Orbor, « Voir ma vie défiler », Oasis 244, 18 mai 2022

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Orbor à l’Oasis 244 (Paris 10), le 18 mai 2022. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Pourquoi le nier ? Un jour, celui qui se fait appeler Orbor a déconné. Il a écrit un roman « tout pourri », selon ses dires, cataloguant ses multiples amours et coucheries. Quelque relation lui a suggéré d’en faire un spectacle « pas tout pourri ». Le 18 mai se tenait la première du remix désormais intitulé Voir ma vie défiler et sous-intitulé « Chansons d’amour pour tromper la mort ».
Le prologue semblera curieux a priori : « Should I stay or should I go » est repris façon « voulez-vous que je reste ou que je me casse ». On croit à une adresse directe, donc un brin ban(c)ale, au public. On comprendra plus tard que c’est une synthèse du spectacle, oscillant tout entier sur l’instabilité tant amoureuse qu’identitaire : veux-tu rester avec moi ou est-il venu le temps de l’adieu, éventuellement avant celui de la bienvenue ? mais aussi : cette identité de moi que j’ai construite, parfois contre moi mais pour les autres, dois-je la faire évoluer, l’éradiquer ou la conserver ? À cinquante berges, qu’il ne paraît point, Orbor, en tant que personnage scénique, reste tanqué dans un esprit furieusement adolescent.
Certes, cet esprit est assis sur un savoir-faire frotté à des dizaines d’expériences scéniques ; mais il garde sa puissance urticante, brute, tonique, et reste à réserver à des adultes prêts à affronter l’image de ce qu’ils furent, plus ou moins, quand ils étaient ces petits cons qu’ils ont hélas souvent mis à la porte au nom de Sa Sainteté la Respectabilité. Au nom du bien-être, aussi. Car être ado au sens orborique du terme, c’est demander au public non pas si « ça va », plutôt : « Est-ce que vous allez aussi mal que moi ? » Le ton est efficacement donné.
Le « one-man-chant » du jour – très loin de l’esthétique d’autres comique à guitare tel l’excellent Redouane Harjane – commence donc sur des bases claires, une morale solide (« je ne couche jamais le premier soir, sauf si c’est le dernier »), et des blagues drôles qu’une banalité de collégien souille sciemment (« les codes ont changé, mais j’ai toujours le même mot de passe : l’amour m’habite »). Orbor, en bon post-ado, aime souiller ses vannes (au moins celles qu’il sort en public), ses slips sûrement, ses amours probablement. Le running chorus évolutif le martèle : « C’est pas tout ça, mais quand est-ce qu’on baise ? »
Trivial ? Assurément. Cash tout autant, quoique toujours saupoudré de l’oxymorique tension entre

  • une ironie autobiographique amusée et
  • une satisfaction certaine d’avoir pas forcément toujours bien niqué, mais au moins d’avoir niqué, et plutôt beaucoup, si l’on en croit le listing.

Le jeune Orbor le revendique : pour parvenir à ses fins, il joue du regard des autres, le manipule ou, a minima, s’efforce de le manipuler. Son premier projet ? Devenir mystérieux et/ou bad boy (« sauf que, à l’époque, on ne disait pas bad boy, plutôt enculé ») tout en gardant les mains propres.

 

Orbor à l’Oasis 244 (Paris 10), le 18 mai 2022. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Le charme du spectacle, car charme il y a, ne gardons pas les brava pour la coda, se joue dans le tissage intersectionnel entre les genres :

  • un (tout p’tit peu) de chanson,
  • du sketch (Orbor est un personnage et non seulement le comédien),
  • du stand-up (Orbor raconte quand même sa life et sait maîtriser autant que possible ses meilleurs copains bourrés qui s’interpolent à contretemps dans son propos) et
  • du théâtre (il s’agit de raconter une histoire en se mettant en scène).

