« Paris 1850 », Le Palais Royal, Salle Gaveau, 6 février 2024 – 1/3
Vous venez assister à un concert au programme plaisant, et voilà que vous vous retrouvez face à une triple forme de radicalité. La première, c’est le taxisme alla francese. En effet, quand vous achetez un billet pour la salle Gaveau, vous payez certes votre billet – en tout cas, certains s’y plient. Pour autant, ne rangez pas votre portefeuille, le taxisme va frapper trois fois.
- D’abord, vous allez aussi payer, quelle que soit la billetterie proposée, les inénarrables frais de dossier (taxe numéro 1).
- Ensuite, vous allez devoir payer l’ouvreuse (taxe numéro 2) sauf si vous avez la chance de faire partie des pauvres – 25 € la place en pauvreté tout de même, on est sur une pauvreté de bon aloi, ce vous semble.
- Enfin, si vous êtes dans un esprit YOLO ou si vous n’avez pas votre iPhone 18 pour le consulter depuis le site de la salle, vous pouvez acheter le programme (taxe numéro 3), alors que la décence devrait voir couvertes par le prix du billet, toujours coquet, ces quelques feuilles A4 pliées en deux .
Bref, entre le prix théorique et la réalité, vous n’avez pas le sentiment de taxisme : vous avez bien été victime d’un taxisme aussi bien en place que peu ragoûtant.
La deuxième radicalité, pas question de vous en plaindre, vous en étiez averti. Les œuvres seront exécutées, même si le terme est un peu corsé, « sur instruments d’époque », spécialité de l’ensemble Le Palais Royal et de Jean-Philippe Sarcos son chef. La troisième radicalité, en revanche, vous n’y étiez pas préparé. Il s’agit d’une terrrrrible nouvelle : une effroyable pathologie frappe le chef. Ce 6 février 2024, le doute n’est plus permis. Jean-Philippe Sarcos est atteint de la phase aiguë d’une maladie qui se répand – hélas, trois fois hélas – chez les musiciens dits classiques : le pipelettisme.
Le pipelettisme, fût-il pimpé par un accent du Sud presque aussi plaisant sous ces latitudes que l’accent québécoué, consiste à présenter le programme en long, en large et même pas de travers. Dans de précédentes notules, vous avez maintes fois exprimé votre réprobation sur ce sujet, dès lors que les quelques mots de l’artiste se transforment en cours de FM qui, comme tous les cours de FM, que l’on soit du côté du prof ou de l’élève, n’en finissent pas. Ce propos aurait du sens dans un programme (gratuit) laissant les spectateurs libres de prendre connaissance ou non, avant ou après, de la vision de l’œuvre qu’a le chef, en fonction du contexte de composition, de l’environnement musical du créateur et de l’expérience du patron d’orchestre. Quand elle est imposée à tous, il y a, dans cette cordialité pédagogique,
- un manque de confiance dans la musique,
- un non-sens dans la structure du concert, et
- un mépris pour le spectateur
qui vous escagassent.
Le manque de confiance consiste à postuler que la musique savante, c’est pour les savants. Si vous ne savez pas, vous allez mal comprendre et vous ennuyer. Peut-être, au reste, mais, hé ! c’est ma liberté ! Je suis venu écouter de la musique. J’ai choisi mon concert. Le plus souvent, j’ai payé. J’ai pas besoin d’un chausse-oreille pour que le concerto, la symphonie ou whatever me tombe bien dans le canal auditif – et même, parfois, ça me va qu’il y ait de la friture sur la ligne, c’est aussi ça, la musique ! J’ai pas envie qu’on impose des limites à mon affect en m’indiquant ce que je dois remarquer. Je suis là pour apprécier, goûter, frissonner, pas pour comprendre. Si je veux comprendre par la sapience encyclopédique ou presque, j’ai pu me renseigner avant, je pourrai me renseigner après. En t’introduisant dans la bulle que devrait être le concert, cette bulle qui me débarrasse du reste de la vie ensuquante, tu la fais éclater et je trouve ça entre pénible, dommage et un rien triste.
Le non-sens, c’est que vous êtes venu de votre plein gré écouter un programme de musique que vous avez choisi. Vous êtes ici pour kiffer la vibe, pas pour qu’on vous explique pourquoi ou quand ou à quel titre vous devez kiffer. Le mépris qui sourd de ces pratiques, c’est que, aux yeux des Grands Musiciens, les gens venant au concert restent essentiellement ou des gros bourgeois perpétuant une tradition sans rien capter mais pour sortir, et il sied de leur donner quelques éléments de langage pour le débriefing qu’ils immisceront la prochaine fois qu’ils recevront ; ou alors, ces gens sont des ploucs imbéciles qui ont dû venir via leur CE ou leur collège de banlieue et à qui, donc, il faut fournir des sous-titres anticipés. Inacceptables devraient être
- le délai qu’implique le pipelettisme entre le début du concert et la musique,
- la posture verticale qui attente à la dignité des spectateurs surplombés par le Savoir du Sachant et non pas par
- le talent,
- le travail et
- les intuitions ébouriffantes des musiciens,
- cette prise en otage des mélomanes.
C’est d’autant plus irritant lorsque, comme ce 6 février, le laïus dépasse allègrement le quart d’heure.
- La bonhommie,
- le goût pour l’anecdote et
- la clarté de la diction
n’en peuvent mais.
- La durée du sermon est impatientante (vous pensez même à fuir) ;
- le propos est forcément réducteur, ce qui renforce le côté didactique dont on aura compris qu’il vous insupporte dans ce cadre ; et
- les dérapages médiocres pimentant la verve informée sont inévitables (« l’esprit français, c’est la retenue », « le champagne permet de retrouver notre esprit d’enfance », « quand un enfant regarde la beauté, il arrive à en attraper le merveilleux »), sans compter les patatras (citer l’incipit des Mémoires de guerre du « général » De Gaulle, ce gougnafier, avant de rappeler l’inclination de Camille Saint-Saëns pour l’Algérie française fait crisser la boîte à neurones).
C’est pourquoi vous suspendrez provisoirement votre compte-rendu à ce stade afin de prendre le temps de retrouver
- l’envie
- de beau,
- de singulier,
- de brillant,
- la joie et même, lâchez le mot,
- l’excitation
qui vous ont poussées à venir ouïr ici même le sieur Orlando Bass dans le Quatrième concerto de Saint-Saëns.
À suivre !