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Première du premier disque du quatuor Lontano

 

À l’occasion de l’édition 2024 des Musicales d’Assy, festival impulsé par Pauline Klaus, nous publions un grand entretien avec la violoniste-pédagogue-organisatrice.

  • Diplômée du CNSM de Paris,
  • lauréate du Conservatoire royal de Bruxelles,
  • auréolée – au moins – d’un master de philosophie en Sorbonne,

l’artiste nous ouvre les coulisses d’une carrière singulière mais pas solitaire, associant, entre autres,

  • le quatuor (avec ses complices du Lontano),
  • le concert avec orchestre et
  • le récital solo

à, donc, l’invention et la réinvention d’un festival créatif mais aussi à l’enseignement à hauteur humaine,

  • chaque activité,
  • chaque passion,
  • chaque heureux détour

semblant nourrir l’inspiration de la musicienne. Bonne découverte aux curieux !

 

Cliquer pour découvrir les épisodes précédents
1. Être violoniste, non-mode d’emploi
2. Faire du violon un métier, les coulisses d’un choix
3. Inventer un festival, pistes et contre-pistes
4. Inciter à la création, projet de vie


Épisode 5
Faire (de) la musique,
les dessous d’un mystère

 

Pauline Klaus, en sus du festival, vous vous produisez dans des formations extrêmement différentes, dans des répertoires extrêmement différents, poussée par des envies qui semblent extrêmement différentes. Comment articulez-vous ces facettes de votre vie artistique ?
Il est vrai que la vie de violoniste offre de nombreuses opportunités, de nouveautés, de propositions et de découvertes souvent inattendues. J’ai la chance de jouer un répertoire très large, des classiques à des créations, de Bach et Beethoven à George Crumb ou Tristan Murail. Je suis amenée à découvrir sans cesse de nouvelles œuvres. Néanmoins, du point de vue humain, j’aime aussi monter des projets avec des partenaires avec lesquels, au fil du temps, je noue des relations. J’apprécie de cultiver des affinités à la fois électives et diverses. Il y a le quatuor et pas que le quatuor, ce qui est très sain. Par leur brièveté, les projets ponctuels impliquent de solides relations de confiance.

 

« La question de l’équilibre est au cœur du quatuor »

 

Les liens sont-ils les mêmes avec vos complices du quatuor ?
Non. Le quatuor, c’est vraiment très particulier. Grâce à  lui, j’ai parfois l’impression de poursuivre avec bonheur une formation exigeante, comme si je prolongeais mes études ! On dit souvent que l’on continue d’apprendre de ses pairs toute sa vie. Ce n’est que plus vrai avec le quatuor.

Pourquoi ?
Cette formation représente une somme de contraintes qui m’oblige à beaucoup, beaucoup travailler sur des paramètres qui sont parfois laissés de côté sur d’autres projets. Je suis amené à adapter mon jeu : justesse harmonique, synchronicité, interconnexion des voix et des phrasés… C’est un redoutable équilibre du tout qui exige de se déprendre de ses seules envies ou inspirations.

Par exemple ?
Eh bien, au cœur du quatuor, il y a la question de l’équilibre. Être premier violon dans un quatuor n’a rien à voir avec être soliste avec orchestre, dans un concerto. Absolument rien. De sorte que le mode de travail du quatuor est très particulier. Il demande une refonte permanente des habitudes de soliste.

Comment caractériseriez-vous les relations que vous nouez avec vos autres partenaires, orchestres ou musiciens de chambre ?
Ce sont des associations spécifiques pour des projets que nous avons conçus ensemble. Ce peut être aussi la rencontre de jeux, de personnalités musicales très différentes qui dialoguent avec une distance et une liberté différente de la recherche d’homogénéité propre à ce que l’on pourrait appeler l’entité quatuor.

Donc des partenariats éphémères ?
Plutôt des relations brèves et épisodiques, en fonction des projets, alors que le quatuor s’inscrit dans le temps long. Au-delà de ces configurations, la recherche d’accomplissement est toujours la même. J’aime beaucoup l’idée selon laquelle le partenaire idéal de musique de chambre est avant tout celui grâce auquel ses partenaires parviennent à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Qu’en est-il de votre travail en solo ?
Repasser au solo est à la fois plus simple et plus compliqué. Quand on est plusieurs, on est emporté par le flot, l’échange d’énergie avec les aurtes. Seule, je dois créer moi-même ma concentration. C’est autre chose.

