Pierre Réach et Liza Kerob, ECUJE, 8 novembre 2023 – 2
Après l’heure d’attente narrée tantôt, le récital de Pierre Réach et Liza Kerob s’ouvre par « Nigun » d’Ernest Bloch. L’œuvre, extraite de Baal Shem, s’inscrit dans une triple logique complémentaire :
- une logique communautaire, puisque la composition intégrale propose « Trois images de la vie hassidique » ;
- une logique situationnelle, puisque le récital a lieu dans un centre juif ; et
- une logique circonstancielle, puisque cette musique résonne avec les massacres commis par le Hamas contre des Israéliens.
On imagine que le projet était fixé longtemps en amont, mais il est certain que le choix de « Nigun », terme qui signifie improvisation, fait sens au regard de l’actualité. Comment improviser un discours, une pensée, une posture face à la lâcheté insupportable des attentats ? Que l’on soit en désaccord ou non avec les scandales liés au conflit et aux colonisations israéliennes, que l’on pointe l’horrible complexité de la vie dans les territoires frontaliers, que l’on s’émeuve de la faute des services de sécurité voire des choix de représailles qui ont suivi n’a, en l’espèce, aucune importance. Comme l’huile de l’ECUJE qui a parlé en préambule, comme l’auditeur lambda ou huppé, comme les artistes, la musique a ses racines, ses convictions, ses spécificités, mais elles sont musique. Point n’est besoin d’être un spécialiste en géopolitique ou un expert ès mystique juive pour partager une émotion, l’accueillir et en témoigner.
D’emblée, les duettistes cristallisent leur propos autour des contrastes. Comme s’ils se – donc nous – libéraient de la tension accumulée par l’attente et la valeur symbolique a priori de leur prestation, ils interrogent les couleurs
- de la virulence,
- de la solennité et
- de la profondeur qui naît de la retenue.
Sur le quart de queue mis à sa disposition, Pierre Réach prend possession du son et dompte le clavier et la difficile résonance de cette salle des fêtes sans charme. Malgré les parasites distractifs témoignant de la fascinante capacité des cons à polluer un concert (comme tout se passe à la lueur de fausses bougies, des spectateurs qui s’ennuient déjà allument leur lampe-torche pour
- éblouir les voisins,
- attirer l’attention et, accessoirement,
- vérifier le nom du morceau qu’ils ont lu trente secondes avant),
l’on est saisi par
- la tonicité,
- les effets orchestraux,
- la virtuosité des traits – notamment violonistiques – qui sonne vertigineuse et non m’as-tu-vu,
- le lyrisme,
- les ruptures et
- la musicalité dont témoignent les nuances solistes ou communes flattant les passionnantes fluctuations du texte.
Ernest Bloch multiplie les formes d’association entre les partenaires :
- soli,
- confrontation et
- accompagnement
émulsifient une musique qui, pour autant, se dérobe à l’exubérance.
- Ça palpite sans exploser,
- ça vibre sans onduler,
- ça escarbille sans s’enflammer.
En dépit de l’aspect rhaspodique que renforce la part d’improvisation offerte à Liza Kerob, les artistes tissent une unité sous-jacente qui culmine dans le magnifique moriendo débouchant, comme une synthèse à la fois triste et forte, sur l’émouvante fin.
Derrière nous, des connaisseurs se préparent à une puissante déception. Grâce à l’optimisme démesuré qui est l’apanage des abrutis de première, lesquels ne font sans doute pas exprès mais devraient car il y a probablement quelque argent à tirer d’un talent aussi spectaculaire, ils espèrent avoir entendu la Sonate à Kreutzer. Dans les 45′ suivantes, ils vont découvrir la cruauté du monde qui, quand elle ressemble à un chef-d’œuvre beethovénien, n’est, pour une fois, pas pour nous déplaire. On en parle dans un tout prochain épisode.
À suivre…