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Huw Montague Rendall (Pelléas), Antonello Manacorda (chef) et Sabine Devieilhe (Mélisande) aux saluts. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Pour Pelléas, la fin du voyage approche, le début aussi.

Désormais, afin de lui éviter la mort, Arkel l’incite à l’exil. Peut-être fatigué (il déclarera forfait pour des représentations ultérieures), Huw Montague Rendall laisse percer son accent en relâchant la précision des voyelles. La question de la vue, replacée par l’évocation puis la présence d’Arkel (Jean Teitgen), presque aveugle, garde toute sa force. Mélisande (Sabine Devieilhe) promet à Pelléas : « Je te verrai toujours, je te regarderai toujours », tandis que le demi-frère de Golaud lui demande un rendez-vous pour « la voir » une dernière fois – ce sera à la fontaine aux Aveugles. Arkel, lui, s’arc-boute sur son envie de voir Mélisande en l’embrassant. Golaud (Gordon Bintner), personnage principal des actes finaux, s’escagasse des gueux qui viennent périr de fringale devant le château (« on dirait qu’ils tiennent tous à mourir sous nos yeux ») et aboie sur Mélisande en lui demandant : « Vous espérez voir quelque chose dans mes yeux sans que je voie quelque chose dans les vôtres ? »
Sans souffle, hélas, la mise en scène peine à traduire la poésie du texte et de la musique. L’ample tirade de Golaud (« Une grande innocence ! ») tourne plus au morceau de bravoure qu’au concentré de colère rentrée et ou donc délirante ; et le duo d’amour de la quatrième scène de l’acte quatrième vaut surtout par l’intensité que lui confèrent ses interprètes, entre punchlines

  • (« Et tous ces souvenirs, c’est comme si j’emportais un peu d’eau dans un sac de mousseline »,
  • « on a brisé la glace avec des fers rougis »,
  • « on dirait que ta voix a passé sur la mer au printemps »,
  • « Je ne t’entends plus respirer. / – C’est que je te regarde »,
  • « Ah ! qu’il fait beau dans les ténèbres ! », etc.)

et champ lexical de la vue

  • (« Je n’ai pas encore regardé son regard »,
  • « On pourrait nous voir »,
  • « Je veux l’on me voie »,
  • « C’est la dernière fois que je te vois »,
  • « Il a tout vu, il nous tuera ! »).

Puis, en contemplant la transposition vidéo de la fuite de Mélisande, un ralenti sépia dans le petit matin, on entend le verdict du musicologue expert Alain Souchon devant cet appendice bidon, et on l’approuve :

 

 

Consternation !

 

 

Le cinquième acte s’ouvre sur l’agonie de Mélisande, qui veut encore ouvrir la grande fenêtre (« c’est pour voir ! »). Le court rôle d’Amin Ahangaran comme médecin permet au membre de la troupe de l’Opéra d’installer une certaine présence, malgré un français très perfectible, ce qui est fort dommageable dans un opéra aussi délicat. Le bouleversant duo des époux, alors que Mélisande s’éteint (« J’ai le soleil du soir dans les yeux (…). Y a-t-il longtemps que nous ne nous sommes vus ? »), fait regretter la platitude de la mise en scène, dont la louable sobriété peine cependant à faire résonner

  • la fragilité intrinsèque,
  • la solennité inéluctable et
  • la puissance funèbre

du moment. Curieux, car Sabine Devieilhe est dans un registre qui lui convient ; et, surtout, l’orchestre travaille joliment. Sous la baguette d’Antonello Manacorda, il

  • déploie des couleurs efficaces,
  • cisèle des synchronisations précises et précieuses, et
  • sait alterner cohérence du son avec complémentarité des sonorités propres à chaque pupitre.

Surprise pour le spectateur : Sophie Koch revient sur scène afin de présenter la fille de Mélisande, laquelle finit par « fermer les yeux ». Wajdi Mouawad tente une incursion dans le fantastique et le symbolique pour accompagner la mort de Mélisande en réintroduisant Pelléas version fantôme. Le rajout paraît vain tant la tentative ou la tentation d’évoquer voire de décrire l’indicible oscille entre lourdeur et maniérisme. Arkel, lui, affirme n’avoir « rien vu » et conclut de la défunte : « C’était un petit être mystérieux comme tout le monde. » Du moins cette production qui peine à convaincre laisse-t-elle goûter la poésie d’harmonies verbales et sonores dont l’écoute – sinon la vue, hélas – est souvent un émerveillement recommencé !