Orlando Bass, “Préludes et fugues”, Indésens – 4/8

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Orlando Bass après un récital à la cathédrale des Arméniens (Paris). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Jusqu’ici, le disque d’Orlando Bass autour des préludes-et-fugues modernes nous a époustouflé tant par l’interprétation que par le choix de pièces rares et précieuses chacune à sa façon. Voici qu’il met sur son pupitre un diptyque d’Alfred Schnittke dont on croit savoir qu’il apprécie l’œuvre, en compositeur, pour

  • sa polymorphie,
  • sa science harmonique et
  • sa capacité à exprimer l’émotion dans des langages fort différents.

L’improvisation (écrite) liminaire contribue à repousser les limites du genre prélude-et-fugue non pas en trichant sur le concept mais en élargissant la sémantique. En effet, en sus des prélude-et-fugues pur jus, Orlando Bass a collecté

  • un prélude-récitatif-et-fugue ouï ce tantôt,
  • une passacaille-et-fugue et
  • une passacaille-intermezzo-et-fugue.

 

 

La subversion terminologique consistant à remplacer « prélude » par « improvisation » n’est certes pas une révolution : l’on sait par exemple que les préludes de Chopin sont réputés avoir été finalisés à partir d’improvisations ; et l’essence même du prélude-et-fugue est d’opposer une partie censément plus libre à la partie censément très corsetée de la fugue. Aussi Alfred Schnittke ne se prive-t-il pas de proposer un prélude à la fois

  • libre
    • (tenues,
    • silence comme si l’inspiration attendait de jaillir,
    • travail sur la résonance avec ou sans pédale) et
  • structuré
    • (principe dodécaphonique,
    • mesures de trois temps imperceptibles mais respectées,
    • grande précision dans les annotations).

C’est là que l’interprétation prend toute son importance. Son défi, passée la virtuosité que l’on finirait presque par banaliser tant elle est dégainée sans ostentation par le pianiste, consiste à respecter une lettre minutieuse et un esprit free, ce qui n’est pas sans faire résonner la réalité des compositeurs à l’ère soviétique (on pourrait se demander si ce n’est pas aussi le cas hic et nunc, quoique en moins dramatique) : libres d’écrire, mais avec un Komité derrière le dos pour juger de la compatibilité entre la production et la Doktrine. Alfred Schnittke s’attache donc à concilier

  • la liberté de l’improvisation,
  • la strictitude, et hop, du dodécaphonisme et
  • l’anticipation du râlage politique.

Pour rendre cette tension captivante, Orlando Bass s’attache à

  • sculpter l’harmonie grâce à une pédalisation (ou non) soignée,
  • varier les touchers d’intensité variée,
  • penser les nuances, oscillant parfois en quelques secondes entre
    • piano,
    • pianissimo et
    • mezzo piano (id sunt des intensités très proches) et
  • à incarner dans le clavier la quête de liberté joyeuse qu’expriment notamment
    • les brutales sautes de registre et d’intervalles,
    • les contrastes entre
      • traits,
      • notes répétées et
      • grondements graves soutenus,
    • les répétitions différenciées (en clair : c’est pareil mais pas tout à fait), ainsi que
    • la dissociation entre rythme théorique et réel
      • (triolet incluant un silence,
      • septolets,
      • points d’orgue,
      • appogiatures…).

 

 

La fugue s’élance en reprenant l’énoncé des douze notes fondamentales. L’interprète passionne et impressionne par

  • son sens du groove,
  • sa tonicité digitale et
  • sa capacité à rendre les mutations du mouvement grâce, par exemple
    • aux accents,
    • à la clarté des nuances engagées et
    • à sa capacité à penser la musique non comme une mélodie harmonisée mais comme une globalité incluant
      • attaque,
      • intervalles,
      • densité,
      • rythme et
      • son.

C’est

  • techniquement magistral,
  • artistiquement accompli,
  • musicalement séduisant

et, surtout, ça rend magnifiquement raison d’une partition destinée, fût-ce malgré elle, à faire headbanguer son auditoire – sur ce site, on aime le metal, on ne va pas s’en cacher .

  • Les contrastes,
  • les fusées de notes,
  • les accents

poussent à la jubilation tout en clarifiant un propos a priori plus que complexe, saperlipopette ! Le finale officiellement « maestoso »

  • n’hésite pas à solliciter des super fortissimi (« ffff » versus « fff » !),
  • associe
    • séquences de doubles croches virtuoses,
    • suspension mystérieuse et
    • tentation du cluster, puis
  • se laisse absorber par le désir de silence passant du triple piano à un quadruple piano irradié par l’indicible des suraigus.

Un diptyque

  • charnel,
  • vibrant,
  • émouvant.

De quoi donner plus qu’envie de découvrir le prochain combo choisi par Orlando Bass : une passacaille et fugue de Michel Merlet jamais enregistrée auparavant…


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