Pierre Réach joue 9 sonates de Beethoven (Anima) – 2/3

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Après un premier tour d’horizon de ce deuxième ensemble de sonates de Beethoven fomenté, joué et agencé par Pierre Réach, voici venu le temps du deuxième microsillon sur les trois que compte le pack paru tout récemment chez Anima. Casting somptueux, pour rappel, avec un solide Steinway D, une réalisation d’Étienne Collard et un maître du piano qui connaît le corpus sans doute mieux que la disposition de son armoire de salle de bains – il nous en parlait tantôt ici (des sonates de Beethoven, hein, pas de son armoire de salle de bains) (tsss, tsss).
Achevée en 1798, la Septième sonate pour piano, en Ré, couronne l’opus 10 de Ludwig van Beethoven. Son Presto liminaire hésite joyeusement entre l’ivresse de promptes croches et le plaisir de la suspension ancrée sur un point d’orgue ou dans le mystère d’une mesure pour rien. Comme pour renforcer l’oscillation, Pierre Reach, à son habitude, renâcle devant les nuances extrêmes. Sans doute juge-t-il plus musicaux

  • le flux d’intensité,
  • la suscitation de crescendi et
  • la variation de touchers.

Dans la deuxième partie du mouvement, les modulations autour de Si bémol pimpent les motifs récurrents que sont

  • les bariolages,
  • les unissons octaviés,
  • la fragmentation du discours par le silence et
  • les tentations du mineur.

Pas étonnant, donc, ou presque, si le Largo e mesto ternaire se déploie en ré mineur. L’interprète prend le temps de poser un son tour à tour

  • capiteux,
  • tonique,
  • tendu et
  • apaisé.

La seconde partie en Fa creuse davantage l’énigmaticité – rien que ça – de ce moment oscillant, lui, entre gravité et aspiration à s’envoler grâce

  • au registre aigu,
  • à la tentation de la vitesse digitale contre la lenteur (dont témoignent les sextolets de triples puis le recours aux quadruples croches) et
  • aux modulations finissant par boucler le mouvement sur un ré mineur poisseux et têtu.

 

 

Le Menuetto dissipe en Ré majeur et en 3/4 cette atmosphère d’autant plus inquiétante qu’elle semble fermée sur elle-même, sans que

  • ni la vitesse,
  • ni le mode,
  • ni les contretemps

ne soient en mesure de nous faire échapper à la gravité. L’Allegro est offert avec la grâce

  • des staccati,
  • des trilles et
  • de la circulation du même motif de droite à gauche.

Exercice tournoyant de mains croisées, le trio permet à Pierre Réach de jouer sur

  • les accents,
  • la simplicité de la formule et
  • l’efficacité du moteur digital réservé à la main droite.

Un rondo conclut la sonate. Un prélude suspendu amorce l’allegro porté par des doubles croches volontiers chromatiques, puis alterne avec lui. Modulations, unissons, itérations, ruptures, retour au Ré majeur pérennisent ce mélange

  • d’esprit girouette,
  • d’inclination pour la fragmentation et
  • de renonciation au développement linéaire

qui participe de la singularité d’une sonate dont le pianiste ne cherche jamais, et c’est évidemment heureux, à masquer les aspérités.

 

 

Moins pour s’excuser de cette âpreté que pour souligner la diversité des inspirations du compositeur dans un même genre, Pierre Réach choisit de placer alors la Quatorzième sonate en do dièse mineur (1802), dite « Clair de Lune » ou, pour les amateurs de bataille navale, op. 27 n°2, c’est tout de suite moins coquin. Revendiquant d’être « quasi una fantasia », l’œuvre se dévoile sur l’une des scies funèbres les plus connues de la musique savante. Sparadrap des musiques de film sans inspiration, l’Adagio sostenuto doit être joué « delicatissimamente e senza sordini ». Ici, ni préciosité ni envasement dans l’ennui. Le pianiste privilégie l’allant et la clarté (non lunaire). De la sorte, il rend audible une musique d’ordinaire engluée dans un romantisme en plastique parfait pour France Télévision. Cela n’exclut nullement

  • la délicatesse cristalline (écoutez les arpèges brisés à 2’20),
  • le recueillement ou
  • la caractérisation des différents moments (écoutez à 3’12 le contraste entre la tension qui monte et le piano subito à 3’22)

mais, assurément, cela évacue le sirop d’érable que des vedettes surcotées ou des personnes pourvues de tétons et de peu de textile déversent régulièrement sur ce qu’elles réduisent à des popcorns musicaux. Sucrés, donc, les popcorns. Par toutes les coquecigrues, où diable va le monde ?
Indifférent à ce drame, l’Allegretto en Ré bémol substitué au deux-temps (en fait, un 12/8 celé) un 3/4 franc comme un regard de Holstein. Le musicien laisse

  • rebondir les premiers temps,
  • s’élastiquer (héhé) les contretemps, et
  • se balancer les deux en deux.

Le Trio donne envie de boire une bière bavaroise bien qu’il s’abstienne de sombrer dans le graveleux. Après la reprise de l’Allegretto qui ouvrait le bal, le vaste et redoutable presto agitato en do dièse mineur fuse et explose ainsi qu’espéré. C’est

  • moins virtuose que tendu,
  • moins extraverti que concentré,
  • moins rugissant que finement tissé
    • de notes,
    • d’accents,
    • de respirations et
    • de nuances.

