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Orchestre de Paris, salle Pleyel, 12 mars 2013. Avec notamment Roland Daugareil (2ème à gauche) et Marek Janowski, qui a un coup (d'archet) dans le nez.

Orchestre de Paris, salle Pleyel, 12 mars 2013. Avec notamment Roland Daugareil (2ème à gauche) et Marek Janowski, qui a un coup (d’archet) dans le nez.

Après la démission de Anja Harteros, l’Orchestre de Paris a monté in extremis un programme exclusivement instrumental dans une salle forcément très clairsemée.
La première partie s’ouvre par Mort et transfiguration de Richard Strauss (25′), un poème symphonique en quatre mouvements enchaînés. L’orchestre est massif, avec cuivres et percussions de rigueur. D’emblée, Marek Janowski semble affirmer ses directives : pas de spectaculaire, peu de pathos, mais des nuances volontiers fondues-enchaînées. Les premières mesures présentent des piano maîtrisés, qui donnent à entendre l’orchestre sous son meilleur aspect. Par la suite, on regrette que la phalange capitale (je sais, mais, dans l’immédiat, j’ai pas d’autre synonyme en tête pour « orchestre parisien ») ne laisse pas éclater la puissance de la composition : peu de fortissimo réellement éclatants, comme s’il s’agissait de privilégier la musicalité sur la puissance de l’écriture orchestrale. Cette option se révèle très précieuse dans une grande partie de ce « poème symphonique », qui s’ouvre et se ferme sur un murmure magnifique ; mais elle eût sans doute été plus gouleyante à nos ouïes si elle avait plus nettement contrastée avec de toniques scènes de batailles en milieu de bal.
C’est d’ailleurs cette même impression de manque de tonicité qui catalyserait nos menues critiques pendant l’audition de la Huitième symphonie de Franz Schubert (25′). La pièce, il est vrai, est curieuse : dans le premier mouvement archicélèbre, la force des thèmes s’associe avec la science des marches harmoniques, le tout subtilement distillé entre les pupitres ; dans le second, le compositeur joue davantage sur le développement d’un matériau récurrent qu’il prend plaisir à exploser puis à réexposer entre deux variations ou digressions. Manque au moins un dernier mouvement – d’où l’appellation fantasmatique de « symphonie inachevée ». L’Orchestre de Paris, qui a glissé cette pièce dans le concert pour pallier la défection de la soprano, rend bien, malgré quelques apparences de décalages sporadiques, l’élégance et la subtilité d’une œuvre réellement séduisante. Les vents (clarinettes, flûtes, hautbois en premier chef) jubilent, et l’on apprécie les sonorités très caractérisées des solistes, Pascal Moraguès en tête. Et cependant, en dépit de la beauté de la composition et de la qualité d’ensemble des musiciens, peut-être parce que nous sommes grognon de nature, il nous manque une petite pincée d’énergie, de dynamisme, d’allant qui pourrait complètement nous emballer.
Après la pause douiche-champagne, la brève seconde partie poursuit l’assèchement de l’orchestre : après que celui-ci s’est allégé en passant de Strauss à Schubert, le voici réduit à un ensemble de vingt-trois cordes solistes pour les Métamorphoses de Richard Strauss (25′). Magnifique est cette pièce, qui sonne comme un quatuor à cordes amplifié, avec des thèmes qui montent des contrebasses aux violons, puis s’égaillent parmi les musiciens, gonflent, s’essoufflent et grondent de nouveau. Les bien-cultivés y lisent des allusions à la destruction de l’Opéra de Munich (l’œuvre est achevée en 1945) et à tel thème beethovénien : franchement, on s’en tampiponne le bibobéchon, tant chaque audition de la pièce saisit. Les musiciens de l’Orchestre de Paris, presque sans un regard pour leur chef, réussissent une belle version, très cohérente, d’où émergent cependant quelques sons singuliers qui ajoutent du piquant. Là encore, un soupçon d’énergie supplémentaire, ou à tout le moins un zeste de tension retenue par moments, aurait achevé de nous convaincre.
Restent un programme tronqué mais bien construit, des interprétations parfois prudentes mais de bonne facture, et cette impression de sérieux et de qualité qui, associée aux précédentes qualités, font, en dépit du faux bond d’Anja Harteros, les bons concerts de Pleyel ; d’ailleurs, pour une fois, les applaudissements nourris du maigre public traduisent avec pertinence cette joyeuse impression. Alléluia (même si, bon, en Carême, c’est de mauvais goût, point n’en disconviens-je) !