Salle Pleyel, 5 novembre 2012
Le Pittsburgh Symphony Orchestra, dirigé par Manfred Honeck, se fait payer une tournée en Europe. Le 5 novembre, elle passait, chic, par Paris. Au programme : du tube et une petite originalité locale.
L’originalité ouvre le concert : nous avons sans doute entendu la création française de Silent Spring. Avec cette pièce d’une vingtaine de minutes, Steven Stucky, né en 1949, met en musique l’oeuvre écolo de Rachel Carson (dont la fondation co-finançait la compo). L’oeuvre s’ouvre sur des accents vaguement – ah, ah, on parle de mer – debussystes, puis, plutôt contemplative, alterne entre longues plages – hou, hou – et contrastes mettant en valeur le grand orchestre. Dans sa note d’intention, le compositeur revendique de travailler dans le domaine de la vie « émotionnelle », qui est « tout sauf spécifique, sémantique ou représentative ». En clair, le résultat, faisant montre d’un métier certain, est consonant, plutôt mignon sans être excessivement cucul. On regrette toutefois la pointe d’épices ou le style personnel qui donnerait envie d’en savoir plus sur ce compositeur dont on ignorait tout. Ce manque apparent de mordant s’expliquera-t-il par la nécessité de contenter les commanditaires ?
C’est en tout cas la tradition qui, après cette ouverture locale, exige un gros morceau avec soliste. Sur le grill ce soir-là, le Concerto pour violon en ré mineur de Jean Sibelius. L’archet est tenu par Nikolaj Znaider, qui présente la particularité d’avoir aussi été le chef de l’orchestre. L’oeuvre est techniquement redoutable : on raconte qu’elle permettait au compositeur de se venger des violonistes, lui-même ayant été recalé à une audition du Philharmonique de Vienne. Pourtant, rien de bien sorcier pour Nikolaj Znajder. Il est l’homme de la situation, faisant preuve d’une solidité tant physique que sonore et scénique (parfois, ça fait zizir de voir un virtuose qui semble heureux d’être sur scène et de jouer pour un public !). Le musicien dialogue avec l’orchestre quand il le souhaite, puis laisse les manettes à Manfred Honeck lors des passages où les contretemps dissocient le soliste de ses accompagnateurs. Malgré quelques passages où des décalages semblent perceptibles, et en dépit de cordes du Guarnerius – sponsorisé par les fenêtres Velux, lumineux – qui paraissent peiner à garder leur justesse (l’accord avant le dernier mouvement est un soulagement), le résultat palpite… du moins pour l’interprétation de Znaider. L’orchestre, lui, sonne atone. On craint donc le pire pour ce qui se passera après la pause…
En effet, un douiche et un coup de houblon plus tard, l’orchestre s’attaque au tube symphonique que la programmation polie impose. En l’occurrence, c’est parti pour la Neuvième symphonie en mi mineur de Dvorak, comme on dit quand on n’a pas d’accent à son clavier. Une surprise attend le public, et elle est de taille ! D’emblée, l’orchestre paraît métamorphosé. Le chef dirige par coeur et se transforme en un acteur de muet. Le voici extraverti, bondissant, moulinant, balayant l’orchestre de larges gestes, dansant sur son estrade comme un petit pois mexicain entre les fesses d’une ample dondon. Les zicosses pittsburghiens (?) le suivent d’emblée dans des tempi extrêmes, tour à tour échevelés puis redoutablement dilatés. L’auditeur est saisi par l’engagement requis et la vision spectaculaire de la pièce. Ces signes distinctifs sont-ils personnels – Manfred Honeck affirme faire de cette pièce « un enjeu personnel » dans le programme distribué au public ? ou signalent-ils une interprétation à l’américaine, via cette tendance à tout surligner voire à en faire des caisses, entre musicologie (le chef préférant mettre en avant le tchèque sound au détriment du « Nouveau monde » évoqué par l’exilé), délires (« Dvorak aurait certainement été ravi d’apprendre qu’Aldrin écoutait, semble-t-il, sa symphonie durant son vol vers la Lune ») et, disons-le, soupçons de mauvais goût. Reconnaissons que cette version n’hésite pas à associer délicatesse sporadique, souffle tempétueux et contrastes poussés au plus haut. Dès lors, il faut apprécier les décalages apparents et les fausses notes patentes à l’aune de cette originalité…
D’ailleurs, as far as we are concerned, c’est bien cela qui prédomine, avant les deux bis caricaturaux (la fanfare et le ploumploum pour faire pleurer les grands-mères) offerts comme il se doit par l’orchestre en tournée : le plaisir d’une interprétation, certes imparfaitement maîtrisée, loin du « beau son », excessive donc emportée, d’un pilier du répertoire symphonique, dont nous avions entendu une lecture tristounette tantôt. Même si la précision manque, cette version clinquante, improbable, exotique, séduit l’auditeur venu, après tout, pour ouïr un orchestre américain dans sa spécificité allogène. Vivent, donc, les bizarreries joyeuses !