Philippe Entremont : le pianiste sempervirens (1/2)
Philippe Entremont a 85 ans. Il publie son enregistrement n° 265 (!), 60 ans après la captation de concerti sous la direction de son papa. Pour mettre en bouche avant la critique de ce disque-événement 100 % Beethoven, nous rééditons ci-d’sous l’entretien en trois mouvements que nous avait accordé l’artiste dans son antre parisienne.
Philippe Entremont, l’entretien :
premier mouvement, le bilan
Encadré par son attaché de presse et son assistante, ce 16 mars 2018, Philippe Entremont me reçoit chez lui, tout frétillant : il vient de lire une critique dithyrambique de son dernier disque. Bien qu’il ait plus hâte de diffuser la bonne nouvelle que de répondre aux questions de l’inconnu, il accepte de bonne grâce de se poser à son bureau pour affronter les questions sans doute rituelles, auxquelles l’artiste répond néanmoins avec fougue avant, parfois, de se reprendre d’un : « Bon, ça, vous n’êtes pas obligé de le dire, hein ! » Voici donc ce que, après une heure de discussion et d’écoute, l’on s’est senti obligé de dire.
« J’espère jouer jusqu’à cent dix ans, au moins »
Philippe Entremont, nous nous rencontrons à l’occasion de la publication d’un disque que vous avez longuement préparé…
Non, pas préparé : mûri.
La particularité de ce disque est que vous l’avez tant « mûri » qu’il paraît être à la fois un bilan de votre art pianistique, une nouvelle actualité de votre carrière d’interprète et un nouveau départ. Si vous l’acceptez, ce seront donc les trois mouvements que nous suivrons : bilan, actualité, prospective. Et nous pourrions commencer en insistant sur votre jeune âge, afin de contribuer à faire reculer la rumeur. En effet, vous avez coutume d’attirer l’attention sur un point crucial : contrairement à une fake news souvent répandue, vous n’êtes pas né le 6 juin 1934 mais le 7 de ce mois.
En effet. C’est très important, et ce n’est toujours pas corrigé, cette histoire.
Quelques années après ce 7 juin, quand vous étiez encore plus jeune qu’aujourd’hui, vous avez d’abord été violoniste.
Oui, huit jours.
En effet, vous avez très vite découvert l’intérêt du piano : sauf pour certains, ça se joue assis, et ce n’est pas un détail pour vous. Vous écrivez même, dans Piano ma non troppo (de Fallois, 2015) : « J’avais envie de travailler assis. J’aimais le confort, et voilà tout. »
C’est la vérité. L’absolue vérité.
Plus tard, avez-vous regretté cette illusion du confort ?
Certainement pas. D’autant moins que j’ai pu constater que les violonistes étaient obligés de s’arrêter de jouer très jeunes. Le seul qui ait joué relativement tard, c’est Nathan Milstein. J’étais très ami avec lui. Je l’ai entendu jouer, à quatre-vingt ans révolus, toutes les sonates de Bach en une soirée, à Vienne… et sans qu’il y ait un pépin. C’était une merveille, mais une merveille exceptionnelle. Les pianistes, eux, jouent tard. Mieczysław Horszowski a donné son dernier concert à plus de cent ans.
C’est l’avantage de jouer assis ?
Ça va surtout devenir une nouvelle norme. Avec l’allongement extraordinaire de la vie, on peut espérer jouer jusqu’à cent dix ans !
Vous envisagez donc vos trente prochaines années de carrière avec sérénité.
Trente ans ? Vous n’êtes pas très optimiste ! Laissez-m’en un peu plus, de grâce…
Votre indéfectible passion pour la position assise n’empêche pas votre goût pour la position surplombante de chef d’orchestre. Puisque nous parlons ici de votre nouveau disque de pianiste, nous pouvons interroger cette expérience fluide. En effet, vous avez expliqué combien votre position de soliste, à la fois hors de l’orchestre et faisant corps avec lui, vous avait aidé dans votre travail de chef ; inversement, votre position de chef a-t-elle nourri votre travail de pianiste ?
Écoutez, je dois vous avouer quelque chose. En un sens, c’était inévitable et, cependant, je n’ai jamais cherché à être chef d’orchestre. C’est étonnant. J’ai commencé le piano à huit ans, mais j’ai fait en quatre mois ce qui se faisait en trois ans. Tout ça parce que j’étais prêt. Avant de toucher l’instrument, j’avais suivi une année entière de solfège. Je ne travaillais que ça. Si bien que, à huit ans, j’étais un grand virtuose du solfège. De toute façon, il ne faut pas commencer trop tôt le piano. La main n’est pas terminée, et on prend très facilement de très mauvaises habitudes dont on ne se débarrasse jamais. Moi, quand on m’a mis un piano sous les doigts, j’ai avancé très vite. En trois mois, je jouais les petites sonates de Beethoven. C’est quand même formidable, non ? Et le plus formidable, à cet âge, c’est la mémoire : c’est fou ce que l’on peut apprendre rapidement !
