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Pascal Vigneron et ses fans en l’église Saint-André de l’Europe (Paris 8). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Moins tête d’affiche que fomenteur d’affiches, Pascal Vigneron dénote, étonne et détonne dans le petit Landerneau de l’orgue. Musicien poly-instrumentiste, homme de réseaux mais pas de coteries, fidèle en amitiés artistiques mais pas monogame, estimé par quelques-uns des grands noms du métier au premier rang desquels Éric Lebrun, l’un des rares interprètes-compositeurs-pédagogues sur qui même les connaisseurs les plus vipérins (les connaisseurs, donc) de l’orgue peinent à postillonner leur venin, l’énergumène rassemble et divise à la fois. Sujets inflammables, convictions intimes, petits secrets, rencontres marquantes et brillantes réussites sont au programme de ce grand entretien où seront évoqués

  • le musicien,
  • l’organiste,
  • l’organologue,
  • l’organier numérique,
  • l’organisateur et
  • le studioman

que sont les mille et un pascalvignerons cachés derrière Pascal Vigneron.

 

Déjà paru
1. Devenir musicien
2. Penser l’orgue
3. Faire bouger l’orgue
4. Oser l’orgue électronique


Épisode cinquième
Programmer de l’orgue-et-pas-que

 

Jouer de l’orgue, programmer un festival : même combat, pour toi, celui qui consiste à construire un projet, à s’y tenir et à le développer en accord avec des convictions musicales fermement ancrées. D’ailleurs, le destin de l’orgue et du festival semblent en partie liés !
Le festival de Toul a été fondé il y a quinze ans. On partait de rien du tout. Vraiment. J’avais un concert à Saint-Maurice-sous-les-Côtes…

… un tout petit village du Grand Est…
J’étais avec Michel Giroud. Michel est un grand facteur d’orgue. À quinze ans, il était chez Schwenkedel…

… la manufacture qui a construit l’orgue de la cathédrale de Toul.
Il était même là pour l’inauguration de l’orgue de la cathédrale, dans sa version princeps.

Toi, non.
En effet, j’avais un empêchement : je venais de naître le jour même !

 

 

 

« On ne se méfie jamais assez de la sclérose »

 

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous… » À quoi ressemblait le Schwenkedel, pendant que tu vagissais ?
Oh, à l’époque, c’était un orgue néobaroque, le premier avec quatre claviers mécaniques d’après-guerre, le plus gros qui sortira des ateliers Schwenkedel. Pour comprendre l’instrument, il faut avoir conscience de deux caractéristiques. La première, c’est que, bien qu’il soit de dimension conséquente, il a été construit à l’économie. Par exemple, tous les panneaux arrière de l’orgue, gigantesques, étaient en aggloméré. De nombreux porte-vents, pareil avec du Vestaflex. Pourtant, c’était un orgue neuf ! Sauf que l’époque voulait ça. La guerre avait causé d’immenses dommages et les finances étaient à sec.

Le choix aurait pu se porter sur un instrument plus qualitatif quoique moins grand.
Il aurait pu, mais non. On a construit comme on a pu un instrument de 63 jeux (nous, on a porté ce total à 70), c’est la première caractéristique. La seconde, c’est que l’orgue a été conçu sous l’influence de Gaston Litaize pour jouer surtout de la musique ancienne et de la musique contemporaine. En effet, l’engin était impeccable pour jouer Litaize, avec ses quatre claviers de 56 notes et ses 32 notes au pédalier.

Pour ceux qui se demandent pourquoi ces précisions, stipulons que l’orgue est le cœur du festival.
Oui et non. Dès le début, j’ai prévenu : il ne faut pas que ce soit un « festival d’orgue ».

Parce que ça n’intéresse que des happy few, l’orgue ?
Pas du tout, je crois que l’orgue peut s’adresser à tous, mais faut faire un minimum d’efforts de part et d’autre ! Quelqu’un qui n’a jamais écouté d’orgue, qui n’aime pas spécialement les églises, tu ne l’obligeras pas à écouter le Livre d’orgue d’Olivier Messiaen et à payer pour ça !

Hum, à mon avis, quelqu’un qui connaît l’orgue encore moins ! Alors, pourquoi pas un festival d’orgue ?
Parce que c’est sclérosant, que de l’orgue, et parce que, des festivals d’orgue de très haute qualité, dans le coin, il n’en manque pas. Pareil pour Bach : festival Bach, oui, parce que la musique est magnifique et la matière immense, mais pas festival que de Bach.

 

 

 

« Quatre cornets pour quatre claviers : ça claque ! »

 

À Saint-André de l’Europe, le festival Komm, Bach! était un festival avec forcément de l’orgue et du Bach, mais pas forcément avec que de l’orgue et que du Bach…
L’intérêt, quand tu te laisses des ouvertures, c’est que tu peux programmer des tas de formations, des tas de compositeurs, des tas d’œuvres – et des tas beaucoup plus vastes que si tu t’enfermes dans des contraintes stupides et nocives. À Toul, j’ai programmé des orchestres d’harmonie, Rhoda Scott, Richard Galliano, des quatuors de saxophones, des cordes… Avoir toutes ces possibilités, ça n’est pas qu’un confort de programmateur : c’est la joie de s’adresser à un public plus large ce qui, à mon avis, est aussi mon rôle.

Il y a quinze ans, pour la première édition, l’orgue de la cathédrale était encore dans son jus.
Oui, les premières années, il a été utilisé tel quel. En 2012, il a été décidé de le restaurer. Sauf que la ville de Toul est petite : 16 000 habitants. Son patrimoine est démesuré par rapport à la population, donc aux ressources fiscales. Donc on l’a joué malin : j’ai accepté d’être technicien conseil à titre bénévole – à titre bénévole, j’insiste. Dans ce cadre, j’ai supervisé, suivi le travail et le flux sur quatre ans. Toute la boiserie a été façonnée par les services techniques municipaux.

