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Pauline Klaus, le 24 juin 2024, Paris 8. Photo : Bertrand Ferrier.

 

À l’occasion de l’édition 2024 des Musicales d’Assy, festival impulsé par Pauline Klaus dont la nouvelle saison commence le 22 juillet 2024, nous entamons la publication d’un grand entretien avec la violoniste-pédagogue-organisatrice.

  • Diplômée du CNSM de Paris,
  • lauréate du Conservatoire royal de Bruxelles,
  • auréolée – au moins – d’un master de philosophie en Sorbonne,

l’artiste nous ouvre les coulisses d’une carrière singulière mais pas solitaire, associant, entre autres,

  • le quatuor (avec ses complices du Lontano),
  • le concert avec orchestre et
  • le récital solo

à, donc, l’invention et la réinvention d’un festival créatif mais aussi à l’enseignement à hauteur humaine,

  • chaque activité,
  • chaque passion,
  • chaque heureux détour

semblant nourrir l’inspiration de la musicienne. Bonne découverte aux curieux !


Épisode 1
Être violoniste, non-mode d’emploi

 

Pauline Klaus, on vous définirait facilement comme « violoniste », mais le mot est un peu vague et ne recouvre que partiellement votre champ d’activités artistiques… Pourriez-vous déterminer quand avez-vous décidé d’être violoniste, et que voulait alors dire ce mot ?
Dans mon cas, on ne peut pas dire que le projet a été clair d’emblée et que, par la suite, je suis allée tout droit ! Certes, le violon était au cœur depuis le début, mais être violoniste, ça se fait petit à petit… et, en ce qui me concerne, ce n’est pas fini. À chaque étape que l’on franchit, parfois sans le savoir, l’idée sous-jacente d’« être violoniste » se renouvelle.

Néanmoins, comment le chemin a-t-il commencé ?
La musique m’a toujours transportée. Ça, c’était une évidence. Pas que ce serait un métier. Pas du tout.

 

« Ma perception de la musique passe par le chant »

 

Comment se passe votre rencontre avec le violon et avec l’idée de « violoniste » ?
Mon éducation musicale n’est pas exclusivement centrée sur le violon. En ce sens, elle est atypique, si je compare avec celle de beaucoup de mes collègues

En quel sens ?
Je n’ai pas commencé par prendre des cours au conservatoire. Grâce à un hasard du destin, j’ai été placée dans les mains d’une ancienne professeure [NDLR : le présent blog n’utilise pas l’écriture inclusive mais respecte évidemment les choix de formulation des artistes] à la retraite qui s’est occupée de moi pour m’enseigne le violon en cours privé pendant quatre ans. C’était une personnalité fantastique. Elle avait soixante-quinze ans et avait connu des figures comme Ginette Neveu ou Yehudi Menuhin. Elle ne s’occupait que du violon.

Explicitons : dans le monde musical formaté, c’est un péché mortel.
En tout cas, pour le reste de ma formation musicale, on m’a fait comprendre que je devais tout de même passer par le conservatoire. J’y suis donc allée en intégrant pour cela la maîtrise de l’établissement. J’ai eu une chance extraordinaire : pour le violon, j’avais une professeure inspirée et totalement dédiée à mon cas car j’étais son unique et ultime élève ; et, à côté, pour le travail collectif, l’harmonie, le souffle, j’avais la maîtrise, animée par Jean-Dominique Abrell, un homme  formidable, dominicain, trompettiste à l’origine, organiste ensuite, enfin chef d’un chœur d’enfants à qui il faisait chanter du grégorien et un répertoire polyphonique complètement fou allant de la Renaissance à Benjamin Britten et Maurice Ohana… Aujourd’hui encore, ma perception de la musique passe par le chant ; et mon activité d’enseignement découle aussi de cette double expérience assez inhabituelle.

Le violon n’arrive donc pas seul dans votre découverte concrète de la musique.
Non. J’ai adoré l’instrument, mais j’ai été rapidement plongée dans un monde qui le débordait.

 

 

 

« La philosophie me nourrissait »

 

D’où votre parcours que vous revendiquez comme « atypique »… même si vous retombez rapidement sur vos pieds académiques !
Certes, quand les choses sont devenues sérieuses, j’ai fait un passage rapide au conservatoire du Mans pour obtenir mon DEM. C’est important, d’avoir un diplôme, non ?

Vous l’avez eu, votre diplôme, et vous êtes repartie.
À cette époque, je me cherchais et je cherchais ma voie. J’avais connu cette enseignante qui m’avait donné ce qu’elle avait à donner, mais qui avait aussi conscience qu’elle ne pouvait plus m’aider à m’insérer dans le monde dans lequel je devais entrer. À moi de me débrouiller avec ça !

