Paule-Andrée Cassidy, Le Limonaire, 27 mai 2015
Nous l’étions allés voir en 2002 dans les locaux très officiels du Québec à Paris, à l’occasion de la sortie de son album Lever du jour, partagé entre créations (Marie-Christine Lé-Huu, Sophie Anctil avec notamment « À soir », repris dans le nouveau tour de chant, Stéphane Robitaille, Tomas Jensen…), québécismes (Gilles Vigneault) et chanson française, de talent (« Ça n’se voit pas du tout ») ou spécial instit cucul gnagnagnan (« La petite Kurde »). Treize ans plus tard, Paule-Andrée Cassidy chante encore – et peu importe quel âge ça lui fait donc : la villanelle le dit très bien, il n’y a plus de temps à perdre, il n’y a que du temps perdu.
Espèce rare, Paule-Andrée Cassidy est une interprète à succès spécialisée dans la chanson intelligente mais pas que. Elle est actuellement en tournée européenne et passait ces mercredi 27 et jeudi 28 par le Limonaire parisien. Entourée de Lou-Adriane Cassidy aux chœurs et Vincent Gagnon au piano, elle égrène un répertoire à la fois varié, stimulant et curieux. On y retrouve ses auteurs-compositeurs québécois préférés, Robitaille et Anctil, qui côtoient des classiques hexagonaux (Boby Lapointe pour « Lumière tango » et Barbara pour « Perlimpimpin », par ex.). Aux chansons graves, où l’emphase façon outre-Atlantique fait d’autant plus merveille que la voix grave de la chanteuse lui donne de l’ampleur, répondent les drôleries (savoureux « Béluga » de Stéphane Robitaille) bien portées par le sérieux de l’interprète, les textes parlés (« Aimer l’amer »), les adaptations de Nick Cave (« La malédiction de l’Ascension ») et les créations (« Libre-échange », titre du spectacle). L’ensemble crée un univers personnel, habité, plaisant et riche qui bascule vers le dernier tiers du set par une curieuse affirmation de l’artiste, selon laquelle le récital serait entièrement tourné vers le tango.
Cet artifice est un moyen de laisser libre cours à la veine hispanique à tendance argentine qui habite hic et nunc Paule-Andrée Cassidy. Disons-le tout net : cette facette de son répertoire peut laisser froid les amateurs monomaniaques de chanson française. Non que ses tangos soient risibles – même si Vincent Gagnon, accompagnateur correct à défaut d’être éblouissant, peine à donner l’illusion d’un pianiste latino ; mais, assurément, le mix Barbara-tango a de quoi désarçonner. On doit à l’objectivité de reconnaître que le remix un brin tango d’« Il n’y a pas d’amour heureux » nous a paru très toc et peu convaincant. On doit aussi admettre que cette tendance pampa-auriverde n’est pas ce qui nous a le plus séduit ce soir-là. Toutefois, étant donnée la qualité générale de ce qui fut présenté, dont le premier charme est sans doute de séduire par le vrai sens redonné à l’interprétation (voir à ce sujet le DVD pas cher de l’excellent François Marzynski), comment ne pas valider la démarche d’une chanteuse qui refuse de se contenter de son savoir-faire remarquable (regards public très francs et bien répartis, rythme et silence maîtrisés, perspicace construction du set) et de son répertoire habituel, afin de titiller le spectateur prompt à s’endormir dans son confort musical compassé ? Sous cet angle, même ce tanguisme propre sur lui peut plaire, dans la mesure où il agace les gnangnanteries de nous autres, kiffeurs embourgeoisés de chansons déjà installées et toutes bâties sur des schémas bien connus.
En conclusion, l’avis hésite : on ressort du « Libre-échange » de Paule-Andrée Cassidy pas tout à fait certain qu’elle ait eu raison de tromper la chanson avec le tango, mais heureux d’avoir entendu une interprète qui associe l’audace au talent.