Salle Pleyel, 11 novembre 2013
Le jour anniversaire de l’armistice est donné le premier des deux concerts du Cleveland Orchestra, dont la venue a bénéficié d’une pleine page de Libération en guise de teaser, c’est dire. Pourtant, la salle, même « libérée » de son arrière-scène – squattée par le chœur – est loin d’être pleine, les ouvreuses du deuxième balcon incitant les spectateurs à descendre se replacer en orchestre. Peut-être la brièveté du programme (1 h 10 de musique annoncée) et le prix des places (50% de plus pour les premières catégories) ont-ils dissuadé d’éventuels clients, en dépit de pré-critiques ultra-flatteuses, faisant du Cleveland Orchestra le Philharmonique de Vienne version États-Unis. Avant de rendre compte de ce que nous avons entendu, signalons l’appréciable et désormais rarissime absence de parasites visuels : pour une fois, la scène n’est pas bardée de micros. C’est un détail, mais presque comme, soyons poètes, le sel sur une bonne bavette d’aloyau – un détail qui compte, donc. Mais quid donc du plat de résistance ?
Deux œuvres sont au programme. Le concert s’ouvre par la Messe en ut majeur de Ludwig van Beethoven (42′). Réputée pour avoir été massacrée à sa création, plus de deux siècles plus tôt, la composition s’inscrit dans la tradition classique de la musique de commande. Elle donne l’occasion d’apprécier la qualité d’un orchestre au son riche et aux bois remarquables ; celle aussi de noter la belle homogénéité du chœur, bien que certains départs « bavent » un tantinet (ainsi du « Chr/chr/christe ») et quelques attaques paraissent pas tout à fait justes ; celle enfin de s’offusquer des prestations des solistes mâles. Ruben Drole, basse, manque de graves et poitrine pour impressionner : effet raté. Quant à Herbert Lippert, en dépit d’une prestance à l’américaine, il ne fait pas longtemps illusion. Ses dernières interventions à découvert tournent au grotesque, avec cette émission ténue et cette imprécision fragile qui occasionnent des notes et des sons pour le moins saugrenues. Après des premières notes hésitantes, Luba Orgonášová, sosie capillaire de feue Marie-Claire Alain, assure vaillamment sa partie ; la mezzo Kelley O’Connor semble tenir la route malgré des changements de registre qui paraissent parfois perfectibles. Ce nonobstant, les quatuors ne sonnent pas si mal, et la partition est idéale pour découvrir orchestre et chœur, grâce à la variété des effectifs requis pour chaque séquence. Sur l’interprétation elle-même, on eût sans doute apprécié plus d’allant et plus d’énergie, afin de mieux goûter les passages plus posés, ici un chouïa noyés dans une manière de retenue permanente, belle mais un peu mouchmolle : on attend plus de l’orchestre vedette !
Et ça tombe bien, boum, car après la pause club-vouvray (en supplément), ledit orchestre se lance dans la Symphonie n°6 de Dmitri Chostakovitch. Loin d’être la plus impressionnante, c’est cependant l’une des plus belles des quinze. Elle s’ouvre par un Largo très lent, où le compositeur ressasse un même thème en utilisant tout l’orchestre par petites ou grandes touches. On apprécie des trouvailles, comme cette valorisation des cordes graves de la harpe, et des associations savoureuses telle celle qui mêle le célesta aux cordes. Les deux mouvements suivants contrebalancent cet apparent statisme en projetant l’orchestre dans une frénésie de notes, que la phalange américaine rend avec la virtuosité requise. Les solistes tricotent, le tutti réagit avec pertinence, et la direction de Franz Welser-Möst mène tout le monde à bon port. La prestation est limpide, et semble donner des ailes à l’orchestre qui, fidèle à la tradition des musiciens en tournée, offre un bis royal que nous supposons être la deuxième ouverture pour Fidelio. Cette fois, leur Beethoven est plus alerte, plus tendu, comme dopé au Chostakovitch, donc débarrassé de la chape compassée qui pesait, selon nous, sur la Messe liminaire. Bonne dynamique à confirmer dès le lendemain, dans un programme similaire Beethoven et Chostakovitch. What a suspense!