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La dernière étape du voyage tchèque proposé par le quatuor Lontano passe par le célèbre Douzième quatuor d’Antonín Leopold Dvořák, fomenté en 1893. Une fois de plus, c’est de la musique tchèque mais pas que, le compositeur étant né en Autriche, et son quatuor s’intitule « l’Américain ». L’on connaît le pourquoi : il fut composé en Iowa (un peu comme « en Avignon », mais en moins préntieux), dans une ville qui, pour les Tchèques, était aux États-Unis ce que le Québec fut à la langue française – je schématise, certes.
Par conséquent, il y a manière de cosmopolitisme dans ce dernier trajet proposé par les Lontano à travers ce golden hit. Aussi embarque-t-on avec empressement dans la barque de ces quatre drilles.

 

 

L’Allegro ma non troppo s’ouvre avec la légèreté, le swing et l’allant bon enfant exigés. Tout en nous laissant profiter du peps sautillant prévu par la partition, le quatuor veille à ne pas s’y complaire

  • en caractérisant les différents micro-moments,
  • en nuançant avec soin et
  • en soignant articulations personnelles et accents communs.

De plus, pour ne rien gâcher (ce serait fâcheux),

  • le lyrisme du violoncelle,
  • la tonicité incisive du premier violon,
  • les couleurs variées du second – selon qu’il est en lead ou en ploum-ploum –, et
  • les bondissements de l’alto

contribuent au plaisir d’écouter une version joliment troussée.

 

 

Le Lento fait derechef circuler la mélodie et l’accompagnement de pupitre en pupitre, ce qui valorise une des qualités majeures des Lontano, as far as we’re concerned : l’écoute mutuelle. Sans s’embarquer dans une interprétation outrageusement passionnée, en se méfiant d’un expressionnisme grandiloquent, les quatre artistes parviennent à manifester la tension qui agite çà et là ce passage plus méditatif. Si l’affaire paraît parfois un peu sage, ce qui est le risque ou la qualité consubstantielle d’un Lento, il faut saluer

  • le contraste profond entre le premier et le deuxième mouvement,
  • les nuances d’ensemble (tantôt synchrones, tantôt différenciées),
  • le choix de prises où le vivant a sa part (5’26), ce qui est presque toujours bon signe, et
  • l’impression qui se dégage d’une formation plus soucieuse de faire musique ensemble que de se contenter d’entonner un hymne habilement fagoté par un maître du genre – ce qui ne serait déjà pas si pire.

 

 

Le Molto vivace, ternaire, s’élance autour d’unissons roboratifs (violon 2 / violoncelle, violons 1 et 2 + alto). Les Lonatano rendent avec soin

  • le groove,
  • la profusion et
  • la dimension fragmentaire du prélude.

S’ensuit le premier passage de Fa à fa mineur, avec le violoncelle en lead, bientôt remplacé par le violon dans le rôle du meneur. Le retour du mode majeur et du motif liminaire ne contrevient pas au principe du compositeur, qui est de faire circuler le thème d’un pupitre à l’autre. Pour preuve, l’alternance mineure remet le tissu thématique sur le chantier, refusant les astuces habituelles du développement afin de privilégier le ressassement et l’épuisement (modal comme rythmique) d’un matériau simple, léger et bondissant. La reprise da capo, qui ne manque pas d’allant, en témoignerait si nécessaire.

 

 

Le Finale, noté Vivace ma non troppo, pousse un cran plus loin le plaisir de la danse. Les Lontano se gobergent de cette classicisation des joies populaires. Le compositeur excelle à exposer une feinte simplicité sublimée par l’art du quatuor. Un moment Meno mosso laisse respirer les danseurs. Puis la folle farandole reprend, et le premier violon se remet à sautiller. Un break prépare le retour de la pulsation énergique, accompagnée d’un travail rythmique entre

  • insertion du ternaire,
  • répétitions de doubles cordes et
  • sous-traitance du thème à l’alto, jusqu’au chahut final, entre joie et solennité.

En conclusion, cette version renâcle devant le danger de la folie et des excès. Elle privilégie une exécution exigeante, qui rend raison de la légèreté de l’œuvre sans négliger les contrastes ménagés par Dvořák. Il en résulte une mise à disposition sans afféterie d’une pièce sémillante ; et cette option, justifiable en soi, prend tout son intérêt si on la replace dans le cadre d’un disque où les Lontano déploient d’autres facettes de leur art, prêt à sonder les abymes de nos pulsions ou de nos angoisses, si tant est que les une diffèrent des autres. Ainsi les quatre compères construisent-ils une set-list multiple, ambitieuse et, si l’on en croit la progression de Sommer à Dvořák, résolument optimiste. Bon signe, pour une jeune formation !


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