Pierre Réach joue 9 autres sonates de Beethoven (Anima) – 1/8

admin

 

Troisième étape sur les quatre prévues : l’intégrale des sonates pour piano de Ludwig van Beethoven par Pierre Réach ne touche pas encore à sa fin mais progresse sérieusement vers son accomplissement. Neuf sonates, enregistrées par Étienne Collard sur un Steinway D, peuplent la livraison 2024, dans les bacs physiques ou virtuels depuis le 2 mai. La set-list est rythmée par des tubes aux noms bien connus – dont la Waldstein, la Pathétique et les Adieux et organisée chronologiquement par les numéros d’opus choisis. Elle s’ouvre sur la Sonate opus 2 n°2 en La (1795), extraite de la trilogie dédiée à Joseph Haydn.
L’Allegro vivace énonce avec insistance la tonalité par

  • des accords égrenés,
  • des minigammes et
  • une harmonisation volontairement simple (on est soit en La, soit en Mi7).

L’interprète n’a pas la sottise de masquer la pauvreté assumée de ce matériau liminaire avec

  • une surdramatisation,
  • des coups de Stabylo sur telle itération ou
  • un tempo trop prompt.

Il préfère faire musique, et hop, avec le pas grand-chose qui lui est donné et qui, précisément, permet à la musicalité d’émerger du silence.

  • Toucher
    • (phrasé,
    • staccati et
    • lien avec la pédalisation),
  • nuances et
  • continuité du propos entre les deux mains tour à tour en
    • friction,
    • complémentarité et
    • questions-réponses

agrémentent et construisent l’écoute. En ce sens, le choix de l’œuvre pour ouvrir le disque est fort bienvenue, dans la mesure où elle paraît sculpter le son en partant du matériau brut que forment, mêlés, le silence préalable et l’imagination musicale dans laquelle le compositeur va piocher pour construire sa sonate.

  • Brusques changements d’intensités,
  • crescendi et decrescendi,
  • tensions entre binaire et ternaire,
  • ruptures et suspensions

nourrissent la partition, que les petites saucisses courent sur le clavier ou se fassent rares.

  • La modulation en Ut, rapidement pervertie par le La bémol puis par le Fa, etc.,
  • les changements de couleurs,
  • les hésitations apparentes sur les directions à suivre

fonctionnent comme manière d’apocalypse, révélant les possibles dissimulés dans le sujet embryonnaire choisi pour lancer le mouvement. Le retour du motif A bouclent l’affaire sans que Pierre Réach ne se soit départi

  • de sa tonicité digitale,
  • de son inventivité chromatique ni
  • de la hauteur de vue qui lui permet
    • de caractériser chaque fragment,
    • d’animer chaque réexposition thématique et
    • de conserver une cohérence à l’ensemble qui ne soit pas aplatissement des foucades compositionnelles.

Arborant un titre presque oxymorique de « Largo appassionato« , le deuxième mouvement s’avance en rythme ternaire et en Ré. L’interprète y travaille

  • la note et son contour (notamment
    • sa durée,
    • sa coupure ou
    • son prolongement à l’occasion pédalisé),
  • le legato et ses limites (entre tenuto sempre et double croche – quart de soupir rythmant la phrase), ainsi que 
  • la rigueur rythmique et sa tangente (les six temps stricts abritant
    • trilles,
    • appogiatures et
    • ornements plus libres).

De la sorte,

  • sforzendi et piani subito,
  • tensions et détentes,
  • modulations et changements

habitent ce mouvement énigmatique joué – semble-t-il – avec une attention particulière au ciselage des notes. Un scherzo allegro en La presque inattendu surgit alors. Légèreté des doigts, allant qui dialogue avec

  • les ruptures,
  • les silences et
  • les reprises

freinant le développement. Le trio bariole avec une apparente légèreté que Pierre Réach veille à frotter contre

  • les à-coups déstabilisants des sforzendi,
  • la tentation descendante de la main droite comme aspirée par les graves, et
  • la tonalité mineure contrastant avec le majeur plus rayonnant du scherzo.

Et la sonate de se conclure sur un rondo grazioso en La. L’interprète en valorise la grâce en tâchant d’expulser la mignonnitude de l’exposition thématique avec

  • bariolages gnangnan,
  • arpèges gentillets
  • et répartition cristalline des tâches (thème au soprano, harmonisation à la senestre)

en creusant

  • la différenciation
    • de touchers,
    • de phrasés et
    • de nuances,
  • la connexion entre
    • rigueur,
    • ornementations et
    • triolets dynamisants, ainsi que
  • la friction associant
    • évidence tonale,
    • modulations et
    • résolutions avec effets d’attente.

Pierre Réach n’est jamais plus palpitant que quand il révèle les tourments de son compositeur fétiche derrière

  • l’élégance,
  • la délicatesse et
  • la finesse.

Ainsi,

  • secousses rythmiques,
  • mutations modales,
  • énergie chromatique

sonnent sous ses doigts moins comme des variations convenues que comme des mystères dont il nous suggère la profondeur. S’associent

  • l’aisance digitale,
  • l’intelligence intime du texte et
  • la maîtrise des bonus interprétatifs
    • (agogique,
    • pédalisation,
    • groove des accents).

Au brio pyrotechnique attendu pour un dernier mouvement, le musicien substitue donc

  • la finesse de la suspension,
  • l’intelligence de cette sonate particulière et
  • la conception d’ensemble d’un projet qui raconte Ludwig au rythme et à la façon de Pierre.

Prometteur en attendant notre prochain rendez-vous avec la sonate opus 10 n°1 !


Pour acheter le double album, c’est par exemple ici.