Donc, à huit ans, vous avez beaucoup travaillé.
Pas « à huit ans », bien davantage : entre huit et onze ans, j’ai beaucoup travaillé.
Et, à onze ans, c’était fini ?
Honnêtement ?
Je subodore que ce sera plus intéressant ainsi, oui.
Eh bien, après onze ans, je n’ai rien foutu pendant les quatre ans que j’ai passés au Conservatoire de Paris. Dieu merci, j’ai quand même eu, jeune, mon Premier prix… même si José Iturbi, grand pianiste et chef espagnol, m’avait devancé et avait eu son Prix plus jeune que moi, de quelques mois.
Vous l’avez encore en travers de la gorge.
Disons que ça m’a beaucoup contrarié pendant très longtemps.
« Je ne suis pas le seul à bien jouer du piano »
Revenons à ma question, si vous le voulez bien : en quoi votre activité de chef a-t-elle influencé votre activité d’instrumentiste ?
J’ai toujours été intéressé par l’orchestre. J’ai toujours orchestré ce que je jouais. Quand j’interprétais des sonates de Beethoven, je les orchestrais dans ma tête. Le piano permet d’imaginer tous les instruments. On a une variété de registre phénoménale. L’orchestration au piano est une activité très saine. Dans certains passages, on entend les violoncelles ; dans d’autres, on entend les cors, les timbales, etc. Les couleurs que l’on peut trouver au piano sont infinies. Il n’y a pas, d’un côté, piano, de l’autre, forte. Le plus intéressant, c’est ce qu’il y a entre les deux. Je le vois, avec les jeunes artistes qui me font la gentillesse de venir travailler avec moi. C’est affolant, ce que l’on constate : manque de culture musicale, défaut d’imagination absolument hallucinant, méconnaissance du style, difficulté à nuancer avec finesse, ignorance de l’art de la pédale – la pédale, ça se travaille avec le bout du pied, c’est pas un accélérateur ! –, etc. Cela dit, je ne suis pas le seul à bien jouer du piano, attention : il y a de très grands pianistes… et de très mauvais. Mais, je vais vous faire une confidence, je préfère les mauvais aux moyens.
Parce que, au moins, ils sont bons dans leur « mauvaiseté » ?
Exactement !
Dans votre livre, vous avez expliqué que Maureen O’Hara vous séduisait davantage que Germaine Tailleferre. Ne pensez-vous pas, puisque l’on parle de bilan et d’évolution, que vos jeunes consœurs doivent affronter une « exigence Maureen O’Hara », qui les inciterait à faire passer, parfois, leur talent sous leur capacité à être plus fantasmatiques que Germaine Tailleferre ?
Il faut reconnaître que le piano a eu un âge d’or. Aujourd’hui, il n’y a plus un Chopin. Il n’y a plus un Liszt. Il n’y a plus un Debussy. Il n’y a plus un Ravel. Ravel était un compositeur pour piano exceptionnel ! Il n’y a plus un Prokofiev. Bref, il n’y a plus de grandes œuvres pour piano. Les dernières, c’étaient les sonates de Pierre Boulez. Aujourd’hui, on est dans une impasse épouvantable. Pour les compositeurs, le piano, c’est assez terminé.
Vous-même avez connu un certain âge d’or, puisque vous n’êtes pas seulement pianiste, chef et pédagogue, mais aussi mémoire vivante. Vous avez rencontré des personnalités très importantes de la musique de ce dernier siècle – je pense à trois exemples : Stravinski, Bernstein et Villa-Lobos.
Je vais vous le dire tout de suite : il vaut mieux connaître la musique que les compositeurs.
Vous l’avez dit d’Igor Stravinski…
Il n’y a pas que lui. Et puis, moi, je n’ai pas connu le vrai Stravinski. J’ai connu un personnage déjà âgé. Il était curieusement un peu aigri, alors que tout lui réussissait. Peut-être était-il dans une impasse musicale, aussi. Le langage musical avait évolué depuis Le Sacre du printemps ! Je l’ai connu trop âgé. Disons pudiquement que, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il n’était plus lui-même. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c’est beaucoup, quand même… Je vais être clair : quand je l’ai connu, ce grand monsieur était dans l’incapacité de diriger un orchestre.
« Être normal, c’est sortir de la musique »
Pourtant, vous estimez avoir enregistré un très beau disque avec lui…
Oui, je suis très content de ce disque, et les gens l’aiment beaucoup. Il faut absolument que vous l’écoutiez ! Bien des années plus tard, je ne peux que remercier les musiciens freelance de New York avec qui j’ai travaillé. C’étaient des interprètes étourdissants, bien qu’ils n’appartinssent pas à un orchestre. Le principe était identique à celui de Hollywood, où vous avez des orchestres sensationnels qui enregistrent les musiques de films avec des artistes éblouissants. Le Columbia Symphony Orchestra était de cette trempe. C’était formidable, et ça nous a permis de faire le disque tout seuls.
