Opéra Comique, 14 mai 2014, Ali Baba
L’opérette de qualité reprend petit à petit possession de l’Opéra Comique. Pour la dernière production de l’année, l’institution proposait la résurrection d’un vieux succès, Ali Baba (1887) de Charles Lecoccq, d’après un livret d’Albert Vanloo et William Busnach. Nous étions à la deuxième.
L’histoire : Cassim tient un grand magasin avec son épouse, la cougar Zobéide. Le reste du temps, il est propriétaire foncier, et veut donc expulser son cousin Ali Baba, qui lui doit trop d’argent. Au dernier moment, Ali Baba parvient à apporter la somme due pour sauver son esclave chérie, la belle Morgiane. Zobéide aurait-elle aidé Ali Babouche, son ancien amoureux ? Fin de l’acte I. En fait, non, Zobéide n’y est pour rien. C’est simplement qu’Ali Babidouba a découvert le repaire des voleurs et le fameux mot de passe, « Sésame ouvre-toi ». L’apprenant par un espionnage éhonté, Cassim se précipite dans l’antre merveilleuse, mais il se fait choper par la bande. Il ne doit sa survie qu’à son cher Zizi, un ex-employé passé du côté obscur de la force, qui l’épargne en le transformant en voleur. Fin de l’acte II, et entracte. Zobéide ne pleure pas longtemps son mari disparu. Elle s’empresse de proposer la botte à son cher Ali Babibobu, qui admet qu’être riche et célibataire, c’est inconvenant. Les voleurs, avec à leur tête le redoutable Kandgyar, se glissent dans la maison pour la fête, mais se font arrêter grâce à la prude et subtile Morgiane. Ali Babouchka a, soudain, une révélation : c’est Morgiane qu’il aime, et réciproquement ; c’est donc elle qu’il va épouser. Alors, Cassim révèle qu’il n’est pas mort, son Zizi est sauvé, et tout est bien qui etc., fin de l’acte III.
La représentation : dans une salle bien remplie mais pas pleine, en dépit de tarifs cassés, la représentation mise en scène par Arnaud Meunier, semble pâtir d’un défaut de budget. Malgré d’appréciables trouvailles humoristiques, le carton-pâte du décor apparaît davantage comme un pis-aller que comme un choix ironique (l’orientalisme étant, par essence, du carton-pâte). Les longs changements de décor, inhabituels pour un public plus coutumier des non-décors qui se pratiquent souvent sur les scènes de la capitale, signalent néanmoins le souci de faire le maximum avec les moyens du bord – vu le prix des billets, c’est la moindre des causes. Des astuces de déplacement, des détails percutants (jeu des doigts dès la scène initiale) et des facéties chorégraphiques permettent aux artistes chevronnés ou issus de l’Académie de l’Opéra Comique d’exprimer leur potentiel d’acteur. La direction de Jean-Pierre Haeck, à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Rouen, n’est certes pas impeccable : attaques souvent perfectibles, décalages persistants avec les chanteurs dans certains airs, difficultés apparentes à tenir les tempi… La partie musicale ne paraît pas optimale. Heureusement, le chœur (mélange d’Accentus et des effectifs rouennais) s’amuse, et les airs « tubesques » s’enchaînent assez pour que la première partie passe agréablement. Le public sort de la salle avec le sourire : on est au théâtre ce soir, avec de bonnes chansons superbement orchestrées.
Hélas, la seconde partie est dramatiquement catastrophique. Certes, le livret y incite : c’est cucul et c’est long, cette série de résolutions emberlificotées, prévisibles et gnangnan. Mais n’en jetons pas la pierre à Lecocq : cette production a coupé une heure sur les quatre d’origine, tranché dans les dialogues, rajouté des néologismes qui font branchouille et dissonent, de façon assurément comique, avec la tonalité joyeusement ringarde de cette bouffonnerie. Sauf que rajouter du comique sur du comique est aisé ; faire briller le terne, voilà où pourrait se nicher le talent. Or, les découpeurs, les rewriters, les « dramaturgistes » qui sévissaient jusque-là semblent avoir démissionné au moment où leur tâche eût été pertinente. De sorte que, puisque la première partie est modifiée, l’aspect suranné et empesé de la seconde n’est plus justifiable : si c’était de l’authentique, on pourrait débattre ; mais quand on a le droit de toucher à tout, l’ennui qui fracasse ces trois derniers quarts d’heure est une authentique faute professionnelle.
Sur scène, pourtant, les solistes font le boulot correctement. On regrette que Tassis Christoyannis (Ali Baba), voix correcte et effort d’incarnation, soit si peu charismatique, oscillant entre « r » roulés ou pas. Sophie Marin-Degor (Morgiane), elle, fait ce qu’elle peut comme actrice pour sauver un rôle difficile à défendre de bout en bout, avec une voix fiable qui n’étincelle toutefois pas comme celle d’une vedette. Dans son rôle de méchant cocu roulé dans la farine, François Rougier (Cassim/Casboul) cabotine sans vraiment démériter ; mais on apprécie surtout la néophyte québécoise Christianne Belanger, qui donne l’impression que le rôle de Zobéide fut écrit pour elle tant elle s’en empare avec gourmandise, ainsi que Philippe Talbot, ce bon Zizi pas gêné par son ridicule et à l’aise sur scène.
En conclusion, le spectacle, sans être ouhouhtable, est artistiquement insatisfaisant. Dès lors que le texte est retouché, on est en droit d’attendre une pièce tendue et, en dépit des conventions consusbtantielles au genre, pétillante. Or, en renonçant à l’authenticité littérale et en ne boostant pas le final par tout moyen à leurs dispositions, les adaptateurs ont dû, in fine, avouer leur incompétence. C’est le grand regret du spectateur : ni authenticité, ni modernisation assez conséquente de la dramaturgie. Toutefois, cette déception n’enlève rien au plaisir d’une première partie où respire, malgré un orchestre souvent piégé, la légèreté gracieuse et talentueuse d’une opérette d’époque. Pour les curieux, signalons que France Musique retransmettra le spectacle le 5 juin à 20 h.