OuLiPo, Théâtre du Rond-Point, 5 novembre 2015
En ce début novembre, l’OuLiPo donne cinq conférences, autour des animaux, du sexe, de la boustifaille, des contes et légendes et mythologies, et des monologues-dialogues. Ça s’appelle Les Cinq coups de l’OuLiPo, et nous fûmes convié à assister à la première représentation de la conférence sur la boustifaille. Donc tact.
La conférence s’articule en deux parties. La première est une aimable série de lectures, plus ou moins abouties oralement, de textes écrits par Marcel Bénabou, Paul Fournel, Hervé Le Tellier, Olivier Salon et quelques figures de l’OuLiPo comme Georges Perec et Jacques Roubaud. Même si la conférence tire parfois à la concurrence de lol (les textes les plus sketchs sont applaudis par une assistance bien mise), même si les contraintes littéraires sont présentées sans effort de subtilité ou de pédagogie malgré la présence d’un écran vidéo dont meilleur profit eût pu être tiré, la variété des variations sur et autour de la table intéresse. De plus, la présence scénique d’Olivier Salon et de ses petites annonces, la diversité des personnalités, les jeux de mots – coup de bol – souples et potaches (les bigorneaux, je les veux big or no) ou plus intertextuels (Hervé Le Tellier propose ainsi « Trois sonates de bar ») et la provocation frontale (« Mille façons d’accommoder un chaton », accompagné de projections de chatons kawai, qui se conclut par « et si vous voulez mille autre recettes, remplacez chat par bébé ») agrémentent aussi ce moment. La parole circule parfois en cahotant, à la bonne franquette. Dévots (si, la franquette dévôts, ça s’imposait, comme on dit à Bercy) de l’OuLiPo et curieux apprécient ce moment entre gens bien, sans que, pour notre part, nous soyons tout à fait convaincu que cette façon de se mettre à table soit assez scénique pour mériter un écrin aussi agréable que la salle Jean-Tardieu.
La seconde partie de la conférence voit débarquer sur scène trois jeunes se revendiquant de l’OuMuPo. Les liens entre table et musique étant nombreux, on se réjouit de ce divertissement… mais pas longtemps. Le show s’ouvre sur un investissement de l’espace qu’aucun amateur digne de ce nom amoureux aurait osé rater aussi lamentablement. Confirmation est donnée par le morceau d’ouverture, une parodie de cantate de Bach où Judas casse la Cène parce qu’il ne veut pas ingurgiter de sang, de gluten (belle prononciation cependant), etc. Sur un principe peu original mais potentiellement drôle s’abat une chape de nullité : allusions mal maîtrisées, interprétation lamentable, gestion de la partition grotesque, cette bouillie n’a goût à rien. La suite sera de la même eau lavasse : utilisation pitoyable de l’ordinateur (« là, normalement, ça devrait marcher… ah non », diffusion de publicité américaine telle quelle, quête en direct des documents sur le disque dur, etc.), bonnes idées inabouties (brosse à dents diffuseuse d’extraits de musique), running-gags de débutants lourds et non maîtrisés (« nos avocats »), parodies de cinéma ou de Bernstein effarantes de vacuité voire de prétention (« je n’ai utilisé que des quintes justes, ce qui est une performance très difficile » quoique joliment accompagnée), et surtout final en forme de mash-up pour spectacle scolaire pourri (on prend un vers – et pas un verre, hélas – de chansons connues en projetant des images merdiques des interprètes, et voilà – aucun rapport avec le sujet, mais au moins les gens con[j’ai pas fini]naissent la musique, même chantée faux, ça leur fera plaisir). Scéniquement, c’est consternant ; et intellectuellement le côté improvisé, Bricolo et Bricolette au Rond-Point, sans faire illusion, pourrait faire allusion au bricolage propre à l’OuLiPo, si seulement du talent, du travail et des traits parfaitement aboutis permettaient d’apprécier l’amateurisme avec distance. Foin de pipeautage : que l’on autorise ces nuls à se produire sur une telle belle scène est attristant et ne grandit pas la pérennité de l’OuLiPo.
En conclusion, on se réjouit tout juste que, à notre côté, une jolie gamine ait découvert pour la première fois, entre deux étirements, un « grand théâtre » en goûtant, surtout, « les illustrations grave stylées ». On souhaite, donc, à la miss de plus beaux souvenirs scéniques, et aux OuMuPiens de finir dans le micro-ondes des pitances de piteux parodieurs – et c’est tout c’qu’y a comme digestif à ce repas indigeste où l’on n’aura même pas eu réponse, maudits, à LA question vitale : c’est d’quelle couleur une pomme de terre ?