Pierre Réach et Liza Kerob, ECUJE, 8 novembre 2023 – 3

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Pierre Réach au Dôme (Paris 17), le 14 avril 2022. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Après une heure de mise en condition et un mouvement d’Ernest Bloch pour se lancer, les choses sérieuses (ça ferait un bon titre de livre, non, Les Choses sérieuses ? Dommage qu’il soit déjà pris) commencent vraiment avec la neuvième sonate pour violon et piano de Ludwig van Beethoven, un monstre de trois quarts d’heure. Un Adagio sostenuto ternaire en La lance l’aventure tranquillement. C’est précis et sans chichi – la patte de Pierre Réach résonne avec la sensibilité de Liza Kerob, et cela prélude habilement à l’envie d’en découdre. L’acoustique sèche de la salle des fêtes profite à la motricité exigée par la partition. À la sûreté du piano, astreint à une technicité redoutable qu’il s’agit de transformer en musique, répond la pertinente versatilité de la violoniste. Liza Kerob se révèle capable d’être

  • incisive,
  • encline à l’épanchement et, soudain,
  • furibonde.

Rebondissant sur les intentions de l’un et de l’autre, les duettistes affrontent le paradoxe de l’écriture, dont il s’agit de traduire la cohérence – sous peine de perdre l’auditeur – tout en caractérisant finement chaque segment. La tarte à la crème de la diversité dans l’unité, ou l’inverse, se déguste ici grâce au soin apporté par les interprètes à l’ensemble des couleurs musicales que déploient

  • échanges cordiaux,
  • moments explosifs,
  • parties de transition et
  • jubilation de la verve virtuose.

Par-delà la performance, l’émotion, indispensable pour suivre le narratif beethovénien, et hop, naît à la fois de l’engagement des musiciens et du fait que, ici, grâce à l’inadaptation de la salle à la musique, ils sont nus.

  • Aucune résonance,
  • aucun flou,
  • aucune illusion acoustique

pour glisser sous le brouhaha des notes quelques traits approximatifs. Tout arrive directement aux esgourdes, et ce frisson du danger d’où sourd aussi le beau unit musiciens et spectateurs dans un même élan. Aussitôt la dernière note avalée, des spectateurs applaudissent. Près de nous, une dame glisse à sa voisine : « Maintenant, c’est César Franck, je crois. » On souffre pour elle car, non, madame, la fin n’est pas proche.
Faute de Franck, c’est un Andante con variazoni à deux temps et en Fa (avec une variation en mineur, obligé !) qui permet à Pierre Réach de nous faire profiter de sa science beethovénienne.

  • Aucun type d’accent,
  • aucun legato,
  • aucun ornement,
  • aucun phrasé

de Ludwig ne lui semblent étrangers. Les idiomatismes du compositeur sonnent avec une fraîcheur, un naturel et une clarté délectables. Liza Kerob n’est pas en reste, qui se met au service de la polymorophie qu’exige d’elle le compositeur.

  • Accompagnatrice de luxe,
  • soliste bondissante,
  • partenaire zélée dans les coups de sang comme dans la méditation,

elle contribue à happer les auditeurs dans le souffle de l’œuvre. Enfin, la plupart des auditeurs. Une vieille greluche qui nous quasi jouxte profite d’un moment piano pour offrir son évaluation alla Deschiens à sa voisine et, donc, à l’ensemble de l’assistance tandis que la musique continue (« – C’est magnifique. / – Hein ? / – C’est magnifique. / – Ah, oui, c’est magnifique »). Indifférent à ces malapprises et aux paltoquets qui consultent avec une lampe-torche éblouissante à souhait le papier annonçant les trois pièces au programme, le Presto en 6/8 revient à la tonalité liminaire de La pour boucler la boucle. Le rythme endiablé est assumé dans l’énergie franche du live.

  • Ça pulse,
  • ça nuance,
  • ça respire.

On sent que le projet des acolytes n’est certes pas de proposer une lecture du chef-d’œuvre mais une interprétation. Palpite une envie

  • de varier les couleurs par-delà les différences d’intensité,
  • de concentrer l’impulsion pour l’expulser avec plus de force, le moment venu (ce que, dans d’autres circonstances, on qualifierait probablement de groove), bref,
  • de rendre raison d’une écriture inventive – sans doute davantage dans le troisième que dans un deuxième aux allures un rien corsetées à notre goût.

Pierre Réach et Liza Kerob ne jouent pas côte à côte mais ensemble, le pianiste démontrant presque malgré lui l’immensité des possibles qu’ouvre une pédalisation habile, juste et maîtrisée :

  • spatialisation,
  • puissance,
  • effets harmoniques,
  • fondu ou précipité,
  • cumul affolant des descentes vertigineuses où le sustain paraît
    • aspirer,
    • modeler et
    • presque reformuler le son lâché par les petits marteaux…

En somme, une version saisissante de la Neuvième, moins abordée comme une perfection formelle que comme une musique vivante et à réinventer dans l’instant. Ce qui ne manque pas de susciter une délicieuse inquiétude chez l’auditeur : les deux complices sauront-ils s’ajuster après les applaudissements pour aborder une autre montagne aux caractéristiques pour le moins différentes : la sonate FWV 8 de César Franck ? Fin du suspense dans le prochain et dernier épisode !


À suivre…