 

« L’enseignement est une manière de revenir sur ses principes »

 

Il y a un aspect de votre travail dont on n’a presque pas parlé : vous enseignez le violon au conservatoire du seizième arrondissement. Qu’est-ce qui anime votre désir de transmission musicale ?
L’envie d’enseigner était en moi. Je ne m’imaginais pas ne pas transmettre, d’une façon ou d’une autre. La faute à ma formation de base, qui a été tellement forte ! Comme élève, grâce à l’expérience merveilleuse de la maîtrise, je n’ai pas vécu le conservatoire sous une forme scolaire. Ce qui comptait, c’était d’être de plain-pied dans la musique. Je tiens donc beaucoup à transmettre l’idée que, même avec seulement quelques années de violon, même avec des corps pas tout à fait finis, même avec des moyens en cours de construction, on peut jouer de la très belle musique. Mes étudiants ont déjà l’école à côté ; le conservatoire, ça doit être un monde différent. Ici, le but n’est pas juste de jouer assez bien un morceau pour vite passer au suivant.

Quel est le but, alors ?
Devenir musicien. Pas musicien professionnel, en tout cas pas forcément, mais musicien. Mes élèves peuvent avoir plein d’autres activités dans leur vie ; qu’importe, le violon doit rester une pratique à part.

Dans quel sens ?
C’est très concret, c’est dans la pratique. Quand mes élèves jouent avec quelqu’un, ils apprennent à écouter l’autre ; dans la musique de chambre, ils peuvent guider l’élève plus petit qui s’est trompé et perdu ; bref, devenir musicien implique des dispositions et une façon d’être qui résonnent bien au-delà du simple cours de violon.

 

 

Comment perçoivent-ils cette sensibilisation à laquelle vous travaillez ?
Ils en sont très friands ! Et moi, j’aime les sentir réceptifs à la magie de la musique, quand on partage sans avoir besoin de se parler. Pour moi, c’est le premier point essentiel, dans l’enseignement.

Y en a-t-il un second ?
Oui. J’aime l’idée que mes élèves construisent leur répertoire à partir d’œuvres qui leur sont devenues familières et avec lesquelles ils développent une proximité voire un attachement.

Comment cela se pratique-t-il ?
Tout simplement en reprenant les « vieux morceaux » d’année en année, sans les oublier parce qu’ils sont passés à d’autres « morceaux plus difficiles » et en les partageant entre eux, les années passant. Ça n’est pas la difficulté ou le nombre de notes à la mesure qui fait la musique. Ça aussi, ça leur parle, qui plus est quand ils peuvent changer de voix parce qu’ils sont désormais capables de jouer ce que, l’année d’avant, ils n’étaient pas en capacité d’interpréter. Donc avec une idée de progression…

Aussi curieuse que peut sembler la question, peut-on imaginer que le travail d’enseignement a un impact sur votre travail d’artiste ?
Bien sûr.

Lequel ?
Oh, c’est tout bête mais essentiel : ça me permet de revenir sur plusieurs aspects basiques de la technique du violon. Je redécouvre ce qui fait qu’un mode de jeu fonctionne ; je réapprends à mettre le doigt sur ce qui explique que ça ne fonctionne pas. Ça me fascine. L’enseignement est une manière vivante et oxygénante de revenir sur ses propres principes.

 

« Le langage est une affaire de degrés »

 

La question de la verbalisation graduée semble aussi au cœur de votre activité de musicienne polymorphe, entre l’interprète qui n’a plus besoin de parler (sauf quand elle choisit de présenter une œuvre à son public), la directrice artistique qui doit allier explicitation et travail intuitif avec ses invités, et l’enseignante pour qui la verbalisation est une nécessité.
Si mes activités sont complémentaires, c’est que la parole peut et doit être utilisée de différentes manières. L’enseignement mais aussi le travail avec d’autres musiciens requièrent médiation, exploration, parfois dissection ! Par conséquent, le discours, l’explication, l’échange sont utiles, précieux, indispensables, mais, pour moi, le verbe reste de l’ordre de la préparation. La finalité est de devenir le violon ou de devenir la musique. C’est une forme de transe et une transformation incroyable.

Vous devez donc arbitrer entre parole, musique et silence.
Oui, les trois sont indispensables. Je me souviens d’un concert avec la violoncelliste Marie Ythier où, sans prévenir le public, elle avait pris soin de diffuser des enregistrements de Giacinto Scelsi parlant de l’œuvre que nous allions jouer. C’était saisissant. Pas seulement par les propos que tenait le compositeur : aussi par l’effet de surprise, par le grain de la voix, etc. En médiation comme en pédagogie, parole et musique ne sont pas opposées frontalement, de façon binaire. Il existe de très nombreux degrés que l’enseignant ou l’artiste est appelé à utiliser selon l’effet recherché.

Même en tant que musicienne.
Oui, avec ceci de particulier que l’aboutissement du travail est alors le moment où la parole s’efface et où ne reste que la musique.

 


Site officiel de Pauline Klaus ici.
Site officiel du festival des Musicales d’Assy çà.
Chroniques des deux disques du quatuor Lontano .