Soleil de nuit, « Barbara du bout des lèvres… » (Anima Records) – 1/2

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Première du disque

 

Après un disque Prévert-Kosma que nous écouterons tantôt, Julie Horreaux a réuni autour d’elle

  • Kareen Durand et Muriel Montel aux voix,
  • Émilie Moutin au piano, et
  • Frédéric Dupuis au violoncelle

pour chanter Barbara dans des arrangements qu’elle co-signe avec la pianiste pour la compagnie Soleil de nuit. Le projet, qui a profité du confinement pour prendre forme, est d’associer des voix lyriques sur une réharmonisation des hymnes barbariques. « Reprendre » Barbara est hélas un hobby très répandu chez les fredonneurs. Hormis l’évidence Marie-Paule Belle, à la fois proche dans sa posture piano-voix et si subtilement différente de Barbara, les réussites sont rares car les propositions sont souvent peu habitées par une réflexion sur les deux risques de la réinterprétation (coller platement à l’original ou n’en faire qu’un prétexte attrape-gogo en écrasant la VO sous le style ou l’absence de style du repreneur). Voilà un reproche que l’on ne pourra faire au présent quintette qui, dans sa « note d’intention », souillée par une écriture dite inclusive dont, IRL, le caractère grotesque et niaiseux fait plus crisser des mandibules que sourire, évoque la lente maturation du projet.
Pour autant, Barbara au pays du lyrique ne se laisse pas apprivoiser facilement par l’auditeur accoutumé à la dame en noir. Au point que « Ce matin-là » qui ouvre le disque est un peu froissée par l’ajustement nécessaire entre l’interprétation connue et la réinterprétation proposée. Il faut repousser l’habitude et goûter la nouveauté dans le déjà-ouï, et cela ne se peut faire instantanément. Or, l’on pressent que ce tiraillement sera l’intérêt du projet. Nous allons nouer notre serviette et profiter de ce que les artistes nous ont préparé en cuisinant des morceaux dans une sauce savamment retravaillée, avec, dès le titre d’ouverture,

  • harmonies piquantes,
  • balancement rythmique du piano,
  • vocalisation recherchée (notamment dans la répartition du texte entre
    • unissons,
    • changements de lead et
    • trio) et
  • forme en arche (violoncelle pizzicato à découvert au début et à la fin).

Le soin apporté

  • à la prononciation,
  • aux tenues,
  • à la variation des options d’arrangement

se retrouve dans « Sans bagages », agrémenté d’une coda amusante. « La solitude », elle, s’ouvre sur une intro pianistique bienvenue, utilisée comme riff et interlude. L’interprétation choisit de houspiller l’allégorie de la solitude avec des intentions appuyées et des rythmes de diction engagés. Aux chastes esgourdes, précisons que l’ensemble n’est pas écoutable si elles comptent s’offusquer de la raideur consubstantielle au lyrique et au travail à plusieurs

  • (mise en place rigide du texte,
  • emphase de caractère,
  • exagération contraire à la spécificité artistique de la chanson).

Voilà précisément ce qui rend le disque écoutable aux esgourdes moins rigides : il prend au sérieux le catalogue de Barbara et le traite avec une claire volonté de ne pas le ménager donc de changer le prisme d’écoute en le rhabillant des pieds à la tête,

  • changeant ici l’étoffe,
  • ajoutant çà un froissé,
  • ajustant là des accessoires qui, soudain, paraissent essentiels.

Ainsi, « Dis, quand reviendras-tu ? » s’ouvre sur les dissonances pianistiques  dont Émilie Moutin aime émailler sa partie. Avec elles,

  • l’alternance des voix,
  • la suavité des commentaires du violoncelle,
  • l’allant qui n’exclut pas l’attention aux tenues, et
  • l’arrivée de la nuance forte pour un dernier refrain enflammé

contribuent à capter l’attention.

 

 

Le modulant « Au bois de Saint-Amand » vaut pour son arrangement vocal rendant les contributions instrumentales dispensables (contrairement aux apparences, c’est un compliment). « Nantes » confirme la volonté des artistes de ne traiter que les mégatubes de la chanteuse – décision intelligible mais que l’auditeur peut aussi regretter tant elle contribue à dresser une fois de plus un portrait canonique d’une chanteuse univoque, alors que la femme piano avait aussi su se laisser à des embardées tant stylistiques que morales pimentant son personnage par-delà les postures et poses du personnage qu’elle affectait pour le public. Une longue intro partagée entre instruments et vent buccal, si si, ouvre la voie à une vision contemplative du premier refrain, dont la pulsation pertinente de Frédéric Dupuis façon contrebassiste tamise la langueur.
(Oui, je sais, « tamiser une langueur », c’est bizarre, mais il se trouve que le violoncelliste tamise la langueur du refrain. Je n’y peux strictement rien. Pour toute réclamation, adressez-vous à lui.)

  • L’expressivité vocale,
  • les mutations des arrangements,
  • la précision des ensembles et
  • les options harmoniques

tentent de porter plusieurs éclairages sur le texte. Ce palimpseste nous parle aussi de l’immensité des possibles offerts à un arrangeur, même dans un cadre clairement défini – ce qu’illustre l’écriture de la coda. Dans cette veine créative, Soleil de nuit enrichit « C’est trop tard » d’une intro atmosphérique qui construit habilement l’atmosphère de la chanson.

  • L’étrangeté de l’harmonisation liminaire,
  • l’alternance des écritures pianistiques, et
  • la gravité sans emphase de la coda en crescendo

traduisent un travail minutieux. Oh, certes (c’est ce qui l’aide à vivre), le chipoteur se plaît à sursauter devant certaines options de diction donc d’accentuation (« que feront-ils de tant de fleurs ? », avec l’accent sur le « ils »), la strictitude – eh oui – classique ne permettant pas de rendre la fluidité d’un chant non lyrique. De même, « Bref » surprend par l’inintelligibilité inhabituelle du début (celui qui entend « La fille pour son plaisir » et non « La fée » ou, amusant, « Latté pour son plaisir », a bien du talent). Cette syllabe mise à part, on a tout loisir de goûter

  • la simplicité apparente de l’accompagnement,
  • le plaisir coquin de la goualante au refrain, et
  • la gourmandise de la variété du traitement vocal.

Particulièrement apprêtée, « Parce que je t’aime » se pourlèche les babines

  • du parlando habité,
  • des toutoutou ouabidouba vocaux et instrumentaux enveloppant la séparation amoureuse dans un sourire, et
  • des sifflotements snappés à la coda.

Une façon très convaincante de conclure la première moitié de ce disque intrigant, dont nous évoquerons la seconde partie très bientôt.

 

À suivre !


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