Quatuor Lontano 2021 (1/3 : Vladimír Sommer, Cascavelle)
Le voyage géomusical auquel nous invite le quatuor Lontano commence en Tchéquie, sur les traces de Vladimír Sommer (1921-1997). Le Premier quatuor de ce compositeur est une pièce à la fois rare et pas tout à fait inouïe – le quatuor Panocha en a par exemple gravé une version chez Supraphon, en 1985, disponible à l’écoute ici.
En commençant le disque par ces pistes, la jeune formation, feat. Pauline Klaus et Florent Billy au violon, Loïc Abdelfettah à l’alto et Camille Renault au violoncelle, semble nous dire :
OK, vous ne vous êtes sûrement pas levé ce matin en pensant que vous aviez trrrès envie d’écouter le Premier quatuor de Sommer ; mais, sachant que, après, on vous jouera des tubes de notre répertoire, pourquoi ne pas essayer ?
Va donc pour l’Allegro moderato (7’30) noté « melancolico » qui ouvre la procession. Sur un riff rythmique du violoncelle, les douze autres cordes se déploient dans un discours fragmenté, agrémenté par un système d’échos entre les parties – échos du thème solo mais aussi échos d’ondulations contraires. L’oreille est notamment happée par
- des ruptures,
- des dissonances habilement glissées,
- des nuances qui savent faire chatoyer une grande variété de demi-teintes, et
- de notoires effets synchronisant les acolytes.
Intrigue itou la variété des formats (tantôt en trio, souvent en trio contre le violoncelle, parfois en bloc lors de passages toniques, ou en unissonnant, et hop, violon 1 et violoncelle). Dès lors, cela pourrait sonner comme un catalogue des possibles nourrissant le quatuor à cordes. Dans les faits, cela sonne comme un bouillonnement habillé avec goût de récurrences dessinant une continuité derrière l’apparent éclatement. De jolies trouvailles harmoniques achèvent de grésiller sous la langue de l’oreille avec la sapidité d’un exhausteur glutamatique dans un gâteau apéro.
(Je sais, je sais, et cependant je tente quand même. Foufou, so what?)
Alors que le premier mouvement se faufilait comme un paysage escarpé, l’Adagio ma non troppo qui suit (12’) se présente comme un espace plus plan, où l’alto guide la caravane de ses pairs. Musique intériorisée, aux vrais airs de lamento, la partition festonne autour d’une mélopée joliment sertie puis prolongée par l’ensemble des participants. La lisibilité des entrelacs n’entraîne nul ennui car, derrière la simplicité apparente du propos,
- les variations d’intensité,
- l’harmonisation puissante et
- les mutations d’alliances
au sein du quatuor font circuler la parole et s’emploient tantôt à irriter le discours, tantôt à le prolonger dans des duos multiples.
- Le bondissement des pizzicati,
- le développement asymétrique de motifs,
- le foisonnement d’idées
nourrissent une même atmosphère souvent suspendue entre
- angoisse poignante et
- vague éclaircie où s’insinue le poison du faux espoir.
Le compositeur est aussi à l’aise dans les deux pôles, démontrant sans ostentation sa maîtrise de l’écriture pour l’hydre étrange qu’est le quatuor à cordes.
Le Vivace final (6’30) sera susceptible de causer quelques crises cardiaques chez les auditeurs qui se seraient fâcheusement assoupis. Ça attaque et crescendise à foison. Ça pizze et ça swingue, entre temps houleux et éclaircies. L’alternance de climats est remarquablement restitué par un quatuor Lontano qui soigne
- ses attaques,
- ses inflexions,
- ses nuances,
- ses synchronisations sans oublier de s’écouter lors des passages où l’écriture les oppose.
La prise de son de Victor Jacquemont est excellente, sachant à la fois spatialiser les quatre musiciens tout en les gardant dans une unité sonore cohérente. La combinaison entre
- l’art instrumental et
- le savoir-faire technique
fait de ce dernier mouvement un moment explosif, varié, puissant et captivant, coda majeure en decrescendo incluse – parfaite introduction aux deux quatuors plus connus qui complètent la galette, et que nous dégusterons dans de prochaines notules.
Pour écouter le disque en intégrale, c’est ici.
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