Cette forme métisse est d’autant plus captivante qu’elle fait écho au texte lui-même, remarquablement maîtrisé pour une première et remarquablement maîtrisé tout court : Orbor nous parle de la façon dont

  • nous construisons notre personnage,
  • nous inventons notre personnalité,
  • nous interagissons avec les autres en nous mettant en scène…

sans parfois en avoir la science ou le talent, ce qui n’empêche pas d’en récolter les fruits.
Aux punchlines du comique roué (« le temps de l’examen venu, je voulais convoquer la presse internationale pour refuser le bac ») se mêlent des piques politiques permettant au zozo d’assumer son statut – rare – d’artiste de droite, ce qui renforcerait presque sa proximité avec l’extraordinaire Barthélémy Saurel, autant chanteur que comique selon les époques de sa vie. Ici, toutefois, la droite s’articule spécifiquement autour des piques appuyées contre Brigitte Macron et des hymnes antivax, vaguement corrosifs et carrément bateaux (dira-t-on qu’ils sont plus canoës que hors-bords ?). Elle se mâtine d’un peu de gauche façon Dieudonné bon teint à l’occasion d’une crotte de nez anti-Fernand Nathan qui n’est pas la plus pétillante et personnelle du show, as far as we’re concerned. L’ado qui vibre en Orbor n’en a cure car il enchaîne les succès. Résultat, explique-t-il, « je suis passé de mystérieux à prétentieux : j’avais développé une technique antidrague à laquelle aucune femme ne résistait. Bref, j’étais devenu un mec ordinaire. »
L’introspection fait son temps puisque LA grande question reste quand même de savoir « quand est-ce qu’on baise ». Si la réponse est : tout l’temps, comme un Georges possédé par le rut, le rut, le rut, le suspense devient décevant.
Dès lors, pour agrémenter son personnage, le jeune Orbor trouve une idée. Désormais, il porte une bague à son pouce. Succès garanti : « J’étais le seul au monde à avoir un anneau au pouce, à part quelques pigeons. » Certains mâles ne sont pas sensibles à son style de petit con. Un jour, des skins le chopent en compagnie d’un copain. Le nazillon postillonne dans la gueule du copain : « Pourquoi t’as pas de croix gammée ? » Réponse du gars : « J’en ai pas trouvé. » Conclusion d’Orbor : « Depuis, j’en ai toujours une dans ma poche. On ne sait jamais. »

 

Orbor Jr à l’Oasis 244 (Paris 10), le 18 mai 2022. Photo : Bertrand Ferrier.

 

C’est alors que surgit le personnage d’Orbor junior, qui ne vaut pas davantage que le senior aux traits parfois aussi efficaces qu’une jouissance de Marie-Catherine Desjardins dite de Villedieu, la coquine (« je ne crois pas que c’était mieux avant, c’est juste pire maintenant »). S’ensuit une reprise de « Marche à l’ombre » adaptée à la colère d’Orbor contre les règles sanitaires. Changer les paroles d’une chanson pour profiter de la familiarité de la musique auprès des auditeurs est une facilité souvent fffatigante. Force est de constater que, en l’espèce, ça marche très bien à la lumière. L’approximation des accords guitaristiques ne déparent pas dans une cover d’une chanson de celui qui fut un grand avant d’être un riche pauvre hère. Métèque, soit, mais attristant, et ça fait bien chier. Nous reprenons de suite le cours normal de nos émotions.
L’interlude passé, le catalogue de nénettes reprend. Le mystérieux-prétentieux devient un spécialiste de l’acrostiche rimé. Cela l’aide curieusement à ramasser ce qui passe à sa portée, voire hors de sa portée. Au récit souple et à l’improvisation live s’ajoutent les formules percutantes comme « elle était philosophe gaucho, j’étais Orbor tendance Renaud », certaines laissant même regretter qu’elles ne soient pas davantage exploitées, telle cette jolie piste pour le romancier « tout pourri » qui admet : « J’étais l’inverse d’un livre ouvert. »
Mais Orbor est ainsi. Sa quête d’identité, que nourrit le pseudonymat, n’est pas une quête de l’élégance et de la perfection. En amour comme en spectacle, le type assume la fragile frontière entre sensibilité et entertainment. La partie du public encore en état le suit dans son projet et réagit comme il sied. Ainsi, quand l’artiste rrrredemande « quand est-ce qu’on baise ? » puis répond dans la foulée « dans un quart d’heure, j’ai bientôt fini », une spectatrice lance : « Bon, ben on va pas tarder ! » L’esprit résonne enfin de part et d’autre de la miniscène, le copain bourré n’est plus le seul à mener le bal, na.
La facétie de la salle, avec deux ailes, n’a pas de quoi rabrouer le serial niqueur qui se sédimente dans la prétention – mais c’est pas sa faute, ça marche, affirme-t-il. « Du coup, pour draguer, j’adresse beaucoup de compliments à la femme que je désire. Des compliments sur moi, bien sûr. » Attention, point de Jean-Marie Bigard dans le bonhomme qui, dès qu’il se hausse du col, se met un coup sur le bec, souvent avec des formules formidables dont celle qui continue à me faire bien rigoler : « Comme j’ai beaucoup de succès, dès que je me prends un râteau, j’ai des palpitations qui peuvent aller jusqu’à la dysenterie. »
Sont aussi sollicités