Malgré la présence du compositeur…
Je vais vous dire : je me souviens de deux choses, à propos d’Igor Stravinski. Première chose : il ne me parlait presque pas. Manifestement, il ne pouvait pas me voir, peut-être parce qu’il voulait faire le disque avec… hum, une pianiste dont je tairai le nom. C’est hallucinant, parfois, le choix des compositeurs, même si je ne suis pas sûr qu’il était en état de la choisir personnellement. Seconde chose dont je me souviens : il me tutoyait. J’étais très content. Un jour, il m’a dit : « Dis-moi, Philippe, qu’est-ce qu’on fait, ici ? » Méfiant, je l’ai laissé s’embourber seul. Eh bien, il ne s’est pas embourbé du tout ! Il m’a dit : « On fait un disque. On fait une photo. Un disque, c’est simplement le reflet d’un instant. » Il avait raison. Un disque n’indique jamais une manière définitive de jouer une œuvre. Même quand le compositeur dirige. Un disque illustre simplement la manière dont on jouait une œuvre ce jour-là, point à la ligne.
Vous-même l’avez prouvé en réenregistrant des œuvres.
C’est exact. J’ai fait tout Ravel, et je l’ai réenregistré vingt ans après. La vision est à peu près la même, mais il n’y a rien de pareil. Heureusement. C’est une autre photo.
D’autres photos sont plus joyeuses : vous êtes souvent revenu sur votre intimité avec Leonard Bernstein et sa famille.
Bernstein, c’était un copain. Je m’entendais très bien avec lui, alors que nous étions totalement différents à tout point de vue. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi doué. Vous savez, celui qui a écrit West Side Story n’est pas n’importe qui. C’est quand même un des plus grands opéras jamais écrits. Dans le siècle dernier, il y a deux opéras miraculeux : West Side Story et les Dialogues des carmélites de Francis Poulenc. Oh, on peut ajouter L’Ange de feu de Sergueï Prokofiev, que j’aime beaucoup. Certains compositeurs contemporains ne manquent pas d’intérêt, notez bien. Par exemple, j’ai développé une oreille spécifique, donc un penchant pour quelqu’un comme Philip Glass. C’est de la musique répétitive, mais c’est formidable. Ce type est un grand compositeur. Il a écrit un opéra de 95’ à partir des Enfants terribles de Jean Cocteau. Il y a trois pianos dans l’instrumentarium, et c’est magnifique.
Parmi les compositeurs que vous avez croisés, il y a Heitor Villa-Lobos.
Oui, un jour, j’étais à New York, il m’invite à venir travailler chez lui. J’accepte avec empressement. Je me mets au travail ; et lui, assis à la table qui jouxtait le piano, composait. Effarant, n’est-ce pas ? Moi, je lui collais des Ballades de Chopin, et lui écrivait des Saudades do Brasil ou je ne sais quoi !
C’est curieux, d’inviter un musicien et d’écrire autre chose à deux mètres de lui, non ?
C’est simplement le signe qu’il savait faire abstraction. Je vous l’accorde, on peut se demander comment…
… et pourquoi, aussi !
Je l’ignore. Je ne lui ai jamais posé la question.
Puisque nous parlons de ce qui est logique et compréhensible, parlons aussi de la normalité. En 2015, vous affirmiez vouloir vivre comme un individu normal. C’est quoi, pour vous, être normal ?
Oh, je sais bien que l’on n’est jamais normal. Personnellement, je me considère néanmoins comme normal chez les anormaux.
Comment se constitue la normalité d’un pianiste au rayonnement international ?
Pourquoi cette question ? Vous ne me trouvez pas normal ?
Ça dépend, mais ça me permet de reposer ma question : c’est quoi, pour vous être normal ?
Pour moi, c’est sortir de la musique. Je m’intéresse à tout. Je ne martyrise personne. J’ai d’immenses défauts. J’ai de grandes qualités. [Son assistante intervient : « Pardon ? J’ai pas entendu ! Cette phrase a glissé… »] Bref, je suis comme tout le monde. Sauf que j’ai tout à fait réussi à être un artiste et un être normal. C’est pas mal, non ?
Deuxième mouvement, l’actualité
Philippe Entremont, après une première partie d’entretien qui dressait manière de bilan, nous voici au cœur de notre entretien pour évoquer votre actualité – en l’espèce, un nouveau disque Schubert. En ouverture et au centre de l’enregistrement, la vingt-et-unième sonate de Franz Schubert…
Vous voyez, cette sonate, je la joue toujours ; mais je ne la joue plus pareil que sur le disque. On trouve toujours quelque chose à modifier. C’est plus ou moins réussi. En tout cas, ce disque représente ce que je pensais de la sonate D960 quand j’étais en studio, voilà.
Pourquoi avoir choisi, enfin, de l’enregistrer ?
D’une part, le temps pressait. D’autre part, j’en ai toujours eu envie.
Vous écrivez que vous y avez pensé pendant cinquante ans… Pouvez-vous expliquer, pour les pékins de mon acabit, ce que signifie remâcher, rabâcher, mûrir une œuvre pendant cinquante ans et se décider à la graver ?
