Rachel Koblyakov & friends jouent Mendelssohn et Tchaïkovsky, Temple des Batignolles, 10 octobre 2024

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Rachel Koblyakov au temple des Batignolles, le 10 octobre 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

C’est un « concert de lancement d’un projet de musique de chambre à géométrie variable », un de ces moments qui participent à la magie parisienne puisque, parmi mille autres propositions plus ou moins culturelles du soir, y compris un match de foutebol, ils réunissent quelques fines fleurs des jeunes musiciens pour un prix d’entrée fixé entre zéro euro et ce que chacun veut bien donner. À la manœuvre, la violoniste Rachel Koblyakov et le violoncelliste Florimond Dal Zotto.
La soirée s’ouvre sur ce que les meneurs ne voulaient pas jouer : un trio pour piano, violon et violoncelle, trop banal, mais, dans l’immédiat, hein, ça ne se refuse pas. D’autant que leur choix s’est porté sur le premier trio op. 49 pour cette formation de Felix Bartholdy Mendelssohn, moins couru que le second, et pourtant… Dans l’acoustique généreuse et volontiers fondante du temple, à laquelle l’oreille finit pourtant par s’accoutumer, les trois acolytes tentent de conserver une clarté fondée sur

  • l’écoute,
  • l’échange,
  • les nuances et
  • la complémentarité (synchronisation et passage de relais).

L’aisance des interprètes est bluffante, tant d’un point de vue technique que pour ce qui est de l’intuition musicale. Au quart de queue, François Daudet époustoufle dans une partition qu’un professeur de piano du CNSM que nous croisons qualifie de « magnifique saloperie » pour sa difficulté technique, pas tant dans les passages où ça tricote que dans des moments moins spectaculaires mais à peu près injouables.
Les complices paraissent loin de ces préoccupations. Maîtrisant allègrement la partition de ce molto allegro ed agitato ternaire, ils portent leurs auditeurs avec une énergie commune aussi séduisante qu’impressionnante. Il y a

  • de la tension,
  • des diastoles et des systoles,
  • des unissons puissants,
  • de l’expressivité à foison,
  • une belle circulation des motifs et, partagées en trois,
  • des respirations, des ruptures et des variations de couleurs de toute beauté.

Épatés une fois par le premier mouvement, nous voici épatés deux fois (pas pu m’en empêcher) par l’andante con moto tranquillo en Si bémol. Tout flatte l’oreille :

  • la délicatesse du piano,
  • la tendresse de la réponse du duo de cordes frottées, et
  • la sensualité d’un ensemble semblant parfaitement coordonné.

Précisons que cette notule n’est pas un distributeur de compliments amidonnés mais la restitution d’impressions de concert. Or, le fait est que les interprètes trouvent l’astuce pour exécuter richement ce mouvement au titre presque oxymorique. C’est

  • posé sans être traînant,
  • précis sans être guindé,
  • sentimental sans être gnangnan.

L’écriture inventive de Mendelssohn

  • fait circuler le lead,
  • multiplie les types d’associations entre voisins de scène, bref, grâce à l’investissement revigorant des musiciens,
  • ne cesse de happer l’attention de l’auditeur.

Le scherzo en Ré est annoncé léger et vivace – on peut au passage regretter la non-fourniture d’un programme par les organisateurs, même si cela évite les bruits de papier indiquant que mamie a décroché. Il envoie du lourd. Les têtes coiffées sentent passer le vent du boulet propulsé par le piano, bientôt assisté par ses complices. Le travail sur les contrastes

  • (intensités,
  • attaques,
  • caractères)

fait merveille. Le finale, un allegro assai appasionato en ré mineur puis majeur pour finir rappelle que la dynamique, contrairement à la dynamite, n’est pas réductible à la nuance forte. Elle procède bien plutôt

  • d’un étagement des nuances,
  • d’une conduite des phrases ad hoc,
  • de la construction subsumante du discours et, évidemment,
  • d’un brio technique caché sous le désir de faire musique ensemble.