Cependant, tout ne pouvait pas être homemade.
Yves Koenig, sur ce qui était son plus grand chantier, a tenu le rôle du facteur d’orgue. Avec lui, on a – entre autres – démonté toute la tuyauterie pour la réharmoniser. Le chantier était conséquent ! Je te passe les détails : en 2016, on est arrivé à une première étape célébrée avec le concert d’inauguration d’Olivier Latry. L’instrument était en parfait état, défuité grâce au changement des tirages de jeux (ils étaient électro-pneumatiques, ça bouffait énormément d’air, on les a passés en électrique), mais l’esprit initial de l’instrument n’a pas été changé.

Je savais que tu ne me passerais pas les détails longtemps, même pas eu besoin de te relancer…
Parce que c’était une sacrée aventure ! Tiens, par exemple, on a amélioré et optimisé les anches. Elles étaient trop petites ! Pour l’Ut1 du positif, la sortie était de six ou sept centimètres, c’était ridicule… même si c’était l’époque. Ils ont fait comme ils ont pu. Ce n’est pas critiquer que de le constater ; ce n’est pas trahir l’instrument que de lui offrir une restauration à la hauteur de son potentiel.

Donc, tu l’avoues, vous avez remanié l’instrument.
On a conservé l’esprit, préservé le meilleur et changé ce qui méritait de l’être. Par exemple, le cromorne, on lui a donné du coffre, de la voix. Maintenant, il sonne formidablement dans la musique ancienne. Les anches du récit, elles, étaient beaucoup plus grosses. Par conséquent, on les a descendues au grand orgue, et on a trouvé d’autres anches pour le récit. On avait trois jeux d’anches au pectoral, dont une horreur de chalumeau tout le temps faux, une ranquette et une voix humaine. Là, pour le coup, c’était, disons, daté, cette petite batterie d’anches. On ne pouvait pas la laisser en l’état. Donc la voix humaine, on l’a mise au récit, où elle devient idéale pour la musique romantique au côté de la voix céleste. Au pectoral, on a rajouté une quinte pour avoir un quatrième cornet. C’est quand même formidable, quatre cornets pour quatre claviers ! Pour la profondeur, on a mis deux 32 pieds neufs et pour l’éclat deux chamades neuves copiées sur ce que faisait Schwenkedel à l’époque, en un peu plus rondes. Résultat, ça chapeaute le tutti mais on peut les utiliser en solo, y compris dans une tierce en taille avec le cantus firmus à la pédale.

 

 

 

« Je suis un acteur politique de la vie locale »

 

En dépit de cette débauche d’énergie, le festival Bach de Toul n’est pas qu’un festival d’orgue.
Non, autour de l’orgue mais pas qu’avec de l’orgue. Depuis le début, il y a eu des concerts de piano, d’accordéon, d’ensembles… Pourquoi se serait-on mis en tête de créer un énième festival d’orgue ? Y en a déjà des palanquées !

Tu veux dire : trop.
Je ne suis pas là pour juger. C’est mon principe de vie. Je ne juge pas les gens, et j’aime pas que les gens me jugent. Quand je donne mon avis, je ne prétends pas être dans l’objectivité, plutôt dans le vécu. Par exemple, quand je vois que l’on se remet à faire des orgues à la française avec des diapasons improbables et un nombre de notes si limité qu’on ne peut même pas jouer du Bach, oui, je pense : à quoi bon ? Est-ce bien raisonnable de claquer l’argent du contribuable pour contenter des énergumènes dotés d’un ego surdimensionné ? Franchement, quand j’entends jaser sur mon ego… À d’autres !

Tu parlais d’un patrimoine toulois disproportionné… Le festival n’est-il pas un gros machin de plus ?
Pas vraiment un « gros machin », car le budget est très petit.

Néanmoins, l’argent est au centre de quelques polémiques !
Oh, moi, tu sais, les polémiques, je n’ai jamais trouvé ça très intéressant. Je veux bien te répondre parce que tu as l’air de trouver ça croustillant mais, soyons honnêtes, les ragots… Enfin, vas-y, je t’écoute.

Cette année, on a critiqué le fait que, désormais, tous les concerts sont payants sauf ceux donnés par les étudiants.
C’est une décision de la ville. Je dois la respecter. Si ça en fait rouspéter certains qui, de toute façon, ne sont jamais venus assister à un concert du festival, quelle importance ?

On a aussi remarqué que tu étais très présent dans la programmation, cette année.
Tu sous-entends que je me programme pour me faire un petit billet à chaque fois ?

Certains ont fait plus que le sous-entendre.
Ben raté, c’est pas le cas. J’insiste : ce genre de calomnie, j’en ai largement rien à faire. Je mets ces accusations et ces fantasmes sur le compte de la jalousie, de l’incompétence et de l’ignorance. Si je jouais moins, les imbéciles en concluraient que je ne suis pas capable de jouer. Alors que la vérité, elle est simple : si je joue dans de nombreux concerts où il n’y a pas que de l’orgue, c’est que je n’aurais pas le budget pour payer un organiste à chaque fois. De surcroît, je suis le directeur artistique du festival, et c’est quoi, le rôle d’un directeur artistique ? C’est d’animer la manifestation. C’est vrai, je suis partie prenante dans un certain nombre de concerts de la saison, mais j’interviens en tant qu’accompagnateur, pas comme soliste. Je suis un acteur de la vie politique locale ; je suis salarié de la ville ; et il est donc normal, sain et heureux que je m’implique aussi à ce niveau-là !

 

 

 

À suivre…