Il était temps de le faire. Mais ça fait plutôt vingt ans que j’y pense.
« Je n’ai pas de colère contre les pianofortes, je les hais »
Vous écrivez dans le livret : « Depuis plus d’un demi-siècle, je pense à cette sonate »…
Et j’ajoute : « Le désir de l’enregistrer est venu vers 2009 »…
Alors, neuf ou cinquante ans ?
Écoutez, ce qui est amusant, c’est que, cette sonate, je vais la jouer en concert prochainement en Italie, et on va en faire un DVD. Un an après environ la version que vous avez écoutée, ce sera donc, déjà, une chose différente. J’espère que cette évolution ira vers le meilleur, car on peut toujours faire mieux. En tout cas, l’idée me passionne. Imaginez que, cette sonate, je la joue, pour moi, de manière régulière. Une fois par semaine ou tous les quinze jours, ça dépend ; eh bien, je continue à l’interpréter différemment. Même si les gens ne s’en rendent pas compte, pour moi, c’est important.
Pourquoi cette fascination envers cette sonate, que vous évoquez plusieurs fois dans votre livre ? Que cristallise-t-elle pour vous… et pourquoi avoir tant tarder à l’enregistrer ?
Cette sonate a été beaucoup enregistrée, mais presque toujours à titre posthume. C’est à la fois triste et logique. J’ai écouté des disques de jeunes artistes qui l’interprétaient : on n’y est pas. Cette œuvre demande du temps. Il faut être libre. Il faut être mûr. C’est quasiment la dernière pièce que Schubert a écrite. C’est donc un aboutissement. Pour le compositeur comme pour l’interprète. Il n’y a pas de hasard si cette sonate est la dernière œuvre qu’ont enregistrée beaucoup de grands pianistes.
Vous-même n’avez pas été tenté de l’enregistrer plus tôt, donc trop tôt ?
Les Polonais ont enregistré une version que j’ai faite jadis. J’ai le disque. Récemment, je l’ai réécouté. J’étais allé le déterrer. Il n’est pas resté longtemps en surface. Il y a des choses bien, mais…
Qu’est-ce qui vous déçoit, dans cette version ?
C’est une version de pianiste, pas de musicien. On peut être pianiste sans être musicien. On peut être musicien sans être pianiste. Le but, ça reste quand même de combiner les deux. Parce que c’est là que ça commence à devenir intéressant.
Donc, dans votre ancienne version, il y avait plus de notes que de musique ?
Disons qu’il y avait une préoccupation que, quelquefois, on sent. C’était brillant, très brillant. Il faut dire que, à cette époque, Vladimir Horowitz avait enregistré la sonate avec un grand succès. Mais, si vous écoutez, ce n’est pas Schubert qui joue : c’est Horowitz. Attention, c’était un immense pianiste, Horowitz, comme l’a été Claudio Arrau. Bon, le plus grand de tous, ça reste Rachmaninov. Il y a lui et les autres. Aujourd’hui, on peut citer Lang Lang. Il est étourdissant. Faut surtout pas l’imiter, ce serait une erreur monumentale. Mais quel artiste ! Moi, je l’ai entendu quand il était très jeune. Il avait dix-sept ans et il étudiait à Philadelphie. Ce qui sortait de son piano était magnifique, de pensée et de jeu. Je suis sûr que le milliardaire redeviendra un millionnaire normal !
Pour jouer Schubert, il existe plusieurs écoles. Pour votre part, pas d’ambiguïté : vous revendiquez votre colère contre la mode des pianofortes…
Ah, mais je n’éprouve pas de la colère contre eux : je les hais, nuance. Et ça continue ! C’est pire que jamais… Qu’est-ce qu’on nous bassine avec ça ? Rappelons ce qu’est un pianoforte : c’est un mauvais instrument de transition. Le clavecin était enfin devenu de grande qualité. On a décidé de partir sur autre chose, en l’espèce un piano. On a balbutié pas mal de temps, avant d’obtenir un prototype satisfaisant. Mais enfin, monsieur, imaginez-vous Beethoven, il a connu ça, imaginez-vous Chopin, imaginez-vous Liszt, bon sang ! connaissant le piano que nous avons aujourd’hui, croyez-vous un instant qu’ils préfèreraient être joués sur un pianoforte ? Mon Dieu, non ! Jamais ! Regardez les pédales de Beethoven. Il exigeait des tenues à la pédale pendant vingt mesures. Pourquoi ? Parce que la pédale ne tenait rien du tout. Vous aimez ça, vous, le pianoforte ?
J’aurais bien dit oui, pour polémiquer ou parce que je connais une étudiante qui se spécialise dans cet instrument, mais non.
Je vais être plus dur : la seule justification du pianoforte, c’est que c’est une manière pour les gens qui ne jouent pas bien du piano d’avoir un instrument à la hauteur de leurs modestes moyens.
Vue l’étudiante à laquelle je pense, je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas…
Je savais que vous alliez tiquer, car je n’ai jamais été aussi méchant.
