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Steve Reich et Kristjan Järvi. Photo : Josée Novicz.

Steve Reich et Kristjan Järvi. Photo : Josée Novicz.

Chaque année, la Cité de la musique invite Steve Reich pour (au moins) un grand concert minimaliste. Cette année, c’est à Pleyel que l’orchestre et le chœur MDR (non, pas mort de rire) de Leipzig lui rendaient hommage ; et nous y étions, boum.
La première partie s’ouvre sur Clapping Music, pièce pour deux claqueurs de mains, Steve Reich et Kristjan Järvi. On a du mal à prendre au sérieux cette pièce, même si elle illustre le principe du décalage sans s’encombrer de hauteurs de sons (un type frappe toujours la même chose, l’autre décale ses frappes différemment au cours de l’exécution). Pour nos oreilles, snob il est vrai, aucun intérêt, sinon de nous faire attendre avec plus de gourmandise Duet, la seconde pièce pour orchestre de cordes et deux violons solistes. La simplicité de l’œuvre (accompagnement épuré, léger décalage, passages du majeur au mineur et retour) met en appétit, d’autant que la durée de cinq minutes est suffisante pour cerner le procédé, l’auditeur ayant hâte de découvrir « autre chose » avec le troisième Reich (I know, but I couldn’t help it).

Piano et synthé avant la bataille. Photo : Josée Novicz.

Piano et synthé avant la bataille. Photo : Josée Novicz.

The Four Sections, composée en 1987 et première grande pièce de la soirée (25′), s’articule, en quatre mouvements, autour de quatre groupes orchestraux (cordes, cuivres, bois, percussions). Après une entrée progressive, qui met en valeur la beauté du son d’ensemble du MDR Sinfonieorchester Leipzig, l’orchestre s’efface pour laisser le thème renaître dans un ressac où l’on perçoit le métier de l’orchestrateur. Le ressassement gronde, entre unissons pas toujours parfaitement synchrones et fond des synthétiseurs, que vient briser, après un quart d’heure un peu longuet, le surgissement d’un piano. La brève deuxième section fait en effet résonner deux vibraphones et deux pianos, ornés de percussions annexes (grosse caisse). L’interrompt l’arrivée de la troisième section, lancée par les hautbois, avec bois et cordes et effets de résonances provoqués par des accords répétés. La mise en valeur d’autres pupitres (belles clarinettes) soutient l’attention, même si le procédé paraît trop systématique pour nous séduire vraiment – oui, même dans la musique répétitive, un chouïa de créativité et d’inattendu nous convient. La dernière section entraîne l’orchestre dans un dernier crescendo où le mélange des timbres et le martèlement bancal des pianos et des vibraphones précipitent l’auditeur dans un sentiment contradictoire : du savoir-faire, des trouvailles, mais une impression de longueur, plus que de langueur, que l’éloge du répétitif ne parvient pas, pour nous, à justifier sur la durée. Peut-être les tempi lents privilégiés par le chef (total de 27’30 contre 25′ demandée par le compositeur) participent-ils de ce léger déficit d’énergie et de surprise que nous regrettons…

Kristjan Järvi. Photo : Josée Novicz.

Kristjan Järvi. Photo : Josée Novicz.

Après la pause, The Desert Music sollicite un grand orchestre et un chœur amplifié, pour une pièce de trois-quarts d’heure créée en 1984 et construite en cinq mouvements. À l’incipit atmosphérique partagé entre instruments et chanteurs, succèdent l’entrée des violons entrent qui se décalent autour d’une pulsation rythmique entêtante. Et la souffrance de l’auditeur ne tarde pas à commencer : le criaillement des sopranos, il est vrai très sollicitées dans les aigus puissants, surprend chez un ensemble reconnu comme une référence dans l’interprétation de cette musique. Le manque de soutien des ténors, dont les tenues semblent tendre vers le faux, fait craindre lui aussi le retour des parties chantées, qui déclinent des fragments poétiques de William Carlos Williams, un auteur défunt dont le compositeur est fan. Le contraste percussif (feat. maracas et flûtes sautillantes) qui surgit enrichit la partition en aérant l’atmosphère pesante que le compositeur excelle à installer. La musique du désert, réfléchissant sur les bombes atomiques de 1945, oscille ainsi entre pulsations et harmonies inquiétantes, rythmée par des contrastes (nuances, effectifs orchestraux) qui soutiennent l’intérêt. Des saccades sautillantes accompagnent la section centrale, celle qui rejoint la déclaration de foi de Steve Reich (« it is a principle of music to repeat the theme, repeat and repeat again »). L’ensemble dirigé par Kristjan Järvi est alors à son meilleur : les plans sonores sont clairs, les attaques sont nettes, et les choristes sont plus musicaux que dans leurs forte (même si on croit remarquer que certains roulent les « r »… et pas tous). La structure « en arche », donc symétrique, conduit le compositeur à reproduire les éléments qu’il a préalablement mis à profit : ruptures, rythmes quasi latino, entrées des violons sur pulsations des vibraphones, crescendo/decrescendo… La symbolique de ce choix participe du souci de rendre la musique non-événementielle : c’est la répétitivité, d’une séquence ou d’une formule reprise à l’identique ou inversée, qui signe la beauté selon Steve Reich.
Pas sûrs que la pièce nous en convainque… Ses aspects les plus intéressants, pour nous, résident davantage dans les trouvailles de rupture, la science orchestrale du compositeur et les contrastes d’atmosphère que dans le retour de procédés déjà exploités dix ou quarante minutes plus tôt. N’empêche que la fin « en mourant » est bien rendue par l’orchestre et le chœur, nous conduisant à deux impressions : une curiosité maintenue pour une musique à notre sens inégale, entre astuces joliment maniées et facilités maniérées ;  et un plaisir de pouvoir entendre, dans les conditions parfaites de Pleyel, une heure trente de musique contemporaine – même déjà vieille de trente à quarante ans – qui pousse à la réflexion et à la stimulation de l’oreille. Un bis bref et énergique, extrait des Three mouvements, est une jolie politesse offerte aux auditeurs globalement  enthousiastes de ce concert, disponible ici jusqu’au 5 novembre.