Soleil de nuit, « Barbara du bout des lèvres… » (Anima Records) – 2/2
Barbara en remix classico-lyrique : tel est le défi que s’est fixée la compagnie Soleil de nuit, incluant pour ce projet
- les chanteuses Kareen Durand, Muriel Montel et Julia Horreaux,
- la pianiste Émilie Moutin et
- le violoncelliste Frédéric Dupuis.
La première partie du disque, confectionnée avec soin, ne nous avait pas toujours séduit.
- L’audace du projet,
- les originalités des arrangements,
- l’équilibre des forces en présence
attirent sans toujours nous convaincre à ce stade de la pertinence fondamentale de l’exercice. Les huit chansons qu’il nous reste à déguster parviendront-elles à lever notre réticence ?
La séquence s’ouvre sur une option qui nous rassure et nous allèche : le saoulant « Aigle noir » est remplacé par « Ramages » pour violoncelle et piano, une pièce écrite par Émilie Moutin. « Ramages » s’ouvre sur un bruitage violoncellique, entre vent et battements d’aile, auquel répond un piano élégiaque, semblant inspirer à son comparse des jaillissements spontanés, avec ou sans archet. On se laisse séduire par
- le jeu sur les différents registres (noirceur des ultragraves, espérance aérienne des suraigus),
- la place laissée à l’énigmaticité et au silence, et le contraste qui naît de la projection bien pâteuse du thème barbarique,
- la construction très claire de la pièce (prélude, thème et postlude).
Ces caractéristiques signalent que la compositrice n’a pas suivi en vain les cours d’analyse, de culture musicale et d’écriture musicale au CNSMDP. Elle joue
- de la compacité,
- de l’allusif et
- du créatif
pour éviter la scie originelle sans l’exclure complètement : voilà un interlude malin avant d’aborder « Pierre ». Des pizzicati en boucle se lovent dans des accords et des arpèges du piano pour entonner ce récit de l’attente pluvieuse et automobile.
- Les mutations et trouvailles d’arrangements que l’on sent particulièrement réfléchis,
- la sobriété longtemps préservée des grands effets lyriques,
- la qualité des piani réalisés en quintette
charment. « Perlimpimpin » frappe fort avec
- un violoncelle percutant ses cordes en introduction,
- le recours au parlando particulièrement intense et grave, ainsi que
- la grande palette de couleurs utilisées pour la chanson.
L’honnêteté m’oblige à stipuler que je ne suis pas forcément convaincu par l’utilisation de diérèses vintage d’expression (« et riche de dèépossession / n’avoir que soa vèérité ») relevant à mon sens plus de la caricature que de l’hommage à ce type de fredonnerie. De même, la façon de presque couper la tenue avant la semi-muette finale (« richeeeess / quasi tacet / -se ») au lieu de ne réaliser qu’un decrescendo sur la dernière syllabe n’est pas l’option d’interprétation qui me fait le plus frémir de joie. Cependant,
- la rythmique assurée par les accents du piano,
- le souhait de faire musique en se nourrissant de l’intensité du texte,
- les frictions harmoniques joliment écrites, et
- le choix de retenir la coda de l’Olympia 1978 plutôt que la version studio
ne sont pas sans beauté. « Göttingen » se décapsule sur une introduction séduisante. Le lyrisme ternaire de cette chanson réputée avoir été griffonnée en quelques minutes avant un concert
- sied au quintette,
- inspire les arrangeuses, et
- est interprété avec cœur par des artistes qui s’offrent même une coda devant faire un grand effet sur scène.
Ce nonobstant, très vite, on ne peut s’empêcher de craindre l’arrivée du toponyme, alors qu’il revient environ mille fois : toute la chanson fonctionne sur des assonances en -aine, il faut donc, comme Barbara, prononcer « Göttingaine » et non « Göttingueune », quand bien même ce serait la prononciation officielle. De même, le surgissement de « Gaitinnegueune » à 0’50 ou l’arrivée de l’option « Keutinnegueune » à 3’22, par exemple, pourra chafouiner le chipoteur.
Ouf, plus de problèmes de francisation dans « À mourir pour mourir » propulsé par le violoncelle façon walking bass !
- L’arrangement est efficace,
- le swing est digne, et
- les contrastes entre les voix
captent l’attention. « Une petite cantate » associe ensuite
- sobriété des arrangements instrumentaux,
- variété de l’inventive transcription vocale, et
- place accordée à un interlude instrumental.
« Mes hommes », plus long morceau du disque puisqu’il frôle les sept minutes, s’ouvre sur une introduction pianistique aux audaces harmoniques assumées.
- Les breaks ravivant l’écoute,
- la surprise du bref solo de piano,
- l’emportement soudain virtuose des arpèges d’Émilie Moutin,
- la volonté de prendre le temps, et
- les ouabadibidoubida de la coda, jusqu’au cri final,
sont des atouts qui rendent fort sapide cette version. Le disque meurt avec « Y aura du monde », c’est logique. L’intro d’origine est conservée, cet « amen » paradoxalement initial étant avec habileté réutilisé pour les arrangements vocaux ultérieurs.
- Le rapprochement avec les styles musical et opérette,
- le featuring de la Castafiore,
- l’intervention d’un oiseau têtu,
- la coda snappée qui
- s’enflamme,
- dérape et
- accélère,
fonctionnent très bien et sont tout aussi bien taillés pour un bis. En résumé, voici un disque ambitieux (17 pistes, 70′) qui
- ose,
- propose et
- pose
une vision personnelle et collective d’une partie du répertoire de Barbara. Que l’on soit toujours touché ou non par le résultat, l’on ne peut que s’incliner devant la richesse du travail effectué. Dans un monde de fast music où les reprises sans intérêt de ce catalogue n’ont pas souvent
- de saveur,
- de profondeur et
- d’assise musicale di qualità,
c’est un sacré atout.
Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.