Quatuor Lontano et alii, “La montagne magique” (Cascavelle, 2/4)

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Il y a quelque chose de joyeusement obscène dans le fait de poursuivre l’exploration du disque des Lontano & friends alors que la France, cette patrie d’imbéciles capables de réélire avec enthousiasme un même ignoble personnage fier d’emmerder ses électeurs, c’est lui qui le dit, découvre que, eh non, le néolibéralisme, c’est pas gentil, et qu’après avoir pété le Code du travail, après avoir niqué les services publics, après avoir flingué les voies de recours prud’hommales, entre autres exploits, l’équipe de Pharaon Ier de la Pensée complexe dézingue ce qu’il reste de retraite – heureusement, bientôt, on aura droit à l’euthanasie, si bien que l’on mourra pauvres, oui, mais moins longtemps, chic !
Or, dans ce monde de financiers requins, l’existence de la musique – rassemblant des inutiles qui coûtent un pognon de dingue – est de nature à, selon les termes d’un salopard baisant contre logement social et devenant par conséquent ministre de l’Intérieur, « bordéliser » les conventions utilitaristes en élevant les esprits et captant du temps d’attention disponible grâce à

  • des projets singuliers,
  • des trouvailles stimulantes et
  • des invitations à l’émotion pas piquées des hannetons.

 

 

Après une première partie bicéphale, associant Aaron Copland et Maurice Ravel, voici que se faufile une deuxième partie stravinskienne. Igor n’était pas un fanatique du quatuor ; aussi la vingtaine de minutes en sa compagnie mêle-t-elle originaux et transcriptions. Premier sur la platine, le Concertino pour quatuor racle avec force : ça dissone, ça change de mesure en permanence, ça pizze entre deux traits d’archets percutés « au talon », ça claque des accords sans ménager les cordes, ça contre-temps, ça fait tournoyer l’écoute en brouillant les associations (tantôt tous contre Florent Billy au second violon, tantôt Pauline Klaus et Camille Renault contre le violon 2 et Loïc Abdelfettah, etc.). On est saisi par la capacité du quatuor à faire ressortir les caractéristiques de cette boule d’énergie et de tension, et l’on se goberge de

  • la variété des attaques,
  • la tonicité des rebonds,
  • l’art d’investir
    • explosivité et suspension autant que
    • rythmicité et agogique,
  • la poésie d’un premier violon aux doubles cordes mystérieuses à souhait dans la partie centrale,
  • la multiplicité des percussions répétées,
  • la science de la couleur,
  • la labilité du premier violon-caméléon, ainsi que de
  • la capacité à jouer tant ensemble qu’en contradiction interne.

Suivent deux transcriptions de Samuel Dushkin, ami et partenaire violoniste d’Igor S. Le quatuor, augmenté pour Le Tombeau de Couperin, explose, cette fois, pour ne laisser en scène que Pauline Klaus, associée à Violaine Debever au piano. La berceuse de L’Oiseau de feu déploie les ailes de sa tranquillité – c’est malin, après l’agitation du Concertino. Alors que la pianiste associe clarté des aigus, fermeté des médiums et solidité des graves, Pauline Klaus se dérobe à la tentation du beau son, plutôt moire aux irisations variées que taffetas ennuyeux et bien repassé. Des suraigus qui nous envolent aux doubles cordes qui nous suspendent, en passant par

  • les tremblements fragiles comme le sommeil,
  • les tenues heureusement plus vivantes qu’uniformes et
  • le superbe decrescendo final,

la miniature est exécutée avec un soin enjôleur et jamais précautionneux. Qu’importe si, à 2’20, quelques bruits de fond nous rappellent que la musique se fait dans le vrai monde, pas toujours dans un cocon ouaté donc confortable mais vite soporifique. En plus, ça permet au griffonneur de ces lignes de laisser croire qu’il écoute vraiment les disques dont il parle, donc c’est cool.

 

 

La Danse russe extraite de Petrouchka signale l’arrivée à la vie du personnage-titre. Autant dire que ça zouke. Porté par la légèreté du piano modulant de Violaine Debever, le violon de Pauline Klaus nous entraîne dans ce jaillissement secoué d’irrégularités opportunes jusque dans le bref passage lent borodinien.

  • Les contrastes magistraux,
  • les synchronicités parfaites et
  • l’association entre liberté et rigueur

nimbent cette interprétation d’une fougue et d’une maestria séduisantes.
Le quatuor se reforme pour le Double canon dodécaphonique, lequel est encore une transcription, ou plutôt une augmentation par le compositeur d’un duo pour flûte et clarinette vaguement grattouillé à la mémoire d’un Raoul Dufy que le compositeur ne connaissait pas. Cet habile thrène boiteux mêle mesures à trois et quatre temps et conduit l’auditeur jusqu’à l’unisson qui couronne sa forme en arche. Anecdotique, certes, mais cohérent avec la proposition générale d’offrir à la fois des morceaux massifs et des éclats de musique, et avec la proposition spécifique d’explorer les rares moments où Igor a fricoté avec la formation du quatuor.
La partie stravinskyenne s’achève sur les Trois pièces pour quatuor. Là encore, il s’agit d’un arrangement par le compositeur d’une pièce pour quatre mains (qu’il réarrangera et augmentera pour orchestre), donnant à cette occasion des titres catchy aux trois mouvements. La « danse » investit la pulsation de la musique populaire avec le violon 1 (cette fois dévolu à Florent Billy) à la mélodie, le violon 2 au contrechant, l’alto entre pizz et archet donc à la vielle à roue et au tambourin, et le violoncelle aux timbales. L’introduction et la conclusion par un alto-didgeridoo ajoute évidemment à cette petite sauterie.

 

 

Deux fois plus long que la danse (inférieure à la minute), « Excentrique » revendique une complexité rythmique à la hauteur de son titre ultérieur.

  • Mesures à deux temps avec triolet de croches gonflés de silence,
  • enchaînements irréguliers de 5/8 et 3/8,
  • variations de tempi :

la rigueur s’impose pour rendre raison de cette excentricité ! Brièveté des motifs, explosivité des séquences, énigmaticité du propos tiennent en haleine les esgourdes, d’autant que les Lontano y font preuve à la fois de souplesse et d’autorité.
Un « cantique » deux fois plus long que le mouvement précédent, conclut la promenade. La pièce unirythmique (tout le monde joue en même temps) permet à la formation de travailler l’unité de nuances et d’intentions sans laquelle un quatuor n’est qu’un conglomérat de musiciens, ce qui est toujours mieux qu’un amas de sénateurs macronistes, certes, mais manque d’enjeux esthétiques propres à expliquer pourquoi il est intéressant d’ouïr et d’écouter des quatuors. Alors que, au contraire, les musiciens communient au même mystère, le lamento s’enfonce peu à peu dans le triple voire quadruple piano qu’irréalisent, et hop, les harmoniques du violoncelle. Un lamento étrange donc savoureux pour tirer le rideau stravinskyen avant une troisième partie où une œuvre de Paul Novak puis un Rondino d’Aaron Copland s’offriront à nous…


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À suivre !