Thérèse Malengreau joue “Música callada” de Federico Mompou (Soupir) – 2/2
Que l’on s’attarde sur les couleurs debussystes ou sur la concision évocatrice alla Erik Satie, une évidence demeure : l’oxymoron structurel qui réunit
- la sobriété de miniatures dépassant rarement les 3′ et
- la prolifération inspirée que cette forme a suscitée chez Federico Mompou.
Car il serait fallacieux de se goberger de l’épure propre à des pièces de petite dimension en omettant le fait que le compositeur en a griffonné 28, ce qui associe rareté et abondance. Nous avons évoqué les deux premiers cahiers, donc les seize premières pièces de la Música callada de Federico Mompou. Partons de ce pas écouter les douze dernières œuvres rassemblées dans les deux cahiers ultimes.
Troisième cahier
Premier sur le grill, un « Lento » à quatre temps qui semble chercher sa voie tonale et musicale, faisant
- de l’hésitation,
- du ressassement et
- de l’indécidabilité
sa singularité. Un « Luminoso » ternaire oscille entre le trois temps et le 6/8.
- Points d’orgue,
- changements de tempo,
- ritendi et
- forme ABA remâchant l’échec initial sans réellement l’éclairer
déjouent l’espoir d’un propos facilement caractérisable ou dessinant simplement la voie vers la lumière d’un balancement libérateur ou d’aigus qui élèvent. Le « Tranquillo » suivant, ternaire itou, creuse davantage le sillon du swing, mais
- son instabilité rythmique,
- son insécurité mélodique et
- ses mystères harmoniques
font claudiquer ce petit plaisir inabouti. « Calme » est la vingtième miniature (comme l’était la seizième et comme le sera la vingt-troisième).
- Rythme pointé,
- contretemps et
- notes répétées
habitent ce petit espace intranquille où
- le doigté,
- le sens de la couleur et
- le feeling de l’interprète
sont indispensables pour irriguer donc faire vivre le propos en suspens du compositeur. Plus agité est le « Lento » qui clôture le troisième cahier.
- Dissonances,
- appogiatures,
- notes répétées,
- élargissement des registres notés sur trois portées,
- changements de mesure et
- immutabilité structurelle du motif
construisent une immobilité en mouvement – à croire qu’un oxymoron en appelle un autre…
Quatrième cahier
Pour changer des « Lento » et des « Tranquilo”, Federico Mompou a eu une idée : ouvrir le quatrième cahier sur un « Molto lento e tranquilo”. Malin. Sur une tonalité indécidable mais contant initialement fleurette au ré mineur avant de dériver, le compositeur offre à l’interprète un boulevard volontiers octavié pour nous faire apprécier les différences de toucher accessibles via un marteau.
- L’art de l’attente,
- la jubilation de l’harmonie consonante,
- la rage joyeuse de la fin déceptive en mode tierce picarde
illuminent ce très joli premier mouvement. Le deuxième, « Calme, avec clarté » s’ouvre sur des accords qui s’enrichissent et profitent de la résonance de la pédale de sustain.
- Le passage du « canto » à la main gauche,
- la persistance de la rythmique d’accompagnement,
- le mélange entre ligne mélodique et structure enfermante
contribuent à l’originalité relative de la miniature. S’ensuit un « Moderato » qui se pourlèche les babines
- de dissonances,
- de balancements,
- d’échos et
- d’une palette de nuances et de respirations fort plaisante.
Sans titre mais bientôt bardé d’indications allant de « lento » à « lento molto » en passant par « molto rit », le quatrième mouvement s’étourdit d’étrangetés
- harmonique,
- tonale et
- rythmique
que l’art de la pianiste rend hypnotisantes. L’antépénultième « Lento » à deux temps semble chercher une aspiration dans
- l’écho,
- l’explosion,
- la recherche de l’effet sonore et
- la gourmandise harmonique que manifestent les ritendi.
Le pénultième « Lento molto » revendique un statisme exprimé notamment par
- l’épuration de la mesure,
- l’énigmaticité mélodique et
- le rôle prépondérant accordé aux points d’orgue
que l’attirance pour la tonalité de Si bémol ne suffit pas tout à fait à subsumer. La dernière extinction de la musique, un « Lento » évidemment, est la plus longue des vingt huit propositions. Elle part sur le simplissime : un Ut en quatre temps.
- Le temps laissé au temps,
- l’exploitation de l’ensemble des registres,
- l’ivresse de la modulation sauvage,
- l’évolutivité du tempo et
- la cyclicité d’un propos en boucle sur lui-même
laissent cependant peu de place à l’espérance et à une liberté hors de la cage. Comme si, quoi que nous fissions, la vie restait surtout le souvenir d’une musique que nous avions davantage écouté s’éteindre que s’étendre fors le domaine où elle était attendue. Cette interrogation philosophique mompouique trouve en Thérèse Malengreau plus qu’une interprète : un porte-voix d’une ardeur profonde qui tend à transformer Federico Mompou en Feerico Mompou.
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