À l’arrivée, on est euphorisé par

  • une partition passionnante,
  • une interprétation
    • pyrotechnique,
    • profonde et
    • polyvoque (et allez donc, c’est pas mon père !) au sens de « pas univoque », et
  • le plaisir patent qu’ont François Daudet, Rachel Koblyakov et Florimond Dal Zotto d’embarquer leur auditoire dans une traversée ambitieuse et secouée.

Comme on dit dans le milieu du café, what else ?

 

Florimond Dal Zotto au temple des Batignolles, le 10 octobre 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

L’audace arrive en seconde partie de concert : le Souvenir de Florence, op. 70 de Piotr Ilitch Tchaïkovsky, qui serait un survivor selon ce que nous souffle un baryton venu en profiter, puisque la partition faisait partie du lot que le compositeur voulait détruire (par chance, il est mort trop tôt). Audace, car caler un sextuor – complété par Claudine Rippe au violon II, Axel Benedetti et Brice Leclair aux altos, ainsi que l’ami Emmanuel Acurero au violoncelle II – n’est pas chose aisée, qui moins est quand certains membres de la banda ont enchaîné trois répétitions plus tôt dans la journée. Mais c’est aussi le cœur du projet mené par Rachel Koblyakov et Florimond Dal Zotto que de tenter des réunions rares de chambristes passionnés. Alors, zou !
L’allegro con spirito en ré mineur ne manque pas de fougue. Conduite par le premier violon, l’agitation est vraiment agitée. Elle

  • rue contre le cadre de la mesure,
  • le déborde et
  • y revient afin d’en mieux jaillir plus tard.

On est saisi par les effets

  • de dialogue,
  • de contamination (porosité des pupitres reprenant des motifs d’abord énoncés par le violon I ou le violoncelle I) et
  • d’ensemble.

Certes, l’acoustique ne favorise pas la netteté et floute parfois les contours voire la justesse. C’est l’occasion pour l’auditeur d’admirer l’effort de chaque musicien pour 

  • parler la même phrase musicale,
  • vibrer les mêmes humeurs et
  • porter les mêmes intentions, si variées, finale effréné compris.

L’adagio cantabile e con moto en Ré s’inscrit dans les bruits de la capitale peu propices à une culture qui ne se restreindrait pas aux abrutissements de masse. Sans faiblir cependant, le deuxième mouvement prélude puis se lance dans une valse où dialoguent violon I et violoncelle I, rejoints par le premier alto. Chaque membre du sextuor se fond habilement et parfois humblement dans une dynamique de groupe

  • (étagement des voix,
  • précision des synchronicités,
  • cohérence des respirations et couleurs).

Le break ne défait pas la complicité de Rachel et Florimond. Les autres pupitres arbitrent l’échange entre les deux, associant

  • discrétion des pizzicati,
  • force des crescendi partagés et
  • stratification des intensités.

L’allegro moderato en la mineur pétille de désirs divers alliant

  • flottements délicats,
  • tonicité collective et
  • breaks suspensifs.

La métamorphose perpétuelle de la musique se nourrit de passages

  • ouvertement virtuoses,
  • savamment mystérieux ou
  • rageusement déchiquetés,

que des transitions soignées tentent avec art de relier. L’affaire se conclut sur un allegro vivace en ré mineur. Propulsé par un air de danse populaire, le mouvement exploite

  • la vigueur du rythme,
  • la variété des contrastes,
  • la résonance des échos,
  • la fusion des unissons octaviés rapprochant violon I et violoncelle I, et
  • les frictions portées par l’ensemble du sextuor.

La sapidité de l’interprétation du soir sourd

  • de l’électricité ambiante,
  • des coups de tonnerre qui claquent, et même
  • de l’art de faire attendre le prochain grondement grâce à des pianissimi fort bien assourdis.

Ajoutez à cela

  • de beaux crescendi,
  • des effets synchrones réussis et
  • un souci de jouer dans le même esprit,

vous sortirez convaincu du potentiel de ce talentueux combo, certes encore à mûrir mais déjà

  • volontaire,
  • motivé et
  • musical.

Ce n’est pas rien, je crois.