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Pauline Klaus, le 24 juin 2024, Paris 8. Photo : Bertrand Ferrier.

 

À l’occasion de l’édition 2024 des Musicales d’Assy, festival impulsé par Pauline Klaus, nous publions un grand entretien avec la violoniste-pédagogue-organisatrice.

  • Diplômée du CNSM de Paris,
  • lauréate du Conservatoire royal de Bruxelles,
  • auréolée – au moins – d’un master de philosophie en Sorbonne,

l’artiste nous ouvre les coulisses d’une carrière singulière mais pas solitaire, associant, entre autres,

  • le quatuor (avec ses complices du Lontano),
  • le concert avec orchestre et
  • le récital solo

à, donc, l’invention et la réinvention d’un festival créatif mais aussi à l’enseignement à hauteur humaine,

  • chaque activité,
  • chaque passion,
  • chaque heureux détour

semblant nourrir l’inspiration de la musicienne. Bonne découverte aux curieux !

Cliquer pour découvrir les épisodes précédents
1. Être violoniste, non-mode d’emploi
2. Faire du violon un métier, les coulisses d’un choix


Épisode 3
Inventer un festival,
pistes et contre-pistes

 

Pauline Klaus, de nombreux artistes « classiques » fondent et dirigent un festival – parmi les derniers à avoir témoigné sur ce sujet dans cette colonne, on peut citer les pianistes Pierre Réach, Tristan Pfaff et Sylvie Carbonel. À leur instar, vous avez fondé et vous dirigez les Musicales d’Assy, mais on pourrait presque dire que ce festival vous a aussi fondée et, sinon dirigée, du moins donné quelques pistes à suivre…
Il est vrai que les Musicales ont beaucoup contribué à me construire, dans ma vie de musicienne… et plus ou moins précipité la création du quatuor Lontano. Les deux projets sont nés ensemble.

De quelle façon ?
Grâce à un coup de pouce du destin, encore lui ! Un jour, je visitais une petite église classée non loin d’un chalet de famille. Dès que je suis entrée, j’étais entourée d’œuvres de Matisse, Chagall, Bonnard, Rouault… Je n’en revenais pas. Plus que ça : j’ai perçu comme un appel du lieu. J’y suis retournée tout de suite avec mon violon. J’avais envie de jouer et découvrir l’acoustique. Le lieu était assez désert. Je pensais être seule, mais quelqu’un était présent et écoutait derrière un pilier. Quand j’ai eu fini de jouer, cette personne m’a raconté l’origine et l’histoire de ce lieu extraordinaire, puis ses craintes pour l’avenir car ce village de montagne était en pleine reconversion.

 

Le quatuor Lontano et Tanguy de Williencourt (piano) aux Musicales d’Assy, le 22 juillet 2024. Photo publiée avec l’autorisation du festival.

 

« Il faut garder une marge de créativité »

 

Aviez-vous le désir de créer un festival avant la rencontre ?
Dans un coin de ma tête, peut-être, mais c’était plus vague, de l’ordre d’une envie : celle de faire des choses avec des gens autour de moi. Je rencontrais des musiciens formidables qui m’inspiraient, et j’avais l’envie de trouver comment nous rassembler pour travailler et partager  au-delà du hasard des productions. Le festival, dont la gestation a duré un an ou deux, a en quelque sorte concrétisé cette envie de partage, de collaboration et d’émulation.

Précisons que les Musicales d’Assy ne se contentent pas d’aligner des concerts, ce qui serait déjà beaucoup. Elles inventent aussi des formes de concerts ; elles sont très axées sur la création sans pour autant être un festival « de musique contemporaine » ; elles intègrent des « scènes ouvertes » où vous testez des œuvres nouvelles auprès du public. Pourquoi un tel bouillonnement ?
Peut-être d’abord parce que le festival se déroule autour d’un lieu atypique qui a, en quelque sorte, suscité sa concrétisation – qu’une manifestation suscitée par un lieu atypique soit elle-même (par certains aspects) atypique est donc hautement logique ! Et peut-être, ensuite, parce que le festival est imaginé et façonné par les musiciens eux-mêmes, même si je coordonne et dirige les événements, de sorte qu’il ne se limite pas aux « cases » habituelles que l’on peut retrouver d’un festival à l’autre. Il faut garder une marge de créativité pour faire écho au musicien qui s’engage dans l’aventure. Quand j’invite un artiste et que le contact est bon, il en résulte une sorte de bouillonnement d’idées qui suscite des rebonds et de nouveaux projets. En somme, la diversité des concerts prend sa source dans l’imagination des interprètes et des compositeurs.

Vous n’avez pas seulement interrogé le contenu du concert : vous avez remis en cause son contenant.
Oui, nous avions un questionnement sur la forme du concert traditionnel. Les conditions, la situation d’où peut naître la musique sont quelque chose de passionnant à travailler. Certaines salles de concert ressemblent parfois à des « boîtes » aveugles. J’aime l’idée d’investir des lieux qui ont leur propre magie, comme l’église d’Assy ou l’ouverture infinie d’un panorama de la chaîne de montagnes…

Votre travail de direction, presque de chef d’orchestre, semble double : d’une part, susciter de la créativité (ce qui n’est pas toujours la demande première des organisateurs de festivals estivaux) ; d’autre part, la canaliser pour assurer une cohérence au foisonnement qu’une telle liberté est susceptible de provoquer ou de révéler…
Il y a de ça, oui. Mais vous oubliez un acteur essentiel dans la conception de chaque édition : le public ! Je veille à m’adresser à lui, qu’il soit fidèle ou nouveau, et à créer des échanges. Je suis attentive à ce qu’il me dit. Les Musicales existent depuis presque dix ans ; depuis presque dix ans, nous bénéficions des retours que nous offrent notre équipe les spectateurs. Ils nous disent ce qu’ils ont aimé et ce qu’ils n’ont pas apprécié quand nous avons tenté une expérimentation à laquelle ils n’ont pas adhéré.