Non, là, j’insiste : pour parler de l’artiste à laquelle je pense, je crains que, révérence parler, vous ne soyez plus dans l’erreur que dans la méchanceté.
Écoutez, que des gens, même talentueux, se laissent avoir à ça… Ça me laisse sans voix. J’ai lu des musicologues. Des critiques, aussi. Tous, ils écrivent n’importe quoi.
« Je n’ai jamais eu de chance, juste des opportunités »
Même les critiques ?
Les critiques, c’est comme les pianistes. Y en a des bons, y en a des mauvais. Me concernant, deux critiques ont été extrêmement utiles. Ils ont pointé des défauts que j’avais à seize et dix-sept ans. Ce sont les seuls bons critiques que j’ai connus. Ils étaient New-yorkais. C’est quand même étonnant, que je doive à des critiques parfois compositeurs comme Virgil Thomson, du Herald Tribune, ce que je suis aujourd’hui, non ? Je ne le dois pas QU’aux critiques, attention ! Surtout que, quand on lit certaines âneries…
Par exemple ?
Je suis révolté quand je lis que j’ai eu la chance de jouer à Carnegie Hall… Je n’ai jamais eu de « chance » ! On a l’opportunité d’y jouer une fois mais, ce qu’il faut, c’est y revenir. C’est ça qui est important ! Actuellement, je vois les jeunes pianistes qui font leurs fiers parce qu’ils ont donné un concert à Carnegie Hall. Ils ont tous joué à Carnegie Hall. Ils oublient juste de préciser qu’il y a trois salles à Carnegie Hall ! Les gamins ne jouent pas dans la grande salle. Je n’ai rien contre la petite salle, qui est tout à fait charmante ; mais pourquoi essayer de tromper les gens ? Parfois, il est bon de mettre les choses au point. C’est comme si on me disait : « Philippe Entremont, vous allez jouer à Pleyel ! », et que l’on m’envoyait jouer dans la petite salle Chopin-Pleyel, en bas. Eh bien, pardon : on ne jouait pas « à la salle Pleyel » quand on jouait à la salle Chopin-Pleyel.
Votre nouveau disque, qui n’est pas enregistré à la salle Chopin-Pleyel, est l’occasion de revenir sur votre déclaration : « Je veux consacrer une partie de mon temps à des artistes en devenir. » En l’espèce, vous offrez une place à Gen Tomuro, qui était votre élève…
Absolument. Je l’ai vu hier. En un an, il a fait des progrès phénoménaux. Je suis très content de la manière dont il joue actuellement. On le sent très ouvert. Moi, j’aime ça. J’aime les progrès.
Dans votre livre, vous évoquiez deux élèves : M. Tomuro et Mlle Tian.
Oui. Et alors ?
Mlle Tian a-t-elle rejoint le purgatoire des pianistes talentueux qui, à l’instar des candidats talentueux de certains concours internationaux, n’auront pas de place dans le monde du piano-business ?
Aucun juré ne dira que beaucoup de candidats sont talentueux. Dans aucun concours.
J’en ai croisé un…
Vous me faites rire.
Bon, j’ai pas perdu ma journée.
Écoutez, j’étais au dernier concours Chopin. Si j’ai entendu trois candidats avec du potentiel, c’est le bout du monde ! En fait, je demande que l’on arrête avec les concours, bon sang.
« Je ne veux pas de Victoire posthume »
Vous ne pensez donc pas qu’il y a un gap entre les bons pianistes et la capacité du marché à les valoriser à leur j…
Non. Y a toujours autant de bons pianistes. Pas plus qu’avant. Vous voulez me faire dire qu’il y a de belles mécaniques ? Soit. Mais des musiciens respectueux de la partition, non, monsieur. Ils jouent bien ? La belle affaire ! Ont-ils quelque chose à dire ? Que nenni ! Du moins, il y en a peu. Et certainement pas plus qu’avant.
Bref, contrairement à ceux qui dénoncent les concours parce qu’ils couronnent des rois sans royaume, vous dénoncez les concours parce que…
… mais parce que c’’est une monstruosité, tout simplement ! Des concours, il y en a des centaines. Tous affirment produire le génie du siècle. C’est dramatique, comme est dramatique la situation du pianiste. L’instrumentiste à cordes, s’il a quelque chose dans le ciboulot, il se rend compte qu’il ne sera pas un Jascha Heifetz, un Jacques Thibaud, un Zino Francescatti ou un Itzhak Perlman, etc. Mais lui, au moins, il a l’espoir de vivre de son instrument.
En intégrant un orchestre ?
Évidemment ! Vous ne vous rendez pas compte du nombre d’orchestres qui existent, dans le monde. Comme les concours, c’est énorme ! Et ils sont très bons, croyez-moi. Partout. Moi, j’ai connu le temps où il y avait, disons, dix bons orchestres aux États-Unis. Aujourd’hui, on peut multiplier ça par vingt. Il y a de bons orchestres partout. C’est pas le Philharmonique de Berlin, mais quelle qualité ! Tenez, l’autre jour, je regardais les Victoires de la musique classique. Il n’y avait qu’un vainqueur, dans cette soirée : l’Orchestre de l’opéra national de Lyon. Superbe.
