Opéra Locos, Théâtre Libre (Le Comédia), 23 octobre 2019

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Michaël Koné dans « Opera Locos ». Photo : Bertrand Ferrier.

Voici, enfin, un spectacle interdit aux snobs. Quoi que l’on ait profité d’une invitation pour l’aller voir, nous profèrerons un conseil honnête. Si, pour vous,

  • un air d’opéra, ça se prend du début à la fin ;
  • les tubes ne sont qu’une partie du répertoire ;
  • entendre des chanteurs sonorisés s’égosiller sur une bande-son est horripilant ;
  • l’association bien topique entre contre-ténor et pédé est digne d’une dénonciation à la Marlène ;

n’allez pas voir Opera Locos et non low-cost, ça, c’est original mais c’est fait.
Bon, nous, comme on coche beaucoup des cases susproposées, nous y sommes allé. Ben oui, faut être loco, parfois, sinon, on devient, je sais pas, moi, soutien de Pharaon Ier de la Pensée complexe.

Laurent Arcaro, le lucky loser du jour, Margaux Toqué, Florent Laconi, Diane Foures et Michaël Koné. Photo : Bertrand Ferrier.

Le pitch officiel ne nous ayant pas paru correspondre à l’histoire que nous avons vue, voici notre propre – pardon pour l’anglicisme – résumé.
Un quintette lyrique se propose de donner un spectacle. Las, chacun a ses soucis : le ténor (Florian Laconi) est alcoolo, la mezzo (Margaux Toqué) nympho, la soprano (Diane Foures) incapable de se résoudre à fondre pour un bègue alcoolo alors qu’elle l’aime – surtout pour la bague qu’il lui offre ; et le baryton (Laurent Arcaro) est un homo refoulé que, forcément, le contre-ténor (Michaël Koné) finira par baiser sur la bouche. Le spectacle va ainsi enchaîner des bouts d’air ultra connus, tendance Mozart – Bizet – opéra italien. Clairement destiné à un public familial, le projet présenté au Théâtre libre de Jean-Marc Dumontet ne recule, on le comprend, devant aucun truc pour séduire sa cible. Dans cette catégorie, on peut citer quelques exemples :

  • running-gags répétitifs (le wow de la bague et son pendant masculin) voire trrrrès répétitifs (le bégaiement et la bouteille),
  • coupure systématique des airs,
  • interactions avec le public qui se perdent souvent – même dans son genre – dans certaines longueurs (les « vocalisations »),
  • jubilation de la vulgarité sciemment beauf (le contreténor est un pédé qui se met donc – presque – à poil, quel frisson !),
  • fin centrée sur les chansons de variété vintage (« Time to say Goodbye », « With or without you », « Forever Young » d’Alphaville, « Can you feel the love, tonight? », « No woman, no cry », « Take on me »), etc.

Pour kiffer grave, il faut donc se placer dans cette perspective afin d’estimer un spectacle encore en rodage… et un poil trop marqué par son origine espagnole (le passage hispanique, qui ne ring guère a bell de ce côté-ci, aurait gagné à être ou densifié, ou francisé : il tend à plomber le début de spectacle, quelque sémillante soit la musique de Granada). Il faut aussi abandonner toute comparaison là où le spectacle n’est peut-être pas à son meilleur – ainsi, les Cinq de chœur bénéficient de bien meilleurs enchaînements entre classique et pop ; et les indications de mise en scène sont encore trop présentes pour certains – le numéro d’allumage d’un vieux dans le public gagnera à être retravaillé, là encore sur un modèle que les dames du Cinq de chœur maîtrisaient à la perfection, par ex. pour « Métronome ».
Enfin, il faut oublier le regret du play-back, bien que de nombreux accompagnements soient assurés par le piano seul. Pourtant, il est évident que, vus les budgets en jeu et vu l’esprit de cet événement, un pianiste vivant aurait apporté un plus incomparable. Quant à la sonorisation des artistes, indispensable, elle ne manquera pas de se perfectionner à mesure que les dates s’enchaîneront : quelques problèmes de retour semblent perturber les artistes (quand le baryton tente de faire chanter Mozart à Mika en voix de poitrine, le duo est habilement recalé par le contreténor car plus d’une demi-mesure sépare le grave du play-back…) ; et il sera malin de créer un son en fonction des évolutions scéniques, par ex. en le rendant plus étouffé quand la soprano se retourne au milieu de son air, comme si on l’entendait moins bien puisqu’elle chante vers les coulisses.
Voilà, ces préalables posés, le spectacle passera vite et bon pour tout spectateur de, comme c’est drôle, bonne composition. Ainsi que l’on le fit,

  • on rigolera comme au cirque – l’opéra, dingue ou non, est un cirque, les maquillages en témoignent et le rideau de fond de scène laisse espérer l’arrivée d’un lion ;
  • on saluera la performance vocale de jeunes artistes jouant pourtant cinq fois par semaine pour quatre d’entre eux ;
  • on appréciera la volonté des concepteurs de s’amuser sans chipoter;
  • on constatera l’efficacité de la recette auprès de tout public (nos voisins adultes fredonnent, les enfants participent puis se tiennent à carreau tant ils sont happés par les couleurs et l’énergie…) ; et
  • on sortira avec la double banane d’avoir passé un moment aussi sympa qu’accessible à tous, et d’avoir le regret positif de n’avoir point assez entendu les chanteurs s’exprimer.

Le contraire eût été regrettable !
En conclusion, un spectacle familial de qualité, porté par de jeunes chanteurs qui ont à la fois la maîtrise de leur voix lyrique et un plaisir évident à être sur scène pour partager ces trucs soi-disant élitistes sans forfanterie, sans didactisme lourdingue, sans prosélytisme niaiseux, sans complexe petit-bourgeois, mais avec une allégresse incontestablement communicative. Ma foi, on a connu pires impressions, au sortir d’un spectacle !