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L'Orchestre du Théâtre du Mariinsky avec Vadim Repim. Photo : Josée Novicz.

L’Orchestre du Théâtre du Mariinsky avec Vadim Repim. Photo : Josée Novicz.

La salle Pleyel est comble pour la dernière séance, contrastée, de l’intégrale des concertos et symphonies de Chostakovitch par le Mariinsky dirigé par Gergiev. Pour les gourmands, la vidéo est disponible ici jusqu’au 18 juin.
La première partie propulse le Concerto n°1 pour violon, avec Vadim Repim au vibrato. L’œuvre, rugueuse en apparence, joue cependant la carte des contraires et contrastes. Le premier mouvement, pesant, asphyxie l’auditeur dans une masse grave impressionnante. L’Orchestre du théâtre Mariinsky se délecte ; et le soliste pose son jeu en privilégiant l’attaque « par dessous » qui dilate la durée de la note en faisant attendre sa vraie hauteur. Succède à ce mouvement poisseux un défouloir virtuose, marqué par le changement de rôles (le soliste accompagne çà et là l’orchestre, les bois lui volant ensuite la vedette avant que la frénésie de l’archet ne reprenne le pouvoir…). Les modifications de rythme et de tempi permettent de relancer la composition et de laisser s’exprimer la vélocité stupéfiante de Vadim Repim.
Le troisième mouvement s’ouvre alors par un thème clairement identifiable – chose rare chez Chostakovitch, qui préfère user d’écarts, de rythmes caractéristiques ou de leitmotives – qui va circuler de pupitre en pupitre, un brin alla passacaille. Le soliste en profite pour montrer une troisième palette de sa personnalité : après le sens de l’interprétation, dans le mouvement sombre, et, dans le scherzo, la virtuosité ébouriffante, voici venu le temps  du poète quasi romantique, facette peu sollicitée par le compositeur – à l’arrivée des huit concerts d’intégrale, il est temps d’en faire le constat ! La cadence redoutable qui clôt le mouvement demande au soliste de jouer de toute la palette de son instrument (doubles cordes, accélérations, différentes attaques d’archet, démanchés perpétuels…). Encore une fois, Vadim Repim, en maître de la technique qui n’a rien à prouver, privilégie le rendu musical à la perfection du son.
Puis, quand claquent les timbales, le dernier mouvement emporte soliste et orchestre dans un dernier tourbillon que Valery Gergiev tente de canaliser – on ne doute pas, toutefois, de l’utilité, pour la captation, de la reprise en bis de cette partie difficile où il faut à la fois de la virtuosité, de la synchronicité et, quand même, de la musicalité pour ne pas rester juste dans l’effet qui, quoique waouh, donnerait un goût de plastique à ce plat gouleyant. En résumé, Vadim Repim offre une interprétation habitée d’une composition qui n’est peut-être pas celle qui nous passionne le plus chez le musicien, mais que la bigarrure et l’exigence des musiciens rendent intéressante – voire, par moments, impressionnante.

La dernière note du bis de Vladimir Repim, volée par Josée Novicz.

La dernière note du bis de Vladimir Repim, volée par Josée Novicz.

La seconde partie assène la Symphonie n°11, gros ensemble d’une heure, considéré par certains comme le chef-d’œuvre orchestral du compositeur. Et pour cause : tout ce que les choskvitchophiles aiment s’y trouve, animé par une hauteur de vue et un savoir-faire spectaculaire. Harmonies sublimes dès l’ouverture du premier mouvement, valorisation de chaque pupitre de l’orchestre, déclinaison des thèmes, variété des styles (à-plats des cordes, fanfare furieuse, marches triomphales, chansons folkloriques…), progressions et contrastes, souffle et énergie… Malgré quelques rares couacs, bien compréhensibles et nécessaires au live, solistes et orchestre livrent une version puissante et sensible de la composition. Même si, à notre habitude, un peu de tension rythmique dans les parties calmes ne nous aurait pas déplu, ce soir-là, l’option de Valery Gergiev – qui paraît de temps en temps laisser lâche, à dessein, la bride au cou de son orchestre – est défendable. Pour deux raisons : la composition ne connaît pas de temps morts, une idée succédant à l’autre sans le moindre tunnel ; l’orchestre est capable de sonorités splendides, qu’il serait probablement dommage de contraindre en donnant l’impression de presser. En effet, entre la virtuosité des musiciens, la capacité à créer un son cohérent et la force de l’œuvre choisie pour clore ce grand bal du « Mariinsky à Pleyel », que demander de plus ? Un shot de vodka, peut-être, pour faire couleur locale (Joe le prétexte).
En conclusion, l’intégrale Chostakovitch par Gergiev était passionnante, car la masse et la diversité des pièces excluent toute lassitude. Certes, le choix de monter les pièces sans considération de la chronologie, afin de privilégier le confort d’audition… et le budget (par exemple en ne faisant venir le chœur que pour une session), empêche d’essayer de sentir les évolutions du compositeur, ce qui devrait être l’un des charmes d’une intégrale. Reste la qualité patente des prestations proposées, l’excellence des solistes, la beauté de l’orchestre et la maîtrise du travail colossal présenté au public parisien. Un beau job.