D’ailleurs, vous n’avez pas encore eu votre Victoire…
C’est pire que ça : c’est la seule récompense que je n’ai jamais eue. J’ai eu toutes les autres, mais alors toutes, et pas la Victoire !
Vous le reprochez à votre agent, aux coteries…
Certainement pas aux coteries : juste à un mot qui, en français, est très bon – la connerie.
Donc, c’est fait, vous n’aurez pas de Victoire de la musique…
Oh, non seulement je ne l’aurai pas, mais j’espère ne surtout pas en avoir une à titre posthume !
Troisième mouvement, la prospective
Philippe Entremont, la première puis la deuxième parties de cet entretien en trois mouvements l’ont montré : l’enregistrement de la sonate D 960 de Schubert est une pierre sur votre chemin.
C’est mieux qu’une pierre dans mon jardin… J’ai eu très peur de votre audace, jeune homme !
Ne vous défaites pas de votre crainte, monsieur. En effet, puisque vous avez fait des choses objectivement folles, à l’échelle du commun des mortels : obtenir des distinctions mythiques dès votre adolescence, jouer un grand concerto de Mozart sous la direction de votre père, être invité et réinvité dans les plus grandes salles du monde, obtenir un succès jamais démenti, former des jeunes artistes que vous avez choisis, diriger des orchestres, enregistrer la sonate de Schubert qui signe la maturité de l’artiste et qui vous tenait tant à cœur, il ne me reste plus qu’à poser la question qui s’impose : pourquoi êtes-vous encore vivant ?
Ben c’est pas ma faute, quand même ! Je vous assure que j’ai rien fait pour. J’ai eu une vie tout à fait normale, donc j’ai commis toutes les bêtises du monde. En revanche, je ne me suis jamais fixé un but. Jamais. Ce qui m’intéresse, c’est d’être bien au moment où je suis sur scène. Voilà. J’ai besoin d’être sur scène. C’est quelque chose que j’estime naturel. Je me sens bien, sur scène. J’adore communiquer avec le public. Je déteste l’esbroufe. Ça ne sert à rien. Vous voulez une réponse définitive ? Très bien : pour moi, ce qui est important, c’est le prochain concert. Toujours. En espérant y faire de mon mieux. Dire que je suis content tout le temps, ce n’est pas vrai. Ne croyez pas ça. Mais, tout de même, il y a des moments très agréables.
Ce sont ces « moments agréables » que vous recherchez ?
Oui. Donner un concert au cours duquel je me sens bien. C’est là où je me sens le mieux : sur scène, devant un piano. Là, ça va. C’est ça mon but. Je n’ai pas l’intention de m’arrêter. Je sais que la fin arrivera. En attendant…
« Ça vaut la peine d’avoir la rosette »
Rêvez-vous toujours de diriger un grand opéra de Mozart – puisque, en 2015, vous annonciez deux rêves : enregistrer cette sonate gravée pour Solo-Musica et diriger un grand opéra de Wolfgang Amadeus ?
Oh, quant à ça, je sais que ça ne se produira pas. Tant pis. Ça ne m’empêche pas d’adorer Mozart, mais le monde de l’opéra est aussi dévorant que passionnant. Maintenant, j’ai besoin de davantage de calme. Je ne me vois plus dans la fosse. Bien sûr, diriger un opéra de Mozart, je serais capable de le faire, je vous le dis tout de suite ! Ce n’est peut-être pas un hasard si, en tant que chef d’orchestre, j’ai connu, travaillé avec et accompagné les plus grands chanteurs. J’ai enregistré avec eux. J’ai fait le dernier disque de Régine Crespin, si je ne me trompe. Un disque que j’aime énormément ? Les mélodies de Strauss avec Sophie Koch. J’ai dirigé le dernier concert de Carlo Bergonzi…
… mais il restera donc ce regret mozartien…
Oui et non. J’ai quand même dirigé un opéra, dans ma vie. Pas n’importe où : à Saint-Pétersbourg. On m’avait demandé de diriger un opéra français. J’étais tout à fait d’accord. Puis j’ai reçu la demande : « Nous voudrions que vous fassiez La Bohème. » « Comme opéra français, on fait mieux », ai-je objecté. Et on m’a rétorqué : « Voyons, ça s’passe à Paris ! »
Ça doit être coton à diriger !
Coton ? Vous plaisantez, jeune homme ! Ce n’est pas coton : c’est l’opéra le plus difficile à diriger. Comme c’était horriblement compliqué, je l’ai fait. Et je dois dire que ça s’est bien passé.
Dans votre livre, vous dites que la soif d’une grande carrière s’accompagne de choses qui ne sont pas toujours très jolies…
Faut pas vouloir. Faut pas compter sur quoi que ce soit. C’est voué à l’échec. Ça paralyse.
