Reinhold Friedrich et Eriko Takezawa, « Sonatae e variácie » (Solo musica) – 4/6
Plus connu pour être le dédicataire de la Première symphonie de Sergueï Prokofiev ou pour avoir été un chouchou du stalinisme – notamment en tant qu’auteur – que pour avoir laissé des earworms dans la tête de nos contemporains, Boris Asafiev est néanmoins le quatrième compositeur rare choisi par Reinhold Friedrich et Eriko Takezawa dans le cadre de leur promenade dans les sonates pour trompette et piano de la première moitié du vingtième siècle. L’œuvre est organisée en quatre mouvements.
Le premier est un allegro en Si bémol écrit « in modo classico ». À quatre temps, la mesure s’amuse de la confrontation entre une battue très rigide, marquée par les octaves du piano, et une oscillation entre ternaire et binaire.
- Accords répétés,
- variations de registres,
- contretemps,
- questions-réponses entre les deux partenaires et
- jolie variété de nuances
accompagnent les frictions rythmiques et harmoniques donnant son allant au mouvement jusqu’à sa fin joyeusement caricaturale. L’adagio en Mi bémol mais pas que part sur un rythme syncopé. Le cantabile est somptueux.
- La sonorité chaude de la trompette,
- l’assurance jamais planplan du piano accompagnateur, et
- l’art très soviétique à dérégler une mécanique quand elle risquerait de s’empâter dans un contentement bourgeois
conduisent à une mutation de tonalités et de tempo. La deuxième partie du mouvement est annoncée « più andante ». De caractère plus tourmenté, ce segment associe plusieurs caractéristiques aperçues dans le premier mouvement. Boris Asafiev y confirme son goût pour
- le contretemps,
- la friction entre binaire et ternaire,
- les accords répétés et
- une certaine fluidité voire liberté tonale.
Cette inclination pour l’insaisissabilité et la contradiction se manifeste dans l’indication suivante : agitato ma sempre andante. Le segment conduit à un maestoso triomphal, floqué fortissimo, qui semble vouloir faire sauter la baraque avant de s’évaporer en decrescendo vers le rappel du tempo et de l’atmosphère initiaux.
- Embardées,
- soubresauts et
- surprises
conduisent à une coda apaisée à jouer « molto tranquillo ».
- La justesse des tenues de Reinhold Friedrich,
- la polymorphie du piano d’Eriko Takezawa, ainsi que
- la richesse
- harmonique,
- rythmique et
- de caractère d’une partition rhapsodique en arche
participent d’une écoute où le plaisir des moments apaisés se double du frisson canaille que procurent des sorties de route finalement bien contrôlées.
Le troisième mouvement est un scherzo en Fa. La « plaisanterie » renvoie le souci du legato aux oubliettes. Ici, ce sont
- la solidité des lèvres,
- la longueur du souffle,
- la précision des respirations, et
- la résistance à l’effort
du trompettiste qui sont testées sous des airs de boutade pimpante. La partie centrale, « poco meno mosso » et en Si bémol, confirme le métier d’un compositeur caméléon capable de tourner sa casaque stylistique avec maestria. Les interprètes n’hésitent pas à en profiter pour agrémenter le da capo d’un mid tempo virant à l’accélération malicieuse et maîtrisée. L’astuce
- est plaisante,
- évite l’impression de copier-coller sans enlever la joie des retrouvailles, et, plus profondément,
- rappelle le rôle des interprètes talentueux, lequel n’est pas tant de jouer des notes que de faire vibrer l’auditeur en caractérisant pleinement les spécificités de chaque moment musical, même dans des mouvements qui semblent allègrement monolithiques.
L’aventure ne s’arrête pourtant pas au terme de ce feu d’artifice où la virtuosité du cuivre n’éclipse jamais la connivence qui lie soliste et accompagnatrice. S’avance à présent une sarabande en Si bémol, marquée andante moderato et équilibrant la sonate puisque, grâce à elle, les mouvements à 3/4 réalisent une dernière remontada et égalisent face aux mouvements binaires. Le finale porte fièrement la patte asafiévique avec, notamment, des octaves solides, ici marqués « pesante », et des cahots rythmiques très efficaces
- (contretemps,
- friction binaire / ternaire,
- changements de mesure,
- agogique exigée associant
- ritendi,
- retour au tempo primo,
- nouveau changement de tempo, etc.),
comme si le compositeur proposait une synthèse de son langage en guise de péroraison. Le dernier volet associe
- allant,
- swing et
- solennité,
le tout serti dans une capacité à nuancer ensemble qui balaye un spectre assez large pour osciller entre fortissimi éclatants et pianissimi d’une impressionnante intensité.
- Brio de la technique (avec le plaisir suprême du trompettiste qui consiste à ajouter un trait final non écrit mais parfaitement connecté à l’esprit de la partition),
- sens du rythme,
- hauteur de vue permettant la caractérisation des différents éléments de langage mais aussi la préservation d’une unité de ton, indispensable à la continuité du récit,
contribuent à offrir au mélomane ignorant que nous sommes une nouvelle découverte aussi passionnante et plaisante que les trois premières. La prochaine notule nous fera mettre sur le plateau de notre mange-disques la sonate de Jean Hubeau. Ça s’annonce bien !
À suivre…
Déjà disponible
Les Variácie pre trúbke a klavír d’Alexander Albrecht
La sonate de George Antheil
La sonate de Harold Shapero
Bientôt disponible
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