Pauline Klaus – Le grand entretien – 2/6
À l’occasion de l’édition 2024 des Musicales d’Assy, festival impulsé par Pauline Klaus dont la nouvelle saison commence le 22 juillet 2024, nous entamons la publication d’un grand entretien avec la violoniste-pédagogue-organisatrice.
- Diplômée du CNSM de Paris,
- lauréate du Conservatoire royal de Bruxelles,
- auréolée – au moins – d’un master de philosophie en Sorbonne,
l’artiste nous ouvre les coulisses d’une carrière singulière mais pas solitaire, associant, entre autres,
- le quatuor (avec ses complices du Lontano),
- le concert avec orchestre et
- le récital solo
à, donc, l’invention et la réinvention d’un festival créatif mais aussi à l’enseignement à hauteur humaine,
- chaque activité,
- chaque passion,
- chaque heureux détour
semblant nourrir l’inspiration de la musicienne. Bonne découverte aux curieux !
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1. Être violoniste, non-mode d’emploi
Épisode 2
Faire du violon un métier,
les coulisses d’un choix
Pauline Klaus, lors du premier épisode, nous avons découvert que « devenir violoniste » n’a pas toujours été l’alpha ou l’oméga de vote vie.
Non.
Quand, pourquoi et comment la situation change-t-elle ?
Ça se joue surtout autour de rencontres. Grâce à quelques personnes, je comprends qu’il existe de nombreuses manières de faire de la musique que je ne soupçonnais pas forcément. Ce genre de constat, ce n’est pas quelque chose qui se théorise ou s’analyse tout seul, dans sa chambre. Il faut le vivre.
Donc la question du « quand » n’a pas de sens ?
Si elle sous-entend l’existence d’un instant précis, non. Je n’ai pas, soudain, décidé de donner telle ou telle direction à ma vie. Petit à petit, je me suis éloignée de la philosophie. Dans le même temps, j’ai eu la chance de croiser pas mal de gens qui, chacun à leur façon, m’ont poussée à prendre la décision de me consacrer entièrement à la musique.
« La concurrence me rendait un peu malade »
Pouvez-vous nous donner des exemples de ces moments-pivots ?
J’insiste : il n’y a pas un moment-pivot, pour reprendre votre terme. Cela a été un ensemble de découvertes, de personnes… Parmi elles, je peux citer ma rencontre avec le violoniste Alexis Galpérine. Alexis me suit depuis très longtemps sans jamais chercher à décider à ma place. Au contraire, il m’accompagne en essayant de m’ouvrir un maximum de portes et en ne cherchant pas le moins du monde à me forcer en m’expliquant que « c’est ça ce qu’il faut faire, et pas autre chose » comme s’il n’y avait qu’une voie possible.
Mais il n’a pas été le seul à vous éclairer.
Non, il n’a pas été le seul ! Je pense notamment avec émotion à mes professeurs au Conservatoire royal de Bruxelles. Je suis allée en Belgique parce que j’avais besoin d’air. J’étais en dernière année de master de philosophie, et j’ai pensé que c’était l’occasion d’entrer dans une école, de voir ce qui s’y trame mais aussi de m’éprouver et de passer des concours…
L’expérience a été heureuse.
Plus encore, ç’a été presque une révélation, et la concurrence a disparu au profit d’une vision très différente de l’accomplissement.
Pourtant, vous passiez des concours ?
Dans les concours, la concurrence est normale. Elle va avec la quête d’un dépassement, d’un idéal, et elle n’exclut pas une noblesse du sentiment. Ce qui me gêne, c’est quand elle est omniprésente dans un certain état d’esprit, même hors des concours. Dans mon entourage musical proche ou lointain, cette sensation de compétition perpétuelle me poursuivait et me rendait un peu malade.
Et ce n’était pas le cas à Bruxelles.
Non. C’était une classe de jeunes passionnés. Nous partagions nos programmes, allions aux mêmes concerts ou écouter le concours au Reine-Elisabeth avec nos professeurs, ne parlions que de musique toute la journée… Voilà un exemple très clair de ce qui a contribué à me décider.