Vous, vous dites : je ne m’y suis jamais abaissé.
C’est normal, le mot « carrière » ne m’intéresse pas. Je trouve ça éminemment prétentieux ; et je n’aime pas la prétention. Cela dit, je peux vous raconter un exemple de prétention extraordinaire dans un train. Ça vous intéresse ?
Mes lecteurs et moi sommes tout ouïe.
Mon manteau sur le dos, j’entre dans un compartiment. Un grand type s’y dressait, aussi massif que laid et gros. Rapidement, j’ai appris qu’il était président d’un conseil général… Il était carrément odieux et me regardait de haut, rosette de la Légion d’honneur en évidence. Il me cassait les pieds, multipliant les exigences du genre : « Non, mettez ça là-haut », etc. N’en pouvant plus, j’ai retiré mon manteau, et le type en est resté comme deux ronds de flanc : devant lui, il avait un type qui était commandeur de la Légion d’honneur. Et là, je me suis dit : « Au fond, ça vaut la peine de l’avoir, cette rosette ! » Le pauvre type était décomposé. Sa fierté était si mal placée…
Puisque l’on est dans le civisme et la politique, via ce président d’un conseil général, restons-y un instant : selon vous, un ministre de la culture est inutile.
C’est pas « selon moi » ! On en a confirmation tous les jours.
Vous allez plus loin : à vous croire, la France devrait suivre le modèle des États-Unis, donc s’en remettre exclusivement aux financements privés. N’est-ce pas paradoxal pour quelqu’un qui a lancé sa carrière sur ses années passées au Conservatoire National et sur le prix que celui-ci a décerné ?
Soyons sérieux, et regardons ailleurs. En Amérique, c’est formidable. Tout – la recherche, l’université, la vie culturelle – dépend de l’argent privé. Pour les gens très riches, c’est entièrement déduit des impôts.
Pourquoi un système fondé sur les désirs privés serait-il meilleur qu’un système fondé sur l’intérêt public ?
Vous voulez dire que le système américain a ses défauts ?
Un peu, oui.
Peut-être en a-t-il ; mais, croyez-moi, tout système a ses défauts.
« Ne me parlez plus du système français, enfin ! »
Sauf que, pour vous, le système français n’a que des défauts…
Ne me parlez plus du système français, enfin ! Regardez l’Allemagne. Là-bas, il y a le fédéralisme. Il y a les Länder qui subventionnent ce qu’ils veulent. Prenez Munich, par exemple…
Comme par hasard, vous choisissez un exemple hors norme, lié à la richesse de la Bavière.
Qu’importe ! Vous savez ce qu’ils claquent comme argent pour l’art ?
Ça ne répond pas à la question du rôle de l’État : la Bavière est une région très riche. Qu’ils dépensent beaucoup d’argent pour la musique, c’est joyeux ; mais quid des autres Länder et de leurs habitants ?
Attendez, vous avez vu ce qu’ils en font, les Bavarois, de ce que vous appelez la richesse ? Le plus grand opéra du monde, trois orchestres symphoniques, des orchestres un peu partout… Tout ça est financé par la région ! C’est formidable, il me semble.
Alors, en France, on crée cinq nouveaux orchestres à Paris et on abandonne la Creuse ?
En France, puisque ça vous obsède, il y a beaucoup d’argent dépensé ; mais il est tellement mal dépensé ! C’est ça, le problème. Je suis découragé de voir les ministres de la Culture de tous bords se succéder. Ils sont tous aussi mauvais les uns que les autres. Depuis Malraux, on n’a pas eu de vrai ministre de la Culture.
Depuis Malraux ? Ce n’était pas un passionné de musique…
… mais c’était Malraux ! Il y a eu aussi le jardinier… Comment s’appelait-il, déjà ? Ah, oui, Michel Guy [de 1974 à 1976, secrétaire d’État à la Culture car il était horticulteur, mort du Sida en 1990]. J’aimais bien aussi Frédéric [Mitterrand]. Il avait des défauts mais il était engagé. En dehors de cela, quelle collection de zéros ! et, grâce à eux, quelles nominations absurdes à l’opéra ou à la tête des grands orchestres ! C’est d’une absurdité totale et d’une grande méconnaissance.
Vous n’avez jamais eu de grand poste en France.
J’en suis bien content.
Ça ne vous a jamais tenté ?
J’ai failli en avoir un, une fois. On m’avait pressenti pour être professeur au Conservatoire national de Paris. Mais le responsable du recrutement a décidé que j’étais inaccessible : je dirigeais des orchestres, pensez ! En vrai, il ne m’avait pas posé la question. Bref, ne me parlez pas de ça, c’est moche. Et, le plus moche, c’est que ce n’est pas mieux aujourd’hui. Dommage.
« À côté de l’industrie du piano en Chine,
Renault, c’est de la bibine »
Les relations de pouvoir doivent être compliquées, avec des personnalités plus politiques que compétentes…
Écoutez, un jour, un directeur de grrrande scène vient me voir.
Qui ?