Le milieu du violon au conservatoire est compétitif, non ?
C’est normal, mais je ne m’attendais pas vraiment à cet esprit de concurrence. Je devais être dans un monde un peu préservé ; si bien que les premiers contacts avec cette réalité de la musique ne m’ont pas ravie. J’ai longtemps cherché un professeur qui me parle ; et, pendant ce temps, j’ai suivi des études de Lettres et de philosophie.

Puisque vous l’assumez, on peut pointer le fait que vous êtes titulaire d’un master de philosophie. Cette formation était-elle l’objet d’une féroce négociation avec vos parents sur l’air du « d’accord, tu fais de la musique à Paris mais tu obtiens un vrai diplôme » ?
Vous croyez ? Un master de philosophie, je ne sais pas si, professionnellement, c’est très rassurant.

Soit, la philosophie, c’est évanescent, mais un diplôme, c’est concret ; alors que devenir saltimbanque…
La question ne se posait pas du tout en ces termes. Pour la musique, ma famille ne baignait pas dans le milieu professionnel, même s’il y avait une pratique instrumentale d’amateurs. Pour la philosophie, l’essentiel de ma motivation est que j’avais en tête des questions qui ne me laissaient pas tranquille. De vraies questions métaphysiques sur la vie, le temps, la mort… Des questions qui résonnent avec les grandes problématiques philosophiques et des textes qui ont parfois été écrits il y a des siècles ! J’avais l’impression d’une proximité assez incroyable avec ces auteurs d’autant que, à cette période, je passais pas mal de concours. Je me sentais très seule. Je trouvais l’atmosphère plutôt sèche, j’oserais dire : plutôt pauvre. La philosophie me nourrissait et me répondait.

 

 

 

« J’ai aimé passer à l’action »

 

Aviez-vous la sensation d’être, pardon pour la caricature, la provinciale qui débarque dans la Kapitale Où Tout Se Joue ?
Musicalement ? Non. Peut-être l’étais-je, mais la vérité m’enjoint de dire que je n’avais pas la tête à ça. En tout cas, je n’ai pas été facilement en harmonie avec les exigences et les codes attendus.

Donc, entre le DEM et l’idée que votre instrument puisse devenir un outil professionnel…
… il y a un temps de latence, c’est certain. Pour moi, la musique s’inscrivait dans un ensemble de questions métaphysiques, politiques, qui me donnaient l’impression que la professionnalisation des jeunes musiciens, telle qu’elle m’apparaissait, était un enfermement assez redoutable. J’ignorais quelle place la musique prendrait dans ma vie car je craignais qu’elle fût synonyme d’une manière d’inconscience au monde. J’avais envie d’être en prise.

En prise avec quoi ?
La vie, le réel, les choses. Être en prise, voilà. Et ce qui m’étonne encore, c’est que cette façon de percevoir les choses s’est complètement inversée.

La philosophie vous a asséchée ?
Non, mais, plus j’avançais en philo, plus je trouvais que l’air se raréfiait. Les textes qui me portaient tant devenaient de plus en plus difficiles, se prêtant mal au partage. J’ai beaucoup travaillé sur Derrida, Heidegger et la métaphysique allemande. Quand j’en parlais, j’avais l’impression que plus personne ne me comprenait. À l’arrivée, nous n’étions plus que trois ou quatre à être en capacité de débattre des sujets qui me passionnaient. Ce n’était plus du tout l’idée que je m’étais faite de la philosophie.

N’avez-vous pas eu la sensation flatteuse d’avoir intégré une élite d’experts ?
Au contraire, j’avais la sensation terrible d’être absorbée par des sujets qui me paraissaient parmi les plus universels et pourtant d’être renvoyée à un truc de niche qui n’était intelligible et partagé que par une poignée d’initiés.

Heureusement, comme la philosophie vous avait porté quand la musique vous décontenançait, la musique vous a portée quand la philosophie ne vous a plus comblée.
Il est vrai que, en parallèle, je commençais à donner des concerts, à rencontrer d’autres musiciens, à découvrir qu’il se passait plein de choses. C’est l’opposé de ce que m’inspirait la philosophie. J’en avais fini avec les concours, si bien que je découvrais que la musique est un art vivant, un art à vivre, un art de vivre. J’ai aimé passer à l’action. Inventer des concerts. Créer. Réunir des gens.

Ce que vous n’auriez pu imaginer quand vous avez découvert le violon…
Non. Ni à quinze ans. Certaines orientations prennent du temps pour mûrir. Peut-être est-ce aussi ce qui les rend si précieuses a posteriori.


Site officiel de Pauline Klaus ici.
Site officiel du festival des Musicales d’Assy çà.
Chroniques des deux disques du quatuor Lontano .