Orlando Bass, “Préludes et fugues”, Indésens – 6/8

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Orlando Bass devant la gare Saint-Lazare (Paris 8). Photo : Bertrand Ferrier

 

Le prélude-et-fugue opus 29, en sol dièse mineur, de Sergueï Taneïev ? Presque une antiquité à l’aune de la set-list proposée par Orlando Bass, pour son disque de préludes et fugues modernes ! Songez que le diptyque nous précipite en 1910, plus d’un siècle avant la création du diptyque concocté par Orlando Bass en personne pour ce récital et qui fera l’objet de la prochaine recension.

  • Pianiste accompli,
  • compositeur réputé,
  • prof d’écriture (Scriabine, Rachmaninoff et Medtner font partie de son tableau de chasse),
  • acteur de la vie culturelle européenne (il a fréquenté Flaubert et Franck, entre autres, lors de son séjour à Paris où il n’avait pas besoin de cracher sur Vladimir Poutine pour être le bienvenu),
  • dragueur qui ne s’effrayait pas de fricoter avec la femme des autres, fussent-ils Léon Tolstoï,
  • barbu, ce n’est pas rien,
  • alcoolique, non plus,

Sergueï Taneyev a connu un regain de popularité posthume en 1958 lors de la déflagration Van Cliburn, car l’Américain qui a triomphé au premier concours Tchaïkovski alors que les relations soviético-états-uniennes n’étaient pas précisément au beau fixe avait glissé ce prélude-et-fugue dans son programme.

 

 

Le prélude, andante, s’éclaire dès les quatre premières notes d’un motif qui va devenir obsessionnel, puis s’illumine en frottant cette cellule motorique à celui, plus lyrique, de la main droite. Orlando Bass y brille par

  • la clarté de son toucher,
  • sa maîtrise de la pédalisation et
  • la parfaite caractérisation des voix aux prises dans le duo qui s’élabore.

On se délecte car

  • le tempo paraît juste (allant sans précipitation ou mollesse),
  • l’agogique élégante, et
  • le souci du rythme gorgé d’une narrativité (en moins hermétique : on est suspendu aux notes du piano car on veut savoir la suite !) dont la prévisibilité, contredite par les larges intervalles d’octaves ou de septièmes, est joyeusement bousculée par le surgissement palpitant de
    • quintolets,
    • triolets,
    • contretemps,
    • trilles et
    • appogiatures.

Des modulations nourrissent la composition, que quelques

  • traits,
  • séries d’accords,
  • changements de registres et
  • d’intensité

électrisent. Le propos passe

  • du retenu au volcanique,
  • de l’apaisé au tempétueux,
  • de l’étique au profus,
  • du trépidant au résonant,

évoquant un chagrin profond (« con duolo ») jamais engoncé dans une gangue sentimentaliste, larmoyante ou gnangnantisante. Pour preuve, la fugue qui prolonge ce premier volet, en 2/4 et 12/16 à la fois, se joue « allegro vivace con fuoco ».

 

 

D’emblée s’impose une évidence. Après la leçon donnée par le prélude sur quelques astuces pour

  • instiller une atmosphère,
  • la modifier,
  • la dissiper afin d’en évoquer une autre puis
  • fondre les deux dans un même creuset sentimental,

la fugue assène que l’on n’apprend pas à Sergueï Taneïev

  • l’art du contrepoint
    • (structure,
    • échos,
    • imitations…),
  • les outils du funk savant
    • (déplacement des accents,
    • mouvements inverses,
    • renversements de lead,
    • caractérisation des registres valorisant par exemple le scintillement cristallin des aigus et la vigueur enthousiasmante de la basse,
    • concaténation de rythmes opposé tels ternaire /binaire / pointé…),
  • l’efficacité du chromatisme tant dans la dynamique (les frottements de notes proches renforcent la tonicité de la gigue) que dans l’harmonie qui s’enrichit de demi-teintes stimulantes,
  • les méthodes pour rajouter des coins dans le jukebox afin d’étoffer la partition sans l’étouffer
    • (ruptures,
    • amplifications,
    • réorchestration de motifs déjà entendus,
    • changement de tonalité…)

pas plus que l’on apprend à Orlando Bass

  • à lisibiliser, et hop, la polyphonie,
  • à transmuter la virtuosité en énergie ou
  • à ajouter à la démonstration technique l’indispensable musicalité
    • (nuances,
    • touchers,
    • phrasé).

C’est

  • ébouriffant,
  • dynamisant et
  • réalisé avec une finesse qui parvient à faire sonner
    • simple (si),
    • évident et
    • beau ce qui est pourtant d’une complexité inouïe.

Autant dire que l’on a déjà hâte d’écouter et de rendre compte du prochain prélude-et-fugue

  • joué par Orlando Bass,
  • écrit par Orlando Bass spécialement
  • pour ce disque d’Orlando Bass.

Taïaut !


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