Salle Pleyel, 11 décembre 2012 : Nina Stemme
Le 11 décembre, Nina Stemme était à la salle Pleyel pour affronter son paradoxe. Vedette montante des soprani wagnériennes, elle justifie le concert de ce jour et sa diffusion en direct sur France Musique. Mais, faute de combattants sans doute, les spectateurs placés en arrière-scène sont repositionnés à l’arrière du parterre. Peu de monde, proportionnellement, donc ? Certes, d’autant que les tarifs habituels n’ont pas été augmentés pour la venue de la Suédoise. Et pourtant, après la mi-temps, quand la soprano a fini sa prestation, la salle, connement, se vide – c’est le paradoxe Stemme : à la fois pas si connue que ça en France, et cependant enveloppée de fans.
Le concert, financement par le bar oblige, était donc constitué de deux parties. La première partie associe la cantatrice à l’Orchestre de chambre suédois, dirigé par Thomas Dausgaard. Le programme est séduisant : il fait alterner intermèdes orchestraux et mélodies ; et, à l’intérieur des mélodies, airs nordiques (Grieg, Sibelius), lieder germanophones (Wagner – un extrait des Wesedonck-Lieder que la semi-vedette a enregistré avec ce même orchestre pour un disque à paraître en 2013, Strauss, Schubert), tube francophone (« Le spectre de la rose » de Berlioz) et air de musical (« The Saga of Jenny » de Kurt Weill, dans une orchestration idoine d’Olov Helge). L’idée de la diversité unie autour d’un thème pour le moins large (Love, hope & destiny) est joyeusement soutenue par des efforts cheap mais bon enfant de costume et même, chose rare dans un presque-récital, de scénographie (y compris le jeu jeannemassien en rouge et noir pendant la Pavane pour une infante défunte).
Ces facéties allègres, malgré les textes chantés où la trahison amoureuse et la mort sont obsédantes, n’excluent pas des moments d’excellence musicale : ainsi, l’ouverture de Coriolan de Beethoven montre d’emblée un orchestre soudé, précis, engagé ; pas grand-chose à reprocher au semi-sosie de Waltraud Meier dans le Morgen de Strauss ; belle interprétation « dans l’esprit » du texte d’Ira Gershwin mis en musique par Weill, etc. Parmi les musiciens, le regard circule, et le sourire – chose rare dans les formations de très haut niveau – trahit une complicité musicale dont l’auditeur profite. Le chef, qui dirige par cœur, veille au grain. Surtout, Nina Stemme assure vaillamment sa partie, osant des nuances piano séduisantes et montrant une aisance convaincante tant dans le registre grave digne d’une mezzo que dans les quelques aigus qu’elle distille çà et là. On pourra soupçonner quelques faiblesses, peut-être liées à l’aspect bâtard du concert (une sorte de récital avec orchestre, néanmoins doté d’un programme un peu léger pour justifier une préparation assez importante) : le lied dialogué avec le violoncelliste semble passer ric-rac, le souffle et la prononciation du « Spectre » sont assurément perfectibles… Mais, même si cette petite heure de musique et chant enchaînés paraît courte, ce qui est plutôt un compliment, l’originalité du propos, la variété de la voix, l’incarnation rigolarde de cette Jenny qui nous conseille de ne pas « make up our mind » emportent l’adhésion. D’autant que la soprano a la grâce de coincer de façon très vilaine sur une dernière prise de risque, lors de la reprise du Jeg elsker deg de Grieg en bis, prouvant ainsi que, même à haut niveau, même sur des airs connus et a priori sans danger, un concert reste un rique permanent que la déconcentration ou l’inattendu peut pimenter à tout moment. C’est l’intérêt de la musique vivante : la fausse note dans un océan de musique vraie est, ici, plus touchante que choquante !
D’autant que, lors de l’entracte, la vedette accepte que les fans et autres directeurs artistiques de microfestivals viennent la rencontrer backstage. Elle sourit, prend le temps de faire des photos et de les refaire (« hope you have a red eye device », lance-t-elle quand un flash arrive), glisse qu’en février 2014, elle sera à Bastille pour La Fianciulla del West… alors qu’elle n’a toujours pas ôté sa curieuse perruque à la Mireille Mathieu en encore plus moche, ce qui est une performance notable. Sympa et pro.
La seconde partie s’ouvre devant une salle Pleyel franchement clairsemée. Autour de nous, seuls les invités suédois semblent avoir « fait l’effort » de rester ; et l’on exagère à peine ! Pourtant, l’Orchestre de chambre suédois propose une appétissante Cinquième symphonie de Beethoven. L’interprétation de ce classique (il s’ouvre, doit-on le rappeler, sur le célèbre « pom pom pom pooom ») met en valeur les qualités de l’ensemble : énergie, souplesse (les tempi ne crachent pas sur les accélérations et les effets de rubato, quitte à frôler de brefs instants un concept qui serait à mi-chemin entre la vision personnelle du chef et une forme de facilité abusive), sonorités chambristes (on reconnaît distinctement certains musiciens, notamment les violon et violoncelle solistes)… C’est entraînant, séduisant, et cependant on n’est pas sûr que tout soit archi calé – la justesse paraît, sur de petites phases, limite ; et la préposée aux timbales nous semble avoir régulièrement un p’tit retard à l’allumage. Est-ce une illusion ? Possible. Car, en fin de compte, on retient surtout la variété des nuances, l’engagement audacieux à mille lieues d’une lecture plan-plan, bref, une véritable interprétation, ce qui n’est pas toujours garanti quand un ensemble s’attaque à un tube aussi massif.
Pour finir joyeusement, la bande à Dausgaard offre, en bon orchestre invité, trois bis, dont la Danse hongroise exécutée pied au plancher, pour le plaisir. Effet garanti : moins époustouflé par la célérité dégingandée (je sais, c’est pas clair, mais je voulais dire à la fois que ça allait vite et que, bon, le but n’était pas non plus de prendre la tête à Papineau avec des questions musicologiques) que par la vitalité souriante de ces petits cadeaux d’adieu, le public encore sur zone fait un triomphe à l’Orchestre de chambre suédois. Ce programme, bizarre mais original donc séduisant, le valait bien.