Point d’excès d’intentions : Pierre Réach a cette vieille et finaude familiarité avec l’œuvre et le compositeur qui libère l’interprète de la tentation d’en faire trop pour montrer que tout a été compris. Cet abus de stabylottage serait aussi inutile que de chercher en quoi BHL, Raphaël Enthoven et Luc Ferry sont des philosophes, ou qui peut acheter Pif Gadget quand le gadget est un entretien malsain avec cette cochonnerie de Pharaon Ier de la Pensée complexe. Ici, à l’abri de ces considérations vulgaires, l’exécutant séduit

  • en sculptant d’une gouge fine la tentation du mode majeur,
  • en suivant la pente modulante avec un vertige subtilement contrôlé,
  • en associant régularité rythmique et liberté d’inspiration (c’est pas un piano mécanique qui joue, c’est un artiste), et
  • en fondant dans son creuset d’alchimiste interprétatif
    • explosions et ondulations,
    • force qui va et suspensions,
    • rage grondante et esprit animant les marteaux.

Par-delà le tube, une version roborative, personnelle et magistrale.

 

 

La Quinzième sonate en Ré majeur, op. 28 (1801), s’est retrouvée affublée du sobriquet de « pastorale ». Elle s’ouvre sur un Allegro martelé par des d’invétérés ré répétés. Pierre Réach en rend le caractère libre et paisible où, pourtant, la tension, que manifestent par exemple

  • nuances d’un goût très sûr,
  • accents électrisants,
  • deux en deux frondeurs, et
  • bourdon grave obstiné

n’est point exclue. Ce frottement évite une impression de gentillesse étale dont la gnangnantise ne tarderait guère à poindre derrière le côté propret. Dans la seconde partie, le dialogue entre les deux mains associe

  • fluidité,
  • parallélismes et
  • affrontements.

La suspension du discours se tisse autour d’un interlude interrogatif que le dénouement convenu semble dissiper. Toutefois,

  • la persistance sourde du bourdon,
  • le surgissement de sforzendi troublant la quiétude générale et
  • l’absence de péroraison convaincante

laissent supposer que, 9’30 après avoir été mis à jour, le nœud de la question intérieure n’est pas tranchée.
L’Andante en ré mineur et en 2/4 va son p’tit bonhomme de chemin avec le staccato qui sonne bien et le bourdon de la qui fait l’unité avec le premier mouvement. La partie centrale, majeure, travaille elle aussi la répétition, mais avec un swing ternaire et pointé. Les doigts de Réach savent être tour à tour

  • légers,
  • toniques et
  • liés.

La troisième partie reprend le thème du début, façon variation dont l’interprète lustre tant les raucités sporadiques que le soyeux auquel la pédale de sustain apporte le miroitement idoine. (Pas sûr que cette phrase soit très, très claire, mais le fait que nous soyons gouvernés par des millionnaires néolibéraux sans scrupule mais pas sans casseroles est super clair, partant, je ne suis pas sûr non plus que la clarté soit forcément réjouissante.)

  • Notes têtues,
  • triolets de doubles et
  • rythme pointé

donnent une charpente de bon aloi à ce mouvement ravissant. Le Scherzo, allegro vivace, revient à Ré majeur et aux trois temps. Beethoven joue sur l’ambivalence entre durée et bondissement sur deux temps. Le Trio prolonge la chose avec octaves et bariolages façon walking bass enrichie. Pierre Réach profite des reprises (marquées ou de fait) pour nuancer et ajouter une pincée de musicalité à ce petit éclat de pétillance – ben voyons – malicieuse.

 

 

La sonate se conclut sur un Rondo marqué allegro ma non troppo, toujours en Ré et en ternaire, mais cette fois en 6/8. Balancement et rondades égrènent les signes d’une délicatesse qu’un toucher vif et un souci patent dans le choix des attaques embellissent et rendent fort intéressants. L’interprète veille à donner du groove à son propos, embarquant l’auditeur dans une aventure à rebondissements où le guide s’assure du confort de chacun tout en ménageant ses effets pour éviter tout engourdissement d’esgourde. Une partie plus prompte emballe le finale dans une variation où la solidité des réflexes de la main gauche met en valeur les virevoltes de la main droite, et réciproquement.

  • En caractérisant chaque mouvement,
  • en rejetant esbroufe et facilités chargées de se venger des mille et une difficultés fournies par la partition,
  • en dénichant l’air de rien des petites perles charriées par les torrents et les rus de notes,

Pierre Réach offre une exploration mémorable des contrées beethovéniennes. Elle est susceptible de séduire les grrrands connaisseurs sachants, experts et spécialistes de ce répertoire comme les gugusses qui se prétendent mélomanes tout en n’avouant pas une passion dévorante pour Beethoven. Cette capacité à s’adresser à un large spectre d’écoutants semble caractériser une interprétation de grande tenue et à haute valeur émotionnelle ajoutée. Elle « semble » seulement, car il nous reste un disque à ouïr dans cette deuxième livraison de l’intégrale réachienne. Pas question de livrer un avis ferme et définitif avant d’avoir chevauché la Marche funèbre, l’Appassionata et la soi-disant Thérèse. Ce sera l’objet d’un prochain post.


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