Opéra Comique, 9 décembre 2013
Peut-être l’un des plus piètres spectacles dits « opératiques » qu’il nous fut donné (enfin, vendu) de voir : le Manfred de Schumann version Opéra Comique 2013 est une fieffée entourloupe manigancée par des gredins patentés tendant vers le statut peu enviable de vils chenapans.
L’histoire : Manfred est un jeune et ténébreux comte. Tourmenté, il invoque les esprits pour « s’oublier ». Las, nul ne peut lui accorder cette grâce, même dans la mort. Le voici cependant prêt à se suicider, car il n’en peut plus de se remémorer cette si belle femme dont il a plus ou moins causé la perte – et dont on est censé comprendre que c’est sa sœur. Sauvé in extremis, il se recroqueville dans son château, où un saint homme tente en vain de le convertir juste avant qu’il ne soit trop tard (« il n’est jamais trop tard – Si – Non – Si », chtonc). Chantant curieusement un Requiem, les esprits arrivent et emportent Manfred aux enfers sans que celui-ci n’accepte de se repentir.
L’œuvre : rien d’opératique, dans ce drame d’1h20′ tout compris (c’est même peut-être la seule chose que l’on peut comprendre). Certes, l’opéra comique est un genre mêlant partie parlée et partie chantée. Soyons néanmoins sérieux : il s’agit en vérité d’une pièce de théâtre signée Lord Byron et dite en français, autour de laquelle festonnent de très beaux passages orchestraux et quelques rares chœurs ou ensembles chantés en allemand. Cette réalisation bizarre, inspirée d’un vieux spectacle italien, pourrait séduire par son incongruité (des ensembles vocaux mais pas de solistes lyriques vedettes), sa typicité (ha ! la noirceur romantique !) ou son originalité dans l’espace opératique parisien actuel (du Schumann sur scène, chic !). Elle donne surtout, au vu des tarifs pratiqués, une méchante impression d’arnaque, disons même de quenelle épaulée : pas de décor (des panneaux projetés, façon film muet, les remplacent), un récitant sonorisé déclamant avec une emphase grotesque plusieurs rôles (mais pas tous : ainsi, pourquoi n’incarne-t-il pas l’homme d’Église symbolisant la tentation de la salvation ?) et dialoguant donc avec lui-même (sans doute plus pour de piteux soucis d’économie que pour représenter les affres de la tension schizophrénique propre au romantique angoissé), une mise en scène de niveau zéro (oui, on peut dire « épurée », « ascétique », mais c’est quand même « nulle » qui vient d’abord à l’esprit), des bruitages de MJC…
La représentation : sur un plateau nu, à l’exclusion d’une planche surélevée en arrière-scène, de quelques ruines miniatures, d’un rideau élégant comme des lambeaux de sac poubelle, et d’une trappe lui permettant de disparaître via un escalier, quelle trouvaille ! évolue Pascal Rénéric, un Manfred à la coiffure plus adaptée à un guitariste manouche qu’à un comte désespéré. D’abord plutôt juste, il semble, à mesure que la mort de son personnage approche, céder à la médiocrité de ce spectacle bâclé en surjouant le torturé (chuintement des « s » façon mauvais fayot de Conservatoire, caractérisation ridicule des différentes voix, déformation du propos par le micro avec écho comme seul un chanteur disco devrait oser la pratiquer…). Astrid Bas, fée et fantôme d’Astarté, joue faux de bout en bout, avec sa voix factice de Brigitte Fontaine défoncée, si ce n’est un pléonasme : c’est du niveau d’un spectacle de CM2, et encore, en début d’année. L’absence de décor, la confusion des personnages dans un acteur, la faiblesse de la mise en scène rendent l’histoire incompréhensible. C’est peut-être volontaire (qui peut saisir l’insondable noirceur de nos âmes ?), mais c’est artistiquement nul : faire en sorte que toute une représentation soit imbittable reste la manière la moins justifiable de préparer un spectacle vivant… surtout quand le texte, lui, raconte quelque chose de bien définissable !
Dans ce contexte, on aimerait se réjouir des chœurs constants (belles voix d’homme chez les solistes, beau son d’ensemble pour les éléments) et d’un orchestre appliqué (La Chambre philharmonique, dirigée par Emmanuel Krivine), mais leur part est hélas trop minuscule pour que l’on puisse vraiment s’extasier – c’est en cela que l’appellation d’opéra comique paraît usurpée. La musique est belle, ses motifs poursuivent le spectateur bien après qu’il a quitté, furieux, la salle – mais en regard de l’ensemble, on est déçu. Alors, on aimerait, faute de musique suffisante pour étancher notre soif de beau, se repaître de théâtre. Mais comment, dès lors, ne pas dénoncer, pourquoi pas en crachant dessus abondamment, Jean-Pierre Vergier, qui ose signer « décors et costumes » (pas de décor, tout le monde en costume noir serré : wouah ! tout le budget est pas passé là-dedans, quand même ?) ; et Georges Lavaudant qui, assisté de Jean-Romain Vesperini, propose ici une reprise personnelle où l’incohérence et le frêle artistiquement le disputent au raté ou au déjà-vu (les mains rouges pour les enfers, pfff). Globalement, la faiblesse de l’investissement artistique et de la pensée sous-tendant cette pièce transforme cette série de représentations en une duperie dont ni la musique de Robert Schumann, ni le théâtre archiromantique ne sortent grandis.
En conclusion, une consternation.