« J’ai aimé passer à l’action »
Donc vous bouclez votre cursus philosophique et décidez de devenir violoniste. Qu’est-ce que cela change dans votre organisation ?
Je ne sais pas si ça se formule ainsi. Une chose est claire : faire de la musique, pour moi, c’est être musicien. C’est une façon de vivre qui, en un sens, rejoint la philosophie. C’est une espèce de discipline pratique qui va, très concrètement, construire mon équilibre.
Le rituel du musicien de haut niveau vous convient.
Oui. J’aime la routine. J’aime, tous les matins, monter mes gammes, jouer telle œuvre de Bach, travailler tel morceau qui m’obsède depuis tant d’années. Ça me structure.
Vous avez trouvé cette exigence en Belgique.
En effet, et cela a rejoint une idée que m’enseignait mon premier professeur et que l’on retrouve par exemple dans des sagesses orientales d’une grande profondeur, la discipline constitue l’humain.
Paradoxalement, ce qui pourrait paraître fastidieux dans la musique (les gammes, les exercices, le travail personnel qui n’en finit pas) semble aussi, à vos yeux, ce qui la libère – et peut libérer, un temps, ses auditeurs – de la pesanteur terrestre, quotidienne et pragmatique.
C’est une réalité ! La musique n’est pas qu’une occupation ou une activité. Les œuvres que nous jouons ne sont pas que de jolis objets. Elles participent d’une manière de donner un sens très simple aux journées, de dessiner des perspectives, de se projeter dans une année, de régler le temps – en un mot : de vivre.
De vivre pour soi et avec les autres, peut-être ? Spécifiquement, étiez-vous alors centrée sur les possibles que vous ouvrait votre projet de professionnalisation, ou aviez-vous déjà l’appétence pour la musique de chambre qui vous caractérise pour partie aujourd’hui ?
La musique de chambre, je ne l’ai pas pratiquée d’emblée. C’est un peu dommage, mais l’enseignement du violon devrait davantage prendre en compte cette pratique, même si l’orchestre est tout aussi passionnant. Là encore, c’est le hasard des rencontres qui, avec son lot de découvertes, a fait le travail.
« Rien n’est acquis, jamais »
Qu’avez-vous découvert spécifiquement ?
Ce moment où nous n’avons plus besoin de nous parler pour expliciter les idées que nous avons, pour communiquer, pour avancer ensemble vers ce que nous souhaitons obtenir. Grâce à la musique, quand nous ne sommes plus dans les mots, j’ai l’impression fantastique que nous atteignons une relation humaine parfaite.
Néanmoins, j’imagine que la pratique régulière de l’exercice n’est pas toujours aussi sublime…
Certes, cette fusion n’est pas toujours possible et, parfois, le langage est fort utile ! Mais le simple fait d’approcher une telle émotion me galvanise.
« Devenir violoniste », c’est être potentiellement soliste avec ou sans orchestre, chambriste et éventuellement musicienne d’orchestre. Vous choisissez de vous concentrer sur les deux premiers axes. Est-ce une évidence instantanée ?
En musique, je crois qu’il peut y avoir de l’évidence mais pas tellement d’instantané ! C’est difficile et c’est progressif. Quand un musicien sort du conservatoire après avoir décidé que sa vie serait violon, il doit encore découvrir, petit à petit, ce qui est envisageable et ce qui ne l’est pas. Je ne suis pas sortie en me disant : « Tiens, je vais monter un festival et un quatuor à cordes ! » Même aujourd’hui, je continue de me demander ce que ça peut être et comment ça peut évoluer.
Vous refusez de considérer que vous êtes arrivée, ce qui supposerait qu’il n’y a plus rien à craindre, à gagner ou à inventer de plus…
Et pour cause ! Rien n’est fixé. Rien n’est acquis, jamais. Une grande partie des vies d’instrumentistes – et pas que des instrumentistes – se décide sur le tas. Il faut aller chercher demain.
Site officiel de Pauline Klaus ici.
Site officiel du festival des Musicales d’Assy çà.
Chroniques des deux disques du quatuor Lontano là.