  • la parophonie (« avec cette fille, on s’aimait trop pour se marier, on a préféré se marrer »),
  • le non-sense alla Renaud (« je suis sorti avec une haute-couturière anglaise, et ça tombait bien because I don’t speak English, but I understand it very bad »), génie du but, bien sûr, avec un ou deux t,
  • le name-dropping (« dans le couloir de ceux qui voulaient se faire réformer, y avait nous, donc, les comédiens, d’ailleurs c’est la dernière fois que j’ai vu Jean Dujardin ») et
  • la comparaison (« l’amour, c’est comme le sport, il faut une rencontre »).

 

Orbor à l’Oasis 244 (Paris 10), le 18 mai 2022. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Cela sied au dragueur invétéré qui jouit de son ambiguïté (« les mecs disaient : faut se méfier de lui ; les meufs disaient : t’es sûr ? je vais vérifier »). Ainsi se dessine un personnage d’anti-Alain Souchon, plus souvent jamais triste que jamais content.
Dans la chrono-logique, arrive l’hommage à Nico, feu son copain russe comme lui – le patronyme est même cité pour le copain bourré qui ne sait plus de qui c’est qu’est-ce qu’il s’agit, à supposer qu’il sache de quoi c’est qu’est-ce qu’il s’agit en général. Nico était un copain d’enfance d’Orbor, visiblement encore plus doué en répartie que l’artiste, prénommé Boris à l’époque. « Je lui ai dit : l’été, il fait plus chaud à Moscou qu’à Paris. Il me répond : n’importe quoi ! Je demande à la maîtresse. Elle lance : ben oui, l’été,il fait plus chaud à Moscou qu’à Paris. Et là, Nico se tourne vers moi et conclut : ha, tu vois ! »
À la séquence émotion, sincère et bien menée donc touchante, succède l’émotion joyeusement partant odieusement (f)relatée car remixée par le comique. Orbor liste des catastrophes comme le crash du New York – Paris et, en parallèle, les splendeurs dont il goûtait alors les charmes. Pour conclure : « Quand y a un drame sur la planète, je le fais pas exprès mais je vais super bien. Donc, quand vous en verrez un autre aux actualités, vous avez le droit de penser : oh, putain, Orbor est en train de s’éclater. »
Las, les temps passent et l’artiste dragueur lutte. Après sa joie d’être sorti avec le sosie d’Amélie Poulain en mieux, malgré sa dédicace à Delphine, ses pulsions créatives le poussent à modifier son refrain : « C’est pas tout ça, mais quand est-ce qu’on chante ? » Et la vérité surgit : l’orgasme scénique ne suffit pas. C’est comme ça. En revanche, il transforme Orbor en profiteur anti-prétentieux : « Maintenant, je suis une machine à ressouder les couples ! Envoyez-moi votre femme, et elle reviendra définitivement avec vous. » Et la dégringolade continue. Alors qu’il s’apprête à découvrir que la crise de constipation défie les plus belles lois de la passion, le Russe de Paris constate : « Y a pire que d’être en couple à Paris. Y a être en couple à la campagne. Parce que c’est pas tout ça, mais quand est-ce qu’on s’couche ? »
Si possible pas avant d’avoir profité de l’humour salé, proximal, multiple et original d’Orbor, qui rappelle que l’avantage de Paris, en dehors de l’inspiration d’un air dégueulasse, c’est aussi de pouvoir profiter de la singularité de zozos se produisant gracieusement chez des limonadiers. Youpi, vertuchou, youpi.