 

Le quatuor Lontano devant la chapelle de Doran aux Musicales d’Assy, le 28 juillet 2024. Photo publiée avec l’autorisation du festival.

 

« Je veux faire vivre Assy et faciliter les partages »

 

L’une des particularités du festival – ce n’est pas lui faire offense que de le mentionner puisque cela contribue à son charme –, c’est qu’il est fixé dans un endroit peu connu et lointain. Quel public avez-vous réussi à attirer pour que vivent et perdurent les Musicales ?
Permettez-moi de rectifier, car vous exagérez : Assy est un lieu connu des amateurs d’art. Et ce n’est pas nulle part, c’est au pied du mont Blanc !

Soit. Cette localisation vous attire-t-elle un public local, des spectateurs habitués des festivals estivaux, des fans du quatuor Lontano ? et comment s’articulent ces différents profils ?
Derrière votre question, j’entends l’idée – fondée – que les festivals estivaux, en France, ce n’est pas ce qui manque.

Autour du mont Blanc, il y en a quelques-uns aussi.
Oui, il y en a beaucoup dans la région d’Assy. Par conséquent, nous avons un public local, une communauté de passionnés qui va de festival en festival et de concert en concert. C’est très sympa, et cela nous permet d’avoir de bonnes relations avec les autres festivals du coin. Eux comme nous, chacun à notre manière, sommes convaincus de la nécessité de faire vivre les lieux où nous sommes ancrés, et de faciliter les partages.

Dit comme ça, c’est très mignon, mais j’imagine que, malgré tout, la concurrence doit être rude…
Non, c’est fini, tout ça. Nous essayons de travailler en bonne entente, voire dans un esprit de coopération. D’autant que les Musicales sont installées dans un patrimoine très spécifique. L’église où se déroulent les grands concerts est moderne puisqu’elle a été construite dans l’entre-deux-guerres et consacrée en 1951. C’est un endroit sans équivalent sur le territoire. Donc nous n’avons pas de « concurrents » ni sur les thématiques, ni sur les lieux. Au contraire : peut-être la multiplicité des festivals conduit-elle chacun des organisateurs à cultiver ses singularités.

En dehors des festivaliers multirécidivistes, l’emplacement attire-t-il un public spécifique ?
Difficile de répondre de façon définitive et complète. « Le public » n’existe pas. Chaque année, il varie autour d’une base solide ; et, chaque année, il change en partie. Certains spectateurs viennent de Lyon, de Paris, des festivals alentour… Beaucoup viennent de Suisse, quelques-uns d’Angleterre ou du Japon ! Il est certain que l’aura du lieu attise une certaine curiosité et contribue à attirer au-delà d’un public de mélomanes.

 

 

 

« J’aime l’idée que le festival parle à des gens différents »

 

Au fil des éditions, la nécessité de « faire la même chose mais pas pareil mais quand même un peu la même chose », est-ce confortable, amusant ou, à la longue, fastidieux ?
Surtout pas fastidieux ! Il y a un côté que j’aime particulièrement dans l’idée d’un festival, c’est sa saisonnalité. Comme je l’ai évoqué, je suis très sensible aux rythmes et aux rites. L’idée que, après le printemps, chaque été apporte le festival, ça me réjouit. Chaque édition interagit avec ce que nous avons vécu dans l’année écoulée. Le renouvellement se fait naturellement.

Avec une constante : la présence importante du quatuor Lontano, ce qui est cohérent puisque votre formation s’est structurée en partie pour cet événement annuel.
Il faut être lucide. Les Musicales d’Assy, ce n’est pas le festival qui va révolutionner la scène française. En revanche, c’est un laboratoire très précieux de ce que le quatuor Lontano et moi-même en particulier avons envie d’attraper, de montrer, de créer par le biais des commandes que, par exemple, certaines subventions nous permettent d’engager.

Inviter un autre quatuor à cordes que le Lontano serait-il une éventualité ?
Ce ne serait ni impossible, ni simple. Il faudrait que cela cadre avec la démarche que nous avons développée. À Assy, quand nous invitons un artiste, l’objectif est double : créer un appel d’air et éviter que les rencontres ne soient qu’éphémères. C’est aussi cela qui guide notre programmation.

En plus des propositions liées au quatuor Lontano, vous avez proposé pour l’édition 2024 un concert de harpe, un concert de piano très classique, un concert influencé par le tango. Comment définiriez-vous les axes que suit le festival ?
Je ne définis pas d’axe a priori. Ce qui se vit aujourd’hui changera peut-être avec le temps. Je n’ai pas d’idée préconçue sur le festival. Ce que nous réalisons se vit sur le tas, au gré des rencontres. Mon objectif est de proposer des programmes variés afin que le public qui viendrait pour un récital en particulier ait peut-être l’envie de rester pour écouter un concert très différent. Je crois beaucoup à la contagion. J’aime l’idée que le festival plaise à des gens différents et curieux, prêts à se laisser surprendre par quelque chose qu’ils n’auraient pas du tout attendu. Une programmation uniforme ou monothématique, même si ça parlerait sans doute à certains mélomanes, en tant qu’organisatrice, ça me ferait un peu peur !

D’où ce pari sur la diversité plus que l’unicité.
Oui. Et puis, soyons clairs, pourquoi un festival devrait-il avoir une cohérence formatée plutôt qu’une identité intérieure ?

 

 


Site officiel de Pauline Klaus ici.
Site officiel du festival des Musicales d’Assy çà.
Chroniques des deux disques du quatuor Lontano .