Je ne dirai pas son nom.
Un indice, au moins !
Il dirigeait le Châtelet.
On progresse.
Ce monsieur vient me voir à la fin d’un concert que je dirigeais. Vous savez ce qu’il m’a sorti ? « Ha ! Si nous avions, en France, un chef comme vous ! » Je crois qu’il était persuadé que j’étais Canadien… Voilà où on en est. Bien entendu, vous ne l’écrivez pas, hein !
Vous décidez ce qui est off.
Bon, marquez-le quand même. Ça pourra toujours être utile pour mon livre posthume.
Alors, avant le off, le on. Une presque-dernière-question : comment l’artiste qui vient de sortir un disque écoute-t-il son travail ? Quelle est la part de la satisfaction de la frustration, de…
Je sais que l’on peut toujours faire autrement. Je le souhaite. Sinon, on meurt. Comme disait Stravinsky, tout enregistrement est un cadavre. Moi, j’avance. Depuis, j’ai déjà gravé un autre disque, on peut le dire ? [Son attaché de presse approuve.] Ça s’est très bien passé. Je suis très content du résultat. Pourtant, il n’y a rien d’amusant à faire un disque. Cela exige de faire abstraction. Beaucoup. Il faut penser à l’œuvre. Surtout pas se dire : y a des micros. Là, on est foutus. Faut faire attention à ça.
La spécificité du studio joue-t-elle ?
Énormément. Je crois beaucoup à l’environnement. Y a des salles que j’aime bien, d’autres que je n’aime pas. Pas beaucoup, mais y en a. Et il y a quelques salles que je déteste. Par exemple une qui n’est pas loin de chez moi. On peut y aller à pied. Une fois que l’on est passé devant le palais de l’Élysée, il suffit de [censure]. Mais, non, ce n’est pas le théâtre des Champs-Élysées, très beau théâtre… sauf pour la musique. Moi, je n’aime pas les salles qui n’ont pas d’acoustique. C’est pour ça que des salles comme le Concertgebouw à Amsterdam, c’est merveilleux. Et les salles modernes, il y en a beaucoup d’excellentes.
Même en France ?
Vous savez que, dans ce pays, on a longtemps été victime de Mondial Moquette. Jusqu’à une période récente, ils ont souillé toutes les salles de France. C’était monstrueux ! En plus, certaines salles sont insauvables. Elles doivent avoir une vie et une âme. À Pékin, j’étais aux anges. Toutes les salles sont magnifiques. Imaginez que, en Chine, ils ont construit cent six opéras. Et des géants, attention ! C’est ça, la Chine. Moi, j’ai pris le nouveau train qui va de Shanghaï à Pékin. Y a 1273 km. À côté de leur train, notre TGV soi-disant merveilleux est un tortillard. Leur train est incroyable. On ne sent rien. Il est d’un confort ! J’ai demandé si cette ligne était une incongruité. On m’a répondu : « Non, nous en avons partout ! » Et ce n’est rien – c’est simple : ils ouvrent un aéroport par mois.
Donc l’avenir du transport et de la musique est en Chine ?
Il ne faut pas négliger ce pays. Ils sont très musiciens. J’ai été un des premiers à aller en Chine. C’est fou, ce qu’il s’est passé depuis. Quand vous irez en Chine, vous n’en croirez pas vos yeux. D’autant que ce sera le premier pays à se débarrasser de la pollution. Ils ont pris le problème à bras-le-corps. Du coup, quand j’étais à Shanghaï et à Pékin, il n’y avait aucune pollution. Ils y mettent les moyens. Il faut dire qu’ils sont riches.
Y compris pianistiquement ?
Vingt millions de Chinois jouent du piano. Par conséquent, faut fournir les pianos. Leurs usines de pianos, Renault, c’est de la bibine, à côté ! En plus, ils commencent à avoir de très bons orchestres et de très beaux luthiers – c’est essentiel d’avoir de beaux instruments !
En somme, la Chine vous redonne la confiance que vous n’avez plus dans la France.
Oh, on n’est pas encore morts, mais, culturellement, on s’en approche. Quand le journal télévisé d’une chaîne publique parle en pleurnichant de la succession du « plus grand artiste français »… on se fout du monde, non ? Quand on voit que le président de la République va à l’enterrement de ce Johnny Hallyday, je suis choqué. M. Macron n’y avait pas sa place. Comment peut-il saluer l’un des plus grands évadés fiscaux du pays ? C’est se foutre du monde. Tenter de manipuler un peuple de la sorte, c’est choquant. Et le pire, c’est que je paye ma redevance ! Ça me rend malade. Je préfère les États-Unis. Les gens savent se tenir. Et pourtant, ils ont des entertainers d’un talent plus notoire, quelque sympathique qu’ait pu être ce monsieur. Quand ils meurent, le président se tient à l’écart. Un peu de dignité, que diable ! Tenez, je vais vous le dire, pour conclure notre entretien – un président de la République française qui se comporte comme ça… ça me scandalise. Mieux : ça me dégoûte.