Slava Guerchovitch, « Born in Monaco » (Odradek) – 2/4
Après un caprice de Bach, Slava Guerchovitch décide de s’attaquer au Tombeau de Couperin de Maurice Ravel, dont nous évoquerons ici les trois premiers épisodes :
- le prélude,
- la fugue et
- la forlane.
Fomentée durant l’horreur de la Première Guerre mondiale, la suite qui affirme s’inspirer – plus ou moins – d’un style musical du type dix-huitième siècle français, est aussi un mémorial en l’honneur des copains tombés au front. Le prélude salue ainsi le lieutenant Jacques Charlot, transcripteur pour piano de plusieurs œuvres de Maurice Ravel.
- Sur un tempo « vif »,
- avec douze doubles croches par mesure et
- dans la tonalité de Sol,
la pièce exige
- des doigts agiles,
- une grande vitalité et
- un sens poétique animant appogiatures et motorisme avec
- continuité,
- variété et
- sens du swing.
À ces prérequis, Slava Guerchovitch ajoute une qualité supplémentaire, tout aussi indispensable : la maîtrise du toucher qui lui permet d’éclairer la logique du mouvement, entre le caractère intrinsèquement fantasque d’un prélude et l’énergie d’une force légère qui avance sans faseyer.
La fugue, toujours en Sol mais à quatre temps, dédiée à Jean Cruppi, refuse la joliesse d’un sujet conventionnel pour privilégier
- le contretemps,
- le balancement et
- la fragmentation.
Slava Guerchovitch rend
- l’originalité de cette proposition ravélienne,
- la délicatesse d’une polyphonie essentiellement concentrée dans le registre médium, et
- la singularité (qui ne pardonnerait pourtant pas l’absence d’exigence)
- de l’harmonie,
- du rythme et
- de l’absence de brio donc d’esbrouffe.
Ici, rien à pardonner puisque l’on goûte
- la gourmandise des accents,
- la saveur d’une pédalisation qui ne floute jamais, et
- la simplicité d’un énoncé qui, loin de l’évidence accompagnant d’ordinaire la forme fuguée, ne renie pas sa part de mystère donc de poésie.
La forlane, premier golden hit du cycle, est dédiée à Gabriel Deluc. C’est une longue sicilienne en mi mineur, notée « Allegretto ». Slava Guerchovitch
- swingue le rythme ternaire et pointé,
- avive les changements d’intensité, et
- éclaire les finesses harmoniques.
Avec la prétention qui sied au critique improvisé, on salue
- la délicatesse de son toucher,
- son goût pour les accents autour desquels il fait pivoter l’élégance
- des appogiatures,
- des bariolages et (bientôt)
- des trilles, ainsi que
- la légèreté pertinente de sa main gauche.
La densité du propos pianistique s’aère grâce à
- un équilibre judicieux entre droiture et respiration,
- une dignité qui n’est pas indifférence, et
- une certaine sagesse qui ne verse jamais dans le didactisme bon teint de celui qui n’est encore qu’un tout jeune concertiste.
Dans le dernier tiers, la partie majeure
- rayonne de son espérance bridée mais solaire,
- vibre grâce à ses harmonisations parfois inattendues, et
- intrigue par son inscription dans le même balancement têtu qui court depuis le début de la pièce.
La coda, elle,
- respire,
- menace de danser pour de bon, puis
- s’éteint « sans ralentir ».
À la fantaisie qui accompagnait le caprice de Bach BWV 992, Slava Guerchovitch oppose presque frontalement une proximité avec le texte qui pourra paraître, au choix, idéale pour rendre raison des trouvailles ravéliennes sans les inscrire dans des falbalas sentimentalistes superfétatoires, ou quelque peu dénuée
- de l’impertinence,
- de l’élan et
- de la tension
qui ont participé de l’écriture de la suite. Il est loisible d’associer les deux opinions pour saluer une première moitié de Tombeau révérencieuse, certes, mais pas moins habilement troussée. La seconde moitié fera l’objet d’une prochaine notule !
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