hasard dans la même chambre d’hôpital que son bourreau et lui servant un verre de jus d’orange, comme c’est émouvant !
Les amateurs de radicalité passeront donc leur chemin, tant le portrait de la topique Mère courage, capable de presque tout pour sa famille, s’échoue en chemin (l’engrenage dans lequel elle semble engagée se dissout sur le happy end final, dissipant ainsi le fumet prometteur de tragédie). Ce choix de désamorcer systématiquement, après quelques soubresauts, les minuteurs pourtant fixés sur les bombes humaines – ha, ha, je parle en parabole, moi aussi – serait, n’en doutons pas, moins escagassant si une horripilante musique doucereuse (Carter Burwell) ne souillait pas l’image par sa mollesse digne d’un sycophante mollichon. Annoncé par un tube fredonné par la Fleming, le style contemplatif de la partition additionnelle la fige dans un fond de sauce hérissant et jamais capable de nous emporter comme pouvait le faire, dans une veine pas si éloignée, Pat Metheny décorant A map of the World en 2000. Ajoutons que le sous-titrage est honteux, à la hauteur de la traduction du titre, pourtant joli en anglais et tellement réducteur en VF. Mais voilà, dans l’Hexagone, on ne casse plus les couilles, on enquiquine ; et, de raccourcis approximatifs en euphémismes inappropriés, ces petites lignes blanches frisottant le faux sens à plusieurs reprises ne cessent de rajouter du sucré écœurant dans un film qui n’en demandait pas tant.
La conclusion
Three Billboards semble soucieux de ménager la chèvre (rage devant une police inefficace, même si c’est pas sa faute) et le chou (surtout pas d’éloge de la vengeance perso). Les meilleurs moments rejoignent l’animal et le légume, par exemple quand le réalisateur tente de mettre en scène les conflits de petit lieu clos sur lui-même ; mais les personnages clichés, tel Abercrombie (Clarke Peters en vieux flic sage, ersatz de Morgan Freeman) et l’excessif souci de lisibilité du propos font plutôt pencher la balance annoncée au début du côté du mélodrame sirupeux, où le suicide par balle se métaphorise par la noyade d’un nounours. L’image léchée ou habilement salie déploie ainsi un film digne, pas inintéressant, pas vraiment ennuyeux malgré des cucuteries évitables (le revival platissime de la dernière scène avec la fistonne vivante), mais pas non plus, à notre goût, assez créatif ou vigoureux pour rendre justice d’un pitch prometteur (une femme, seule et décidée, contre un village et un crime parfait).