Rachel Koblyakov joue toute seule (Orlando Records) – 2/5

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Première du disque. Photo : Esther Assuied.

 

Voici le premier enregistrement du premier opus officiel d’Orlando Bass : près d’un siècle après la sonate de Paul Hindemith ouïe tantôt, le Franco-Britannique, familier des habitués de ce site, griffonnait trois mouvements qui bousculent le disque et le font basculer dans un répertoire plus abrasivement contemporain. Dès l’ouverture du premier mouvement, le compositeur et sa porte-voix embrassent un large spectre musical, en termes

  • de registres,
  • de nuances,
  • d’attaques,
  • de phrasé et
  • d’atmosphères.

 

 

La musique semble sourdre des tensions qu’installe Orlando Bass. Ainsi,

  • des crescendi lents ou brusques dialoguent avec des silences ;
  • des lignes ascendantes clairement identifiables se frottent à des secondes statiques et répétées ;
  • des espaces interrogatifs malaxent le matériau sonore jusqu’à ce qu’une impulsion furibonde dissipe ces étranges méditations.

D’un point de vue structurel, le compositeur joue également sur l’opposition fructueuse entre

  • morcellement vigoureux du discours en blocs apparemment indépendants,
  • fragmentation de l’énoncé à l’intérieur même du bloc et
  • répétitions semblant guider l’auditeur en lui fournissant des repères grâce aux
    • itérations insistantes,
    • échos allusifs et
    • reprises de briques musicales à l’identique ou avec une variante.

Motifs et modifications permettent à Rachel Koblyakov de déployer la richesse de son son (si). Car, outre la vigueur de son archet, la violoniste voit sollicités sa capacité à créer sans cesse de nouvelles couleurs, passant

  • du gris spongieux des piani inquiétants
  • aux rouges noirâtres des explosions aiguës
  • en passant par un camaïeu kaléidoscopique zébré d’éclairs de plus en plus éblouissants…

et retour. Dans la cyclicité presque marine de cette houle qui frappe, se reforme et frappe encore, semble se tramer comme un portrait du musicien :

  • le compositeur évoquerait alors la pulsion de créativité qui ne peut perdurer éternellement donc doit s’éteindre pour renaître ; et
  • l’interprète chanterait la fragilité de son travail qui consiste à élever les âmes et soulever les cœurs – tout en sachant que music shall all your cares beguile, mais only for a while, ainsi que le sous-entendrait le superbe et long decrescendo final, ponctué de pizzicati incapables de retenir ce son filé.

 

 

Le deuxième mouvement surprend en s’ouvrant mezza voce sur un thème dansant, presque une gigue lente. Bientôt, cependant, un commentaire déborde la mélodie, comme si le compositeur se sentait à l’étroit dans cette forme et tenait au plus vite à s’en échapper. Le développement semble ainsi prendre plaisir à désosser le sujet, conservant la carcasse rythmique caractéristique (quitte à la bousiller un peu, elle aussi) après l’avoir libérée de la chair mélodique qui l’habillait. Or, celle-ci persiste et grouille encore. Entre ironie grimaçante et sadisme souriant, Rachel Koblyakov fait briller la partition par

  • l’expressivité de son jeu,
  • sa capacité à changer de caractère d’une note à l’autre et
  • son art complémentaire d’instaurer un climat spécifique par l’association immédiatement parlante
    • d’un timbre,
    • d’une dynamique et
    • d’une nuance.

Avec elle, nous assistons, captivés, à la trituration destructive (et pourquoi pas ?) d’un thème qui, au mitan du mouvement, se fait cogner dessus sans ménagement.

  • Passages détimbrés,
  • pizzicati énigmatiques,
  • silences suspensifs et
  • glissendi évocateurs

jubilent à réinventer, jusqu’au dernier souffle de la corde, les trois notes matricielles et la mélodie dont elles sourdent.

 

 

Le troisième mouvement commence en pizzicati. Se faufile ainsi une fugue à deux voix que les pizz, qui plus est après un abondant usage d’un archet volontiers flamboyant et parfois fulminant, rendent à la fois

  • étrange,
  • grotesque et
  • saisissante.

L’interprète

  • travaille la disposition des accents,
  • caractérise la sonorité des registres balayés par la partition,
  • nuance cette marche semi-claudiquante avec une largeur de spectre étonnante,

bref, happe notre attention et ne la lâche plus.

  • Octaves,
  • arpèges,
  • questions-réponses et
  • contrastes énergiques

témoignent

  • d’une virtuosité,
  • d’une musicalité et
  • d’une intensité interprétatives

qui font honneur à l’inventivité du jeune compositeur. Ici,

  • point de finale échevelé,
  • de traits vertigineux et
  • de cavalcades digitales ostentatoires.

Puisque les conventions sont déjouées en dépit d’une normalité de façade (une sonate en trois mouvements, quoi de plus balisé dans le répertoire ?), tout se joue dans

  • l’intensité d’une attaque,
  • l’opposition de nuances,
  • la régularité d’une déambulation obstinée et
  • la capacité de Rachel Koblyakov à nous maintenir, fascinés et horrifiés, devant ce qu’il reste des matériaux
    • thématique (mélodie déchiquetée),
    • rythmique (digne d’un tictac incessant) et
    • sonore (le grain des pizz a remplacé l’onctuosité de l’archet).

C’est

  • malin,
  • brillamment fait et
  • musicalement impressionnant.

Prochaine étape : un solo signé Wolfgang Rihm… À suivre !


Pour écouter la sonate sur une seule vidéo, c’est ici.
Pour acheter le